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Pragmatique, organisé et solidaire : comment le Chelsea de Di Matteo a conquis l’Europe

Munich. Allianz Arena. 19 mai 2012. “Blue is the color” ! Les chants des supporters de Chelsea retentissent. Leur équipe vient de réaliser l’un des exploits les plus tonitruants du football européen de la décennie en remportant la Ligue des Champions. Un sacre aux allures de miracles, sur lequel les Dieux du football n’auraient jamais misé trois mois plus tôt. Trois mois qui ont dessiné un parcours aussi inattendu qu’enivrant, ponctué par un trophée jusque là tant convoité par Roman Abramovitch. Trois mois qui ont mis en lumière le travail d’un seul homme: Roberto Di Matteo. Nostalgique et pris d’un coup de Blues, Caviar retrace la parenthèse européenne enchantée de Chelsea, venue égayer une saison pour le moins chaotique.


Retour aux sources, ou comment faire du neuf avec du vieux

Ne cherchez pas Frank Lampard ou John Terry dans le onze de départ de Chelsea contre Naples lors du 8ème de finale aller de Ligue des Champions, vous ne les trouverez pas. Les deux légendes du club payent les choix tactiques du coach André Villas Boas. Controversé, le Portugais ne fait plus vraiment l’unanimité au sein du vestiaire londonien au mois de mars. 90 minutes plus tard et après avoir subi un cinglant 3-1 dans l’enfer de San Paolo, Chelsea se trouve mal embarqué. André Villas Boas ne le sait pas encore mais il connait ses dernières minutes en Ligue des Champions sur le banc de Chelsea. Il ne s’en doute surement pas non plus mais c’est son adjoint Roberto Di Matteo qui va reprendre le flambeau et tenter de rallumer la flamme d’une équipe en perdition. En dehors des clous en championnat pour se qualifier en coupes d’Europe et condamnés à l’exploit contre Naples au match retour, les Blues sont mal en point sur de nombreux plans. Les résultats sportifs ne suivent pas, l’effectif se fait vieux, le projet d’Abramovitch ne prend pas vraiment la tournure espérée. Alors, s’en remettre à un italien au CV d’entraineur aussi dégarni que son crâne, coup de folie ou coup de génie ? 

« Quand Roberto prend les commandes, il connait parfaitement la situation de l’équipe. Il avait de la crédibilité auprès des joueurs. Il avait la légitimité de connaitre le football anglais. Il n’était pas oppressif mais il a mis les joueurs face à leurs responsabilités ».

Christophe Lollichon, entraineur des gardiens de Chelsea en 2012, dans une interview pour Caviar Magazine (un petit clic’ ici pour accéder à l’entretien!)

Propulsé sur le devant de la scène, Roberto Di Matteo devient le chouchou des supporters. Ancienne gloire des Blues des années 90, il a l’avantage de connaitre les rouages du club et ainsi de pouvoir s’adapter très rapidement à son nouveau poste. Sa gestion du groupe va très rapidement se distinguer de son prédécesseur. Les cadres mis de côté par AVB forment le socle sur lequel Di Matteo s’appuie pour redresser le club. Le groupe est expérimenté: 11 joueurs de l’effectif de 2012 étaient présents dans l’effectif finaliste de la Ligue des Champions en 2008.

Comme un symbole, Frank Lampard, démoralisé sous les ordres de Villas Boas, retrouve la confiance totale de Di Matteo. La vieille garde de Chelsea est chargée de lancer l’opération remontada en championnat comme en Ligue des Champions. Les résultats sont tout de suite visibles. Dès le match retour, Chelsea vient à bout de Naples grâce à un succès 4-1 à Stamford Bridge. De coups de tête bien placés, d’un pénalty surpuissant sous la barre et d’un plat du pied bien ajusté, Drogba, Lampard, Terry et Ivanovic, les cadres de l’équipe offrent un précieux succès à leur équipe. La Blue Army retrouve de sa splendeur. 

Roberto Di Matteo: entraineur inexpérimenté privilégiant l’efficacité à l’esthétique.

Le vécu du groupe contraste avec l’inexpérience de cet adjoint promu « head coach ». Bobby sort de deux piges peu probantes à Milton Keynes Dons et West Bromwich Albion. Et, à l’image de son approche relationnelle avec les joueurs, sa vision tactique va s’opposer à celle prônée par son prédécesseur. Exit le pressing haut et le jeu de possession, Di Matteo fait parler ses racines italiennes. Bloc bas et transitions rapides deviennent les maitres mots du système de jeu des Blues. À ce niveau là, les demis et la finale de Champions League sont révélatrices des convictions tactiques de Di Matteo. Face à deux équipes adeptes d’un jeu de possession, Chelsea privilégie un positionnement bas sur le terrain combiné à un bloc compact et solidaire.

Pour l’Italo-Suisse, « la meilleure attaque c’est la défense ». Le « caretaker manager » (l’intérimaire) comme le surnomment les médias anglais, méconnu de tous, ne fait pas dans la dentelle. Les considérations tactiques passent au second plan. Il cherche avant tout une équipe organisée, soudée, efficace dans les deux surfaces et capable de faire preuve de réalisme pour pallier son déficit de créativité.

« Des matchs comme le Barca sont assez révélateurs. C’est pas un bus qu’on a sorti au match retour face au Barca, c’est deux semi-remorques et une rame de métro ».

Christophe Lollichon, entraineur des gardiens de Chelsea en 2012. 

À l’époque où le Tiki-Taka de Guardiola fait chavirer les coeurs, Roberto Di Matteo prône l’efficacité à outrance. En s’appuyant sur un solide 4-2-3-1, Di Matteo pose les bases d’un football défensif. Un 4-2-3-1 converti en 4-5-1 en phase défensive afin de former deux lignes compactes. Quels que soient les onze titulaires, Di Matteo veut onze soldats capables de donner leur vie sur un terrain. Et c’est le style qui colle le mieux aux caractères des joueurs de l’équipe: des guerriers à l’aise techniquement mais qui n’ont pas peur de défendre tout un match sans toucher le ballon. La ligne défensive, composée de quatre défenseurs durs sur l’homme et vicieux (Ivanovic Terry David Luiz et Ashley Cole) ainsi que de l’indéboulonnable Petr Cech dans les cages, joue un rôle prépondérant dans la quête européenne de Di Matteo.

Au milieu, le double pivot très complémentaire Obi Mikel-Lampard est chargé de garder un équilibre constant de l’équipe. Juan Mata, numéro 10 plein de fougue se charge de la création offensive mais également d’un travail défensif sur le numéro 6 adverse (par exemple Schweinsteiger en finale). Les deux ailiers sont très importants et doivent être capables de répéter les efforts défensifs. À de nombreuses reprises, Di Matteo a titularisé Ramires (pourtant numéro 8 de formation) au poste d’ailier gauche pour qu’il participe activement aux efforts défensifs. Notamment, en demi finale retour de LDC contre Barcelone pour aider Ashley Cole à défendre sur Lionel Messi.

La capacité de Chelsea à gagner un match dépend énormément de ses deux joueurs aux extrémités du terrain à savoir Didier Drogba et Petr Cech. En l’espace d’un match, en finale contre le Bayern, les aspects du travail de Di Matteo se sont révélés aux yeux de l’Europe. De ce match, s’est dégagée une équipe solidaire et jamais résignée. Dos au mur à trois minutes de la fin du match et menés 1-0, Didier Drogba d’un coup de tête rageur fait chavirer le Kop de la Blue Army et envoie Chelsea en prolongations. Lors de la séance de pénaltys victorieuse, Petr Cech réalise deux arrêts décisifs permettant à l’attaquant ivoirien de transformer le penalty de la victoire. 

Chelsea prend le dessus sur ses vieux démons: Kings of Europe !

En 2012, Chelsea se bat contre un passé proche traumatisant. La Finale de Ligue des Champions de 2008 perdue aux tirs au but contre le rival Manchester United est restée en travers de la gorge de bon nombre de joueurs et supporters de Chelsea. Les Blues sont traumatisés certes, mais surtout revanchards. Ils n’ont pas oublié le scandale ou vol, appelez le comme vous voulez, de la demi finale perdue à Stamford Bridge en 2009 contre Barcelon. Et y en a un en particulier qui prend sa revanche de belle manière: Didier Drogba ! Buteur en huitièmes, demis et finale, l’Ivoirien a survolé cette édition de son talent et porté offensivement son équipe. « It’s a fucking disgrace » est définitivement vengé ! Un titre qui vient sauver une saison catastrophique en championnat avec une timide sixième place et qui leur offre le luxe de se qualifier directement pour la prochaine édition de la Ligue des Champions. Un titre qui s’ajoute à une victoire convaincante en FA CUP, pour un doublé des plus improbables. Roberto Di Matteo est parvenu à faire ce qu’aucun grand nom n’avait réussi auparavant. Et quand on voit l’image de Roberto Di Matteo qui, juste avant d’aller chercher sa médaille européenne, glisse à l’oreille de Roman Abramovitch « We won it ! » en toute décontraction, on a envie de dire: Chapeau l’artiste !


L’année 2012 aurait dû plonger Chelsea dans la tourmente. Mais les ressources cachées d’un groupe touché dans son orgueil ont réveillé tout un club. Porté par un entraineur jusque là habitué à travailler dans l’ombre, Chelsea a surpris l’Europe entière au moment où on pensait les Blues effondrés. Les cadres du club, devenus légendes, ont prouvé qu’il ne renonçaient jamais face à l’adversité. Une qualité dont ne manque pas Frank Lampard, aujourd’hui entraineur de Chelsea. La Lamp’ rêve sans doute de revivre les mêmes émotions mais cette fois ci sur le banc de son club de coeur.

Hugo Forques

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