Souvent oubliés par les supporters, loins des célébrations d’équipe dès qu’un but est marqué, les gardiens de but sont dans un monde à part. Une bulle à laquelle les premiers concernés tiennent particulièrement et où ils peuvent cultiver leur mental et leur concentration. Maîtres de leur destin et de celui de leurs équipes, ne sont-ils pas l’élément essentiel d’une feuille de match ? Coup de projecteur (féminin) sur ce poste excentré.
Une cour d’école à l’heure de la récréation. Une rue calme, un jardin en fin de journée après la classe. On a tous été le gamin pressé de retrouver ses copains autour d’un ballon rond. Les équipes se composaient autour des deux chefs de bande, laissant souvent la fille du groupe en dernier choix. Celle que, pour ne pas trop encombrer le terrain, on plaçait entre les buts matérialisés par deux poubelles. Celle en qui on ne plaçait pas grand espoir dans sa réussite, mais au moins elle faisait le nombre. Cette expérience vécue par de nombreuses fillettes a aussi été celle de Cindy Perrault, gardienne titulaire actuelle de Montpellier. Arrivée à 12 ans dans une équipe entièrement masculine, elle s’est vu diriger immédiatement dans les cages de façon à ne pas gêner. Parce que finalement, un gardien dans une équipe cela ne change pas grand chose au déroulement du match, non ?
Lorsque tout va bien, que le scénario est favorable, qui n’a pas tendance à oublier le goal ? A l’inverse, lorsque le jeu est sous tension, que la pression des joueurs adverses pèse sur les cages et que le gardien craque et a le malheur de commettre une erreur, qui n’a jamais soutenu mordicus qu’il était le seul responsable de tous ces buts encaissés ? Ces remarques, Pauline Peyraud Magnin les a bien entendu. « Souvent on nous remet la faute dessus, “c’est la gardienne qui a fait une faute de main”… Oui mais si le ballon n’était pas venu jusqu’ici elle n’aurait pas fait de faute déjà. Et puis, toi non plus tu ne marques pas à tous les coups! » a appris à se défendre la joueuse d’Arsenal. Un rôle « peinard » à exécuter, peu de kilomètres parcouru durant les 90 minutes de temps de jeu, peu de sollicitations mise à part deux/trois arrêts dans la partie. Ben oui, on ne lui en demande pourtant pas tant que ça, et il arrive quand même à ne pas assurer !
La touche féminine de Foot 2 Rue
Au début des années 2000, la génération 90 a pu voir apparaître sur leurs écrans un dessin animé ravissant les fans de foot. Une nouveauté, qui complète par sa différence ce qui existait déjà comme Olive et Tom, l’animé japonais. Foot 2 Rue, issu d’une création Franco-Italienne est alors sorti sur France 3 et la Rai 2 en 2006 pour le plus grand bonheur des petits voisins européens. Ce nouveau modèle, reposant sur des valeurs de fraternité, solidarité et mixité trouve très vite son public. Un public d’ailleurs tout aussi féminin que masculin et ce grâce à la présence d’Éloïse, la gardienne de but. Pour Philippe Alessandri, l’un des quatre co-créateur de la série « la première motivation au personnage d’Éloïse, c’était d’arriver à introduire un dessin animé sur le foot qui puisse aussi fédérer les filles ».
Si elle a endossé le rôle de goal dès le deuxième épisode de la saison 1, c’est parce que dans l’œuvre originale, le livre La Compagnie des Célestins de Stefano Benni, une jeune femme occupe déjà les cages. Mais pratiquant lui-même le football à cinq, Philippe Alessandri reconnaît bien volontiers le rôle non négligeable du gardien : « le gardien est encore plus important dans ce sport, exactement comme dans Foot 2 Rue. Il peut vraiment faire changer le cours d’un match ». Foot 2 Rue serait donc un précurseur du féminisme dans le milieu. En décidant de donner une si grande implication à la gardienne de but sur et en dehors du terrain, il se place dès 2006 et sa première diffusion en France comme l’un des premiers dans l’hexagone à apporter cette problématique dans les dessins animés. D’ailleurs, une des règles du sport favori de Tag (le personnage principal, capitaine des Bleus de Port-Marie) et sa bande est la mixité dans les équipes. L’animation continue de séduire toute une génération, comme la montpelliéraine de 24 ans qui avoue encore « regarder des épisodes en replay » parce qu’elle aime l’image d’Éloïse, seule femme sur le terrain se faisant respecter par tous ses coéquipiers.
Une conséquence du taylorisme
Si une femme est donc volontairement placée dans les cages, non pas pour éloigner l’élément « gênant » de l’équipe, mais bien en reconnaissance de ses talents pour ce poste, c’est parce que justement être gardien de but demande de multiples compétences.
Pauline Peyraud-Magnin.
En 2014, Hélène Joncheray chercheuse à l’INSEP et Martial Meziani maître de conférence en sciences de l’éducation publient un article intitulé La Construction identitaire du gardien de but en football : approche historique. A travers leurs recherches ils démontrent l’institutionnalisation et l’importance du statut de gardien, qui est « le seul à pouvoir observer l’ensemble du déroulement des opérations » et donc « la sentinelle qui garde le camp ». Celui qu’ils appellent « le dernier rempart de la défense » doit son poste à l’officialisation de la cible sur le terrain dans les années 1870. C’est de l’inspiration du Taylorisme que résulte la répartition des tâches sur le pré.
S’il est vrai que le goal est le joueur rencontrant la plus grande altérité avec le reste de l’équipe, c’est aussi sans doute celui qui possède le plus de pouvoir et de pression au cours du match. Il est le « ”relanceur”, faisant partie intégrante de la stratégie offensive de l’équipe, étant à la fois le dernier défenseur et le premier attaquant ».
Clé de voûte de l’équipe, pour la gardienne d’Arsenal son poste est le plus important de l’équipe « même si les autres ont leur rôle à jouer. S’il n’y a pas de gardien, il n’y a pas de match ».
“Si on ne me respecte pas, je la broie”
C’est d’ailleurs ce que confirme Cindy Perrault, gardienne du MHSC « C’est aussi le rôle de commander même si on n’est pas capitaine. On commande sa défense, son attaque et les joueurs sont à notre écoute ».
« Si on fait une erreur, il y a but »
Cindy Perrault
Celle qui à l’âge de 8 ans avait détesté son expérience au but pour ensuite devenir attaquante a aujourd’hui bien changé d’avis. Toutes les spécificités de la mission font son bonheur « C’est un poste ingrat et c’est ce qui me plait aussi parce qu’il faut avoir un gros mental, pour moi plus qu’un joueur de champs. Si on fait une erreur il y a but, si un joueur fait une erreur au contraire ça peut être rattrapé par tous les joueurs derrière ».
La solitude c’est ce qu’on ressent généralement dans les discours des gardiennes professionnels. Mais c’est en réalité une solitude désirée et appréciée. « Moi j’aime bien avoir un maillot différent, être dans ma bulle » confie Pauline Peyraud Mangin. Bon nombre de traits de caractère les différencient d’une joueuse de champs « Il faut être un peu taré pour se jeter dans les jambes des autres, là où personne ne mettrait un pied ! » s’exclame la joueuse de 28 ans.
Cette dernière a d’ailleurs un caractère bien trempé, qui lui a permis de se faire une place de choix parmis les 23 joueuses sélectionnées pour le mondial de 2019. Le mental est la clé, mais le respect aussi et cela, c’est tout un art. « J’ai pas mal de répondant, si il y en a une qui veut venir me dire quelque chose, qu’elle vienne. Si sur le terrain on ne me respecte pas, là par contre je la broie » s’amuse-t-elle.
Gardien de but c’est de la solitude mais surtout un mental d’acier, une lucidité et une concentration à toute épreuve. Une bulle appréciée et nécessaire ne serait-ce que pour savoir se faire respecter sur un terrain. Cela, les gardiennes l’ont souvent appris dès leur plus jeune âge au contact d’une équipe majoritairement masculine, auprès de laquelle il faut toujours faire ses preuves.
Ana Gressier
Illustration : Romane Beaudoin