L’annonce est tombée le 7 juillet dernier. La Radio Télévision Suisse (RTS), comme l’ensemble des chaînes publiques du pays, ne diffusera plus de Coupe d’Europe de football masculin en direct. Un inexorable déclin de l’offre publique du football international face à une hausse constante des droits TV sur lequel revient Massimo Lorenzi, rédacteur en chef des sports de la RTS.
En recul constant depuis plus de deux décennies dans de nombreux pays européens dont l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni (Sky) ou encore la France (Altice), l’offre de diffusion publique des coupes d’Europe de football s’amenuise.
Rien que dans l’Hexagone, loin semble le temps où le regretté Thierry Gilardi et Jean-Michel Larqué s’extasiaient devant les plats du pied enveloppés de Thierry Henry ou les légendaires coups francs de Juninho face à Kahn, Casillas ou Valdés. Autant de souvenirs ayant marqué des générations entières, en famille comme entre amis, lors de soirées rocambolesques devant leur écran de télévision sur les ondes publiques.
Mais si la Ligue des Champions et l’Europa League ont quitté le terrain de TF1 et W9 pour RMC Sport en France, d’autres pays, à l’image de la Suisse, résistaient encore et toujours à l’envahisseur. Cette inexorable hausse des droits de diffusion des matchs européens a fini par atteindre nos voisins helvètes. Déçu mais lucide, Massimo Lorenzi ne regrette pas ce choix.
La télévision publique suisse face aux “délires du football business”
Membre de la Société Suisse de Radiodiffusion et Télévision (SSR), la RTS est ainsi une composante du groupe audiovisuel public de la Suisse. Dans un pays quadrilingue où l’Allemand, le Français, l’Italien et le Romand ont un statut égal, il en sera désormais de même concernant l’accès à une offre publique de football européen. Que ce soit la Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) en région alémanique, la Radiotelevisione svizzera di lingua italiana (RSI) en Suisse italienne, la Radiotelevisiun Svizra Rumantscha (RTR) pour les cantons de langue rhéto-romane et enfin la Radio télévision suisse (RTS) en Suisse romande, tous seront logés à la même enseigne dès la saison 2021/2022.
Depuis près de trente ans et son entrée à la Télévision Suisse Romande (TSR), l’ancêtre de la RTS, Massimo Lorenzi a vécu au plus près ces enjeux d’adaptation de la télévision publique aux appels d’offre concernant les droits TV. “Leur évolution est un scandale ! Rien que pour la Ligue des Champions, le prix a été multiplié par cinq ou six en quelques saisons !“, s’insurge celui qui est à la tête des sports de la RTS depuis dix ans.
Il faut dire que l’enjeu est de taille alors que le budget de la RTS provient directement des portefeuilles des ménages suisses. Une perception annuelle en baisse dont se charge la Serafe AG, fixée à 351 francs suisses, soit 325 euros, contre 451 francs suisses jusqu’en 2017 après décision du Conseil fédéral. A titre de comparaison, elle est fixée à 138 euros par foyer fiscal en France métropolitaine.
Dès lors, Massimo Lorenzi refuse la surenchère : “Autant laisser les diffuseurs disposant d’argent privé entre eux. Nous gérons de l’argent public, or tout le monde ne regarde pas les Coupes d’Europe de football ! Tant pis, alors que nous étions l’un des derniers pays à offrir une diffusion de ces compétitions sur une chaîne publique.“
Une surenchère de la part des diffuseurs privés rendant sceptique le journaliste genevois : “C’est d’autant plus incompréhensible que dans de nombreux pays où la diffusion des Coupes d’Europe a été privatisée, les audiences sont largement en baisse.” Autrement dit, les amateurs de foot, quelque soit leur appétence pour ce sport, ne sont pas toujours prêts à investir une somme supplémentaire dans un abonnement leur permettant de le visionner.
Une perte qui n’en est pas une ?
Ces droits de diffusion en direct, la RTS a bien tenté de les conserver : “Tous les grands naïfs pensent que les prix seront revus à la baisse dans les années à venir. En réalité, il y a un business avec des grands groupes privés qui se tirent la bourre et font monter les prix tout en épongeant les pertes. Notre somme n’était pourtant pas dérisoire, mais elle n’a pas suffit“.
Et d’ajouter : “Il est hors de question de financer un sport, et des compétitions, qui connaissent une bulle injustifiée. Cela d’autant plus que la RTS diffuse d’autres sports qui intéressent tout autant les gens.” Car si le football reste un sport très suivi en Suisse, il est largement concurrencé par le ski, le tennis ou encore le hockey sur glace. Il faut dire qu’avec des icônes telles que Roger Federer ou Didier Cuche, les Helvètes sont servis.
“D’un côté, c’est bien sûr un regret de perdre la Ligue des Champions, mais d’un autre, nous diffusons le plus de sports différents pour une chaîne publique dans le monde. On peut vivre sans car, même si c’est une blessure, les sommes avancées sont déraisonnables“, justifie Massimo Lorenzi.
Cette surenchère peut-elle s’étendre à d’autres sports ? Le rédacteur en chef des sports de la RTS ne le pense pas : “Le football est un sport particulier, où la surenchère est permanente. Cela touchera peut-être un autre sport un jour, mais pas à court terme. Le football européen est un cas particulier. Si cela devait cependant se produire en Suisse, je pense qu’une cible serait le hockey sur glace, qui est un sport particulièrement populaire chez nous“.
Pour autant, la RTS ne pourra pas compenser la perte des droits de diffusion en direct des matchs de Coupes d’Europe de football masculin par l’accroissement de l’offre sportive actuellement diffusée. “Tout simplement car cet argent, on ne l’avait pas ! Nous aurions dû demander une augmentation budgétaire, ce qui n’aurait pas été possible”, justifie Massimo Lorenzi.
Avant de conclure sur une note positive, alors qu’à l’heure actuelle, le nouveau contrat pour 2021 prévoit que la RTS dispose de droits d’image pour diffuser des résumés détaillés de chaque rencontre : “Le championnat de football suisse n’a rien à voir avec la Ligue des Champions en termes d’impact et de suivi. La dernière finale de cette Coupe, privatisée, a été suivie par cinq fois moins de téléspectateurs que la dernière année où elle avait été diffusée en public. Dès qu’on privatise, on perd en audience. Et l’on a beau gagner de l’argent, cela ne fait pas tout. Je pense que nous allons trouver dans une solution“.
Thibaut Keutchayan