Lire les épisodes précédents de notre nouvelle estivale : Chapitre 1 & Chapitre 2.
Écrit par Fabrice Coste.
Trois hommes du monde
Il fut dénoncé.
Il fut vendu.
« Venez. Il joue là-haut, en plein champ. Il piétine tout, au pire vous pourrez l’arrêter. Enfin non, je ne sais pas parce que par moment il ne touche plus le sol, alors… J’ai jamais vu jouer comme ça. Il est tout seul, et on dirait deux équipes. La balle, c’est une bête qu’il a dressée. Elle fait tout ce qu’il veut. C’est un magicien, un sorcier, un génie de fou. »
Trois présidents des plus grands clubs du monde se donnèrent rendez-vous pour l’acheter.
Au début, ils n’ont pas cru leurs yeux. Ils ont attendu le coup de sifflet final du hibou. Ils se sont dissimulés dans un buisson et quand tous les spectateurs sont partis, ils lui sont tombé dessus, des millions dans les poches et dans les yeux. Ils lui offrirent tout. Palaces, pubs, sponsors, îles, jaguars et porsches, filles pour la nuit, boys pour le jour, tenues tuning de ministres et bijoux ballastés de rappeurs rois. Tout. Il était inestimable.
Seulement…
Hélas…
Quel mépris ! Quel orgueil ! Presque, il leur cracha dessus ! Avec des penaltys de cailloux visant la lucarne de leurs oreilles ou le petit filet de leurs chevilles : il avait voulu les cribler, les massacrer, les refouler loin hors de ses frontières ! Jamais il ne leur accorda le moindre mot. La plus simple insulte. Rien. Ils ne valaient rien à ses yeux, avec leurs billets et leurs histoires de contrats à vie.
Pas le plus petit centime d’herbe ou d’étoile.
C’était des chasseurs.
Des monstres.
Le foot, pour lui, était un art.
Un art de vivre et de jouer.
Alors pourquoi leur répondre ? Il rigola, les cibla et jongla avec leurs têtes comme au bowling ou au billard.
Ils sont revenus. Un autre soir. Ils l’ont débusqué sous les cerises et les pommes d’un verger. Ils lui offrirent cent millions. Par an. Tous les ans. Toute sa vie.
Ils étaient trois.
« Si tu veux, tu pourras couper la pomme entre nous trois : un tiers de carrière chez chacun de nous, comme ça, tu t’ennuieras moins ? Personne saura rien de notre accord. C’est notre parole et la tienne. »
Il les regarda, les yeux en feu.
« Tu joues pour nous, et tu as cent millions par an. C’est simple. Tant que tu joues, on te paie. Chacun notre tour. Tu as 15 ans. Tu joues 15 ans. On te prend 5 saisons chacun, et voilà 1 milliard et 500 millions. Cadeau. Tu vois qui on est ? »
Ils paradaient dans leurs costumes de bandits, aux couleurs des clubs ! Cravate-blason. La classe mondiale.
« Oui. »
Les trois présidents sourirent et se serrèrent les mains. L’un deux sauta de joie. L’autre eut une larme. Et le dernier se toucha la poitrine : son cœur s’était arrêté.
« Oui, je vois qui vous êtes. Des requins. »
Il les regardait droit dans les yeux. Leurs costumes eurent la chair de coq.
Ridicules, se dit le jeune prodige.
« Dégagez, j’ai pas besoin de vous. J’vous connais pas, j’vous ai jamais vus»
Ils sentirent la haine leur remonter aux crocs.
Au fond, est-ce qu’ils ne s’emballaient pas un peu ? Lui, ce petit gars sans club, ni nom ni famille, une étoile du foot ? Un milliard et demi ? Mais c’était de la folie. Qui oserait leur refuser ça ? Qui oserait offrir ce pont d’or à un simple gamin, au milieu des champs de patates ? Une racaille pouilleuse, qui préfère les prunes et les cailloux au contrat du siècle ?
Ils se persuadèrent que le prodige, le génie n’était qu’une imposture. Un paysan. Un dégénéré, fils de dégénéré, que les gens adoraient parce qu’il jouait dehors pour des peaux de lapin. Non, ils avaient rêvé. L’insulte était impardonnable. Ils avaient failli commettre une erreur monumentale, envoyer leurs clubs sur la paille des champs.
« Il n’ira jamais plus loin. »
« C’est un âne. »
Et donc, accompagnés d’éclats de rire, ils tournèrent leurs longs talons vernis et retournèrent dans leurs cages dorées.
« À la niche ! », pensa le jeune prodige.
« Il faut fêter ça !…», se dit-il en envoyant la balle au ciel.
À suivre