Bobby Moore et les Anglais levant le trophée Jules Rimet lors du Mondial 1966. La coupe sera volée définitivement 17 ans plus tard au Brésil.
L'humeur de la rédac'

Mais où est donc passé le trophée Jules Rimet ?

Première récompense décernée au vainqueur de la Coupe du monde, le trophée Jules Rimet, du nom du Français à l’initiative de la compétition, a connu une histoire rocambolesque. Volée par deux fois, cachée sous un lit de la convoitise nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, « la Victoire ailée » a bien bourlingué au fil des décennies. Jusqu’à un jour de décembre 1983 où elle s’est envolée, probablement définitivement, du siège de la Confédération brésilienne à Rio de Janeiro. CAVIAR vous embarque sur la piste fictive d’un des plus grands mystères de l’histoire du foot.


« Un tel vol ne serait jamais arrivé au Brésil. Même les voleurs brésiliens aiment le foot et ne commettraient jamais un tel sacrilège », s’était ému le président de la Confédération brésilienne à l’annonce du premier vol du trophée, en 1966, à quatre mois de la Coupe du monde en Angleterre. Mal lui en a pris de s’attaquer au Royaume de Sa Majesté puisque 17 ans plus tard, c’est au Brésil que la statuette dorée filera… à l’anglaise. Depuis, les plus folles rumeurs circulent, sans jamais qu’une preuve un tant soit peu tangible ne vienne à laisser penser que le trophée refera surface. Alors, où diable est-il passé ?

Fusion-acquisition

1983, Rio de Janeiro. Son carnaval, ses plages de rêve, mais aussi ses favelas. Perchées sur les collines cariocas, ces villes dans la ville ne respirent pas sécurité et richesse. Les gangs à la tête de ces cités colorées excellent dans les cambriolages et autres vols à main armée. Lassés des larcins de faibles valeurs, certains ont vu plus grand. Descendus de la favela Rocinha, quatre hommes du Comando Vermelho, une des plus grandes organisations criminelles du pays, ont décidé de s’attaquer à un bien potentiellement très lucratif : le trophée Jules Rimet.

Pelé, posant avec le trophée Jules Rimet après la victoire du Brésil à la Coupe du Monde 1970.

Arrivés au siège de la Confédération brésilienne, les quatre hommes, armés d’un unique pied de biche, ne mettent que quelques secondes à faire main basse sur la statuette représentant la déesse Niké, la vitrine blindée censée la préserver n’étant composée que d’un simple panneau de bois à l’arrière.

Rentrés au bercail, les voleurs tentent alors immédiatement de fondre l’objet afin de le vendre plus facilement, mais se heurtent à un problème : le trophée est composé d’or et d’argent mêlés. Alors que fondre la statuette est impossible et que l’ensemble des policiers de la capitale sont sur les dents, le Comando Vermelho cache « la Victoire ailée » en attendant que la tenaille se desserre et ainsi pouvoir la céder au marché noir.

Niké chez les Cafeteros

Quelques mois plus tard, un acheteur se manifeste auprès des receleurs. Un Colombien qui s’impose comme une des figures les plus puissantes du continent sud-américain. A la tête du cartel de Medellin, Pablo Escobar, grand amateur de ballon rond, cède devant l’objet et le fait venir dans sa résidence colombienne. Habitué du bling-bling, le « narco » conserve la statuette pendant de longues années, la bichonnant et la traitant avec plus d’amour et de respect qu’il n’en a pour les lois de son pays. Grâce à son influence, Escobar fait même venir le trophée dans sa prison de La Catedral. Il choira le trophée jusqu’à sa mort en 1993.

Pablo Escobar's Colombian Football Legacy
Escobar, fan de foot, s’offrira le trophée Jules Rimet.

Dans l’effervescence de son décès, le trophée est (à nouveau) subtilisé par un des lieutenants de Don Pablo. Chassé par la DEA, l’homme prend la fuite et parvient à se rendre au Pérou. Après plusieurs mois de cavale jusqu’au pays des Incas, le fuyard fait une rencontre qui changera sa vie. Accoudé au comptoir d’un bar de Cuzco, il rencontre un touriste italien passionné de football. Enchaînant les pisco sour, les deux hommes refont le monde toute la nuit, jusqu’à ce que le Colombien, ivre, avoue à son homologue qu’il détient le trophée brandi par Giuseppe Meazza en 1938. Le transalpin, croyant d’abord à une blague, découvre, incrédule, la statuette dorée dans le sac de l’homme qui lui était inconnu quelques heures plus tôt. L’ancien lieutenant d’Escobar décide alors de lui offrir le trophée Jules Rimet en lui disant qu’il vient de passer le meilleur moment de son interminable cavale et qu’il n’a plus cœur à garder cet objet qui sera mieux traité en Italie.

Resistenza

Le touriste, hébété, retourne sur ses terres quelques jours plus tard, avec une valise considérablement alourdie. Encore sous le choc, il expose le trophée chez lui et le gardera pendant de longues années, le choyant au moins autant que son illustre précédent propriétaire colombien. Toutefois, au fil du temps, un sentiment de culpabilité l’envahit : comment peut-il retenir caché un tel objet ? Au fil de ces interrogations perpétuelles, l’homme finit par perdre goût à la vue de la déesse Niké. Un jour d’avril 2020, confiné chez lui devant la Rai, comme des millions d’Italiens, il assiste à un reportage sur l’histoire du trophée Jules Rimet. Une histoire qu’il connaît par cœur, mais qui lui fait l’effet d’un électrochoc lorsqu’il entend le nom d’Ottorino Barassi. Son compatriote, vice-président de la FIFA durant le second conflit mondial, a sauvé « la Victoire ailée » de la convoitise d’Hitler en la cachant à son domicile, dans une boîte à chaussure sous son lit. Résistant aux multiples visites des officiers du IIIème Reich, Barassi est parvenu à conserver le trophée à l’abri des regards avant de le restituer à la fin de la Guerre. Un acte d’une bravoure incommensurable dont l’actuel détenteur n’avait encore jamais réalisé la portée. Quel excès d’égoïsme a pu le pousser à conserver une relique pour laquelle des hommes comme Barassi ont mis leurs vies en jeu ? Sortant de son canapé, le propriétaire de la statuette s’empresse de rechercher les coordonnées du fils du défunt Barassi. Sortant une feuille et un stylo, il griffonne quelques mots à son intention : « Votre père a fait un acte de résistance incroyablement courageux pour protéger ce trophée. Il vous revient de droit ».

Les représentants de la fédération italienne, dont Ottorino Barassi (assis, cravate sombre), transmettent le trophée à leurs homologues brésiliens, organisateurs de la compétition qui va démarrer, le 22 juin 1950, à Rio de Janeiro (Brésil).  (STAFF / INTERCONTINENTALE / AFP)
Ottorino Barassi (assis au milieu) remettant le trophée aux organisateurs brésiliens avant le Coupe du Monde 1950.

Glissant le mot dans un carton avec la statuette, l’homme jette un dernier coup d’œil ému à la relique qui l’a accompagné pendant plus de vingt ans. En refermant le colis sur une parenthèse dorée de sa vie, mais convaincu de faire le bon choix, il expédie la Coupe Jules Rimet en héritage d’un des grands hommes qui l’a protégée, et ferme ainsi une boucle qui aura duré presque trente ans. « Si j’connaissais l’con qui nous a fait tourner en rond… »

Cyprien Juilhard

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