87, c’est le nombre de victimes de féminicides que l’on décompte en France en 2020 au moment où j’écris ces lignes. L’année passée au 31 décembre nous en dénombrions 152. C’est plus que les 130 victimes des attentats du 13 novembre 2015. Avons-nous pour autant rendu un juste hommage à ces femmes abattues par leur compagnon, ou ex compagnon ? Le 25 novembre était comme tous les ans la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Est-on pour autant passé en édition spéciale toute la journée pour lutter, sensibiliser et mobiliser contre ces crimes perpétrés, en moyenne en 2019, une fois tous les deux jours ?
Ce mercredi 25 novembre 2020, il a fallu attendre 18h pour que les chaines d’informations en continue connaissent l’effervescence du direct pour un événement de grand ampleur. Le discours du chef d’État annonçant des mesures pour lutter contre les violences sexistes ?Pensez-vous.
Ce qui anime toutes les rédactions de France et d’ailleurs est tout autre : la mort d’un ancien joueur de football. Adoré, adulé, idolâtré par le monde entier, la légende Diego Maradona s’est éteinte. Celui qui, entre autres frasques notables, est l’auteur d’une agression envers son ex-compagne en 2014, est décédé un 25 novembre. Quelle ironie.
Rocío Oliva, qui avait déjà porté plainte en juin 2014 pour ces violences, est également à l’origine d’une vidéo publiée le 27 octobre suivant montrant l’homme d’alors 53 ans, se dirigeant vers elle en titubant, puis la frapper à plusieurs reprises.
Le soir de sa mort, nombreux sont ceux qui se sont émus face à la nouvelle, nombreux sont ceux qui regretteront de ne plus voir ce génie du ballon rond ne plus illuminer un terrain. Mais combien veulent bien se rappeler aussi la part d’ombre de l’argentin ?
Pas mon Dieu
En 2017, Diego Armando Maradona use et abuse de sa position d’homme cette fois à l’encontre d’Ekaterina Nadolskaya, une journaliste russe venue l’interviewer à l’occasion de la coupe des confédérations. La rencontre qui se tenait à Saint-Pétersbourg s’est teintée d’une nouvelle agression lorsque l’ancien footballeur, qui avait ôté ses vêtements, proposa de l’argent à son interlocutrice contre des faveurs sexuelles. Cette année-là on déplorera une nouvelle attaque à l’encontre d’Oliva, dans un hôtel de Madrid. Puis en 2019 c’est son ex-femme Claudia Villafañe qui fait les frais de la violence de celui qui possédait « la main de Dieu ». N’acceptant pas (mais comment peut-il oser ?) la nouvelle relation amoureuse de Villafañe : Diego harcèle, Diego persécute. Cela fera l’objet d’une plainte au Bureau de la violence domestique.
Loin de moi l’idée de vous détourner de ses performances footballistiques brillantes. Il s’agit bien là plutôt de nuancer l’hommage que nous souhaitions rendre à ce « révolutionnaire », né dans une Argentine machiste et patriarcale.
Comment vénérer l’homme qui a su éviter les procès toute sa vie ? Comment négliger le fait que, selon El País, la mère de son neuvième enfant présumé était encore adolescente lorsqu’elle était enceinte de Santiago Lara ? Comment minimiser le fait que, selon le même média argentin, des photos du sportif accompagné de jeunes filles mineures nues datant de sa vie à Cuba, circulent ?
Symboliquement, une joueuse de D3 espagnole du club de Viajes Interrias FF, Paula Dapena a refusé de participer à l’hommage rendu au Pibe de Oro lors de l’avant match qui l’opposait à l’équipe du Deportivo La Corogne. S’asseyant sur le gazon, dos à la tribune elle décline à sa façon la révérence offerte à Diego. « Pas une minute de silence n’a été observée pour les victimes, je ne veux donc évidemment pas l’observer pour un agresseur et pas pour les victimes » a-t-elle expliqué après la défaite de 10 à 0 subie par ses coéquipières.
C’est pourquoi, tant que des luttes seront encore bien trop passées sous silence, des crimes trop rarement nommés comme tels, et des agresseurs encensés, comme Paula Dapena, je ne rendrai hommage ni à Diego Maradona, ni à quiconque mettant en danger la vie d’une femme.
Ana Gressier