La tour de Babel – Pieter Brueghel l’Ancien
Il y a quelques jours, le tirage au sort des éliminatoires en vue de la Coupe du Monde 2022 a livré son verdict. Placés dans le groupe D en compagnie de l’Ukraine, la Finlande, la Bosnie-Herzégovine et le Kazakhstan, les Bleus peuvent s’estimer heureux d’avoir notamment évité la Suisse, véritable épouvantail du deuxième chapeau. En d’autres termes, hors cataclysme les champions du monde en titre devraient réussir à se qualifier sans guère de problème pour le mondial au Qatar. Ce qui souligne à nouveau la formidable santé sportive de notre sélection.
Le cycle vertueux enclenché avec la deuxième étoile décrochée a ensuite connu l’organisation de la coupe du monde féminine en 2019, une qualification en demi-finale de la Ligue des Nations pour l’équipe de Deschamps, un parcours brillant de la part de l’équipe féminine lors des qualifications pour l’Euro 2022 – 7 victoires et 1 nul dont un 12-0 pour conclure la campagne de qualifications – et des Espoirs qualifiés pour l’Euro, chose assez rare pour être soulignée. Tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pourtant, dans Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus, ce philosophe franco-algérien passionné de football que met le numéro 5 du magazine à l’honneur, écrit qu’« il arrive que les décors s’écroulent ». Des mots prémonitoires pour la FFF contemporaine.
Relations toxiques et harcèlement
Dans une récente enquête publiée dans le New York Times, les relations de travail au sein de la fédération sont présentées comme catastrophiques et toxiques. Derrière l’arbre – ou l’étoile – de l’escouade de Deschamps se dessine progressivement un tableau bien sombre. À une époque où la question des conditions de travail et des maladies professionnelles liées au surmenage ressurgit, cette enquête fait plus que tâche. Un audit a été mené et les découvertes sont sidérantes : propos à connotation sexuelle, mises sous pression, santé mentale affectée par les conditions de travail… tout y passe, sans exception.
Une autre affaire, révélée peu de temps après dans le même média jette encore plus l’effroi quand on pense à la FFF. Un responsable pédagogique, licencié depuis, est en effet accusé d’avoir eu des comportements plus qu’inappropriés avec un enfant de 13 ans. S’il a été invité à quitter l’institution, ses diplômes n’ont pas été radiés et son nom figure toujours sur le site internet, ce qui lui permet d’être contacté par des clubs amateurs. Dans la mesure où le football est le sport qui compte le plus de licenciés dans notre pays et qu’une grande part d’entre eux sont des mineurs, il est tout simplement dramatique de constater que de telles pratiques n’ont pas abouti à la radiation pure et simple de la personne mise en cause.
Bleues, la poudrière
2019 fut une année phare pour le football féminin, avec la tenue, en France, du mondial le plus suivi de l’histoire. Si le résultat de l’équipe de France n’a pas été conforme aux attentes avec une élimination dès les quarts de finale – certes face aux futures vainqueurs étatsuniennes – l’aura de cette compétition a indéniablement rejailli sur le pays. Les Bleues, depuis, se sont qualifiées tranquillement pour l’Euro 2022 (la compétition devait se tenir en 2021 mais la pandémie liée au Covid-19 a rebattu les cartes) en concluant leur campagne de qualification par une victoire 12-0 face au Kazakhstan le 1er décembre dernier.
Tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pourtant, la réalité est tout autre tant l’Equipe de France se rapproche aujourd’hui bien plus d’une poudrière sur laquelle les allumettes sont déjà presque craquées. Sarah Bouhaddi a explicitement déclaré qu’elle ne reviendrait pas en sélection tant que Corinne Diacre serait en poste et cette dernière subit la défiance d’une grande partie de ses joueuses. Défiance symbolisée par ses escarmouches avec Amandine Henry, ex-capitaine, laissée sur le banc lors du dernier match mais à qui certaines de ses partenaires ont signifié leur soutien en célébrant l’un des buts inscrits contre le Kazakhstan par un cœur fait avec les mains à sa destination. Alors l’Euro 2022 pourrait-il être le remake féminin de la CDM 2010 avec Roterham dans le rôle de Knysna ?
Vers une nouvelle affaire des quotas ?
Le 13 septembre dernier lors du match opposant le PSG à l’OM, Alvaro a été accusé par Neymar d’avoir proféré à son encontre des insultes à caractère raciste. S’il ne s’agit pas ici de retracer cette polémique, c’est plutôt la réaction de Noël Le Graët qui nous intéresse. Le président de la FFF avait effectivement minimisé la portée du racisme dans le football en expliquant que celui-ci n’existait « pas ou peu ». En réponse à cette sortie, Patrice Evra a balancé une bombe qui a, de manière surprenante, été rapidement balayée par l’actualité.
L’ancien joueur de l’Équipe de France et de Manchester United explique en effet dans une vidéo postée sur Instagram que lorsqu’une personnalité politique rendait visite aux Bleus – François Hollande en 2014 par exemple – le placement habituel à table était chamboulé pour que des joueurs blancs l’entourent : « Quand il y avait une photo du président, c’était mieux de voir un Hugo Lloris ou un Laurent Koscielny qu’un Bacary Sagna ou un Mamadou Sakho ». En étudiant certaines des photos officielles récentes, d’aucuns se sont émus de voir les propos d’Evra confirmés.
Dans Le Mythe de Sisyphe, Camus continue sa démonstration : « Il arrive que les décors s’écroulent. […]. La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l’éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement ». Dans quelques mois les élections pour la présidence de la FFF se tiendront et Noël Le Graët sera, hors grosse surprise, candidat à sa succession. Régnant en souverain absolu sur l’institution du Boulevard de Grenelle, il part en immense favori. L’arbre sportif qui cache la forêt de ces affaires suffira-t-il à le faire gagner ? Il arrive que les décors s’écroulent…