Promouvant une pratique du sport inclusive, dans la droite lignée de son passé commun avec les partis socialiste et communiste français. La Fédération Sportive et Gymnique du Travail propose, depuis plus de cent ans, un football divers de par ses pratiques et innovants de par ses règles. Focus sur l’histoire et les pratiques de cette fédération qui s’est construite en marge de la Fédération Française de Football.
Nombre d’entre nous considèrent la Fédération Française de Football (FFF) comme la seule organisatrice de compétition de football. En effet, la FFF compte en son sein près de 15 000 clubs amateurs et environ 1,8 millions de pratiquants. De plus, celle-ci a à sa charge la sélection nationale, les championnats professionnels et les championnats amateurs. Championnats amateurs organisés d’une part à l’échelon national et d’autre part dans chacune des régions et chacun des départements de France. Cependant cette assertion est fausse, d’autres fédérations organisent des compétitions de football, parmi lesquelles la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT). Petite par son nombre de pratiquants (37 751 lors de la saison 2019 – 2020 soit près de cinquante fois qu’à la FFF), petite par son nombre de clubs affiliés. Elle n’en reste pas moins grande de par son histoire qui s’étend sur un peu plus d’une centaine d’année. Histoire qui aura vu la FSGT innover tant au niveau des pratiques qu’au niveau des règles, le tout sur fond de lutte des classes et de désaccords politiques.
Il était une fois le football rouge
Début du XXème siècle, le football se popularise en France, les patronages catholiques et les institutions sportives bourgeoises laïques s’y intéressent donc pour modeler corps et esprits. De même pour les chefs d’entreprises qui, en plus d’y voir un outil qui forme les corps pour plus de productivité, y voient un moyen de raffermir les esprits afin d’éviter les grèves. Parce que la lutte des classes, se doit d’être sur tous les terrains – y compris ceux de football où l’Union des Sociétés Françaises de Sport Athlétiques (principale institution sportive bourgeoise laïque), les patronages catholiques et les entreprises font passer leurs messages – quelques adhérents de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), le principal mouvement ouvrier en France au début du siècle dernier, fondent l’Union Sportive du Parti Socialiste (USPS) en 1907 qui deviendra la Fédération Sportive Athlétique Socialiste (FSAS) en 1909 et enfin Fédération Socialiste des Sports et Gymnastiques (FSSG) en 1913.
Cette fédération, ancêtre de la FSGT, compose avec des moyens limités comptant sur le bénévolat militant, la sociabilité ouvrière et la solidarité familiale. Concernant l’objectif de celle-ci, pour reprendre la parole des fondateurs, parmi lesquels Abraham Henri Kleynhoff, journaliste sportif à l’Humanité : « Nous voulons créer, à la portée de la classe ouvrière, des centres de distraction qui se développent à côté du Parti et qui seront cependant pour le Parti, des centres de propagande et de recrutement. »
De la scission au front populaire
Au congrès de Tours en 1920, la gauche française se scinde avec d’un côté les communistes et de l’autre les socialistes. Il en est de même pour la FSAS. Feront désormais chemin à part, les communistes de la Fédération Sportive du Travail (FST) et les socialistes de l’Union des Sociétés Sportives et Gymniques du Travail (USSGT). Les premiers s’affilieront à l’Internationale Rouge Sportive de Moscou en 1923 tandis que les seconds se rallieront à l’Internationale Sportive Ouvrière Socialiste. La FST dans la droite lignée de l’internationale communiste considère le sport comme l’antichambre des organisations révolutionnaires tandis que l’USSGT se positionne sur l’activité sportive pour tous, l’amélioration de l’état de santé de la classe ouvrière, la solidarité et l’esprit de sacrifice. Le football ouvrier s’exporte, les premiers participants aux jeux internationaux soviétique : les Spartakiades. Les seconds participent quant à eux aux Olympiades ouvrières organisées par l’Internationale Ouvrière Socialiste.
Toutefois les situations en Espagne, en Allemagne et en Italie au début des années 1930 poussent l’Internationale Rouge Sportive et l’Internationale Sportive Ouvrière Socialiste et à l’échelle française la FST et l’USSGT à se rapprocher pour faire front contre la menace fasciste. En découle des compétitions – tel que les Spartakiades de l’été 1934 ou la coupe du monde ouvrière organisée dans le cadre du rassemblement international des sportifs contre le fascisme et la guerre – qui rassemblent communistes et socialistes. Les rapprochements initiés s’intensifièrent jusqu’à ce que les deux fédérations fusionnent fin 1934, préfigurant le Front Populaire qui remportera les élections quelques années plus tard, la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT) était née.
« Foot populaire » : le football pour tous
Uniquement limitées par le nombre de licenciés dans chaque comité départemental, la FSGT propose diverses pratiques du football, football à onze, football en salle, football à cinq et football à sept. Particularité de la FSGT, le football à sept auto-arbitré, est né quasiment simultanément – entre 1968 et 1970 – en Ardèche et en Seine-Saint-Denis plus précisément dans les villes d’Aubenas et d’Aubervilliers. Dans la première le football à sept est né hors FSGT de façon fortuite. Après plusieurs échecs dans le lancement d’un challenge interentreprises de football à onze, il est décidé de descendre le nombre de joueurs à sept par équipe.
Un championnat est donc créé, championnat qui pour continuer à profiter des terrains à du se rapprocher de la FSGT. À Aubervilliers, les occupations d’usines de Mai 1968 ont indirectement mené au football à sept. En effet, pendant ces dernières, les grévistes doivent s’occuper, ils jouent alors au football. Lorsque le mouvement s’est essoufflé et que le travail a repris, les matchs de football ont continué à se jouer en dehors des horaires de travail. L’affluence de nouvelles équipes, oblige alors à jouer sur des demis-terrains en effectif réduit (des équipes de sept). Cette pratique, proche du football de rue, a perduré dans les départements cités plus haut mais s’est aussi exportée à d’autres départements.
Cœur de l’action de la FSGT depuis sa création, l’accès au sport pour tous se matérialise par la mise en place d’un cadre permettant aux publics discriminés voire exclu des pratiques sportives de pratiquer dans la sérénité. Seul le jeu compte … la FSGT n’a que faire du genre, de l’âge, de l’orientation sexuelle, des croyances, de la nationalité ou d’un possible handicap. Dernier exemple d’inclusion en date : le walking-foot. Importé d’Angleterre, le walking-foot est une variante du football se pratiquant sur terrain réduit avec des équipes de cinq à sept joueurs sans gardiens de but. Comme son nom l’indique, les joueurs ont obligation de marcher. De plus, les contacts entre adversaires sont prohibés et le ballon est maintenu à terre tant que possible. Le walking-foot est de ce fait accessible et peu accidentogène. Il permet donc aux personnes âgées et aux personnes à mobilité réduite de pratiquer un football adapté.
Auto-arbitrage et flexibilité des normes
Particularité du football populaire FSGT, l’auto-arbitrage. Initié à l’origine dans le football à sept d’une part dans un désir de faire jouer tout le monde et d’autre part pour faire face au manque d’arbitre, l’auto-arbitrage est aujourd’hui en place dans les toutes les pratiques footballistiques de la FSGT – y compris les catégories de jeunes – en dehors du football à onze. Pour faciliter l’auto-arbitrage, les règles notamment celles du football à sept ont été adaptées (pas de hors-jeu, pas de tacle, touche au pied …) éliminant ainsi une majeure partie des sources de conflits.
Autre particularité de la FSGT, la flexibilité des normes. Bien que basée sur les normes de l’International Football Board (IFB), la FSGT les adapte pour les rendre compatible avec l’auto-arbitrage et surtout innove. Bien des innovations réglementaires et bien des réflexions initiées dans les hautes sphères du football aujourd’hui ont été anticipé par la FSGT. En effet, certains comités composant cette dernière acceptent les touches pieds, acceptent les cinq remplacements ou les remplacements tournants.
Des innovations qui touchent tant aux règles, qu’à l’essence même des championnats, le comité de Seine-Saint-Denis supprimant les montées/descentes en football à sept au profit d’un système de brassage en début de saison qui permet de classer les équipes par poules de niveau. Le comité des Bouches-du-Rhône, lui, à supprimer les matchs retours et la coupe pour les vainqueurs en football à sept et organise des championnats sans classement pour les enfants. Certaines de ces innovations ont même été lancé en coupe de France de football FSGT tel que l’interdiction des tacles et l’existence d’un carton blanc synonyme d’exclusion temporaire après une contestation et/ou un énervement.
Si nous devions raconter en très peu de mots l’histoire de la FSGT, nous pourrions dire qu’elle a eu mille vies. Elle a connu les changements de noms, les scissions, les fusions mais sa volonté est restée immuable : rendre le football accessible au plus grand nombre. Toujours plus inclusif en s’évertuant à offrir un environnement sain et adapté pour les personnes discriminés. Toujours plus innovant en n’hésitant pas à bousculer des règles profondément ancrées dans la culture footballistique. Dans l’ombre de ce que propose la Fédération Française de Football, la FSGT propose un autre football avec une autre histoire, d’autres pratiques et d’autres valeurs …
Malcolm Alifils
Illustration : Théo Mazars