Critiqué pour son style de jeu défensif et son faible palmarès, le club madrilène a pourtant tout d’un « Grand d’Europe ». Mais être supporter de l’Atletico Madrid, ne se résume pas qu’au match du dimanche, il s’agit d’embrasser un mode de vie à part entière. C’est être fier de cultiver sa différence vis-à-vis des deux mastodontes que sont le Real et le FC Barcelone.
L’institution Colchoneros a toujours dépassé les frontières du club et ceux qui ont eu l’opportunité de vivre à Madrid peuvent en témoigner. Au nord, les gratte-ciels et les appartements luxueux façonnent le décor. Au sud, les quartiers plus modestes accueillent la classe populaire. Vous l’aurez compris, le Santiago Bernabeu a trouvé refuge au nord de la ville tandis que le Vicente Calderon a été installé au sud. Ce stade, inauguré en 1966 et désormais détruit, reposait le long de la rivière Manzanares. Les rencontres des Rojiblancos suivent toujours le même rituel : qu’il y ait du vent, de la pluie ou une canicule qui s’abat sur la ville, une marée humaine indique le chemin jusqu’au stade. Et une chose est sûre, vous ne pouvez pas vous tromper de chemin. Si le coup d’envoi est à 21h, les fervents supporters arrivent aux abords du stade à 17h pour discuter et faire connaissance autour d’une Mahou (bière espagnole). Ils rentrent ensuite à l’intérieur seulement quelques minutes avant le fameux coup de sifflet qui annonce le début d’une rude bataille.
Pendant ses cinquante années d’existence, le stade a accueilli de nombreux fans, tous liés par l’amour de ce club. Un amour qui n’a jamais cessé de se perpétuer au fil des années. Par exemple, en assistant à un match en tribune Fondo Norte, il est possible d’apercevoir une grand-mère et son petit-fils avec le même tatouage sur le bras : l’écusson du club. Un geste à la fois fou et osé mais qui montre aussi la loyauté des Madrilènes envers leur club. Timéo, l’un des quatre gérants du compte AtletiFrancia explique d’ailleurs à ce sujet : “Je pense que la ferveur autour de ce club s’explique par le fait qu’il est très clivant. Les valeurs qu’il représente font que soit on l’adore soit on le déteste. Pour comprendre pourquoi les socios sont autant derrière le club et présents en tribune, c’est parce que depuis toujours l’Atletico est vu comme le club du peuple, des classes populaires, de la banlieue. Ce sont des personnes qui n’ont pas grand-chose et qui sont donc, par conséquent, encore plus impliqués dans le club. Supporter l’Atletico c’est un peu une façon de voir la vie différemment. Et même si aujourd’hui le club a changé, le noyau de supporters en Espagne reste un peu le même avec une ferveur qui se transmet de génération en génération.”
Adiós Vicente Calderón et sa ferveur, bienvenido Wanda Metropolitano !
Aujourd’hui, l’équipe a muté depuis déjà trois ans dans un stade plus spacieux : le Wanda Metropolitano. Cette décision a mis du temps avant d’être acceptée par les supporters . Quitter le sud de Madrid pour partir à l’Est, un crève-cœur. L’impact des supporters est primordial et ce n’est pas pour rien que l’on classe cette ferveur comme la meilleure d’Espagne et parmi les meilleures d’Europe. D’ailleurs, le supporter le plus célèbre du club ? Le roi d’Espagne Felipe VI, rien que ça.
De l’entrée des joueurs à la fin du match, pas une seule seconde ne se passe sans que ne soit entonné un chant de supporters. Ici, chaque match est vécu comme si c’était le dernier. Telle est la philosophie du club mais surtout celle de ses supporters. Et c’est dans ce genre de contexte que la notion de 12e homme prend tout son sens. Alexandre Allal, journaliste pour l’émission Téléfoot et spécialiste du football espagnol raconte : “Pour chacune des équipes qui venaient jouer à l’époque au Vicente Calderon, c’était un des trois matchs les plus difficiles qu’ils pouvaient y avoir dans la saison. Ça chantait tout le match, ça criait, ça te sifflait, l’ambiance que véhiculait les supporters se calquait parfaitement bien avec leur identité de jeu. Lorsqu’une équipe jouait là-bas, elle n’était évidemment pas à l’aise. C’est une ambiance sud-américaine comme le dit Ousmane Dembélé. On retrouve moins ce phénomène avec le Wanda.”
Mais cette importante dévotion n’est pas récente, bien au contraire. Lors de la saison 2000-2001, alors que le club descendait en deuxième division pour la première fois de ses 97 ans d’existence, le nombre d’abonnés est passé de 23742 à 42101. Étonnamment, la relégation n’a pas affecté la fidélité des supporters qui avaient pourtant connu, quelques années auparavant, le doublé Coupe-Championnat (1995-1996). Il faut savoir qu’à cette époque, supporter ce club dès l’enfance, c’est un peu comme si vous étiez à part dans une ville qui n’a d’yeux que pour le grand Real Madrid. Alexandre Allal raconte une anecdote à ce sujet : “L’Atletico a toujours cultivé la culture de la différence. Fernando Torres a d’ailleurs expliqué un jour en interview que quand il était petit et qu’il allait à l’école avec un maillot de l’Atletico, on le dévisageait dans la cour de récré. On lui demandait “mais pourquoi tu ne supportes pas le Real ?” Ça a toujours été le petit club de Madrid comparé au Real comme l’Espanyol Barcelone avec le FC Barcelone et ils ont cultivé cette culture de la différence. À tel point que ça en est devenu leur identité. Ce n’est pas juste un club, il y a un aspect populaire qui a pris le dessus.”
L’amour du maillot quoi qu’il en coûte
Que l’équipe réalise un bon ou un mauvais match, l’important est de donner le meilleur de soi-même. Ici, la nonchalance n’existe pas. Et c’est d’ailleurs cette manière d’être qui a fait de l’Atletico une famille. Ce sentiment d’union, Timéo l’a ressenti lors de la demi-finale de Ligue des champions 2017 contre le Real Madrid : “C’est le souvenir qui m’a le plus marqué au Calderon. Dans les dernières minutes, l’Atletico mène 2-1 mais est éliminé de la C1. C’est le dernier match de LDC dans ce stade et des trombes d’eaux s’abattent sur la pelouse et dans les gradins. Pendant que les supporters du Real mettent des vêtements de pluie pour se protéger, les supporters de l’Atleti chantent, crient, sautent partout sous la pluie à la gloire de leur club alors qu’ils vont être éliminés face à notre plus grand rival. Ce moment est révélateur de la passion qui l’entoure : même si on ne gagne pas souvent de titres, pour les supporters ce n’est pas le plus important.”
Une discipline de fer persiste au club depuis plus de 10 ans grâce à Oscar Ortega surnommé Profe Ortega. Préparateur physique du club, il a la capacité de donner une condition de fer à ses joueurs grâce à des entraînements éreintants. En effet, le préparateur connaît toutes les failles de son équipe et il sait les combler. En 2015, lors du stage d’avant-saison, Antoine Griezmann avait d’ailleurs dit qu’il “cherchait de l’air aux entraînements”.
Mais c’est aussi grâce à cela que les joueurs ont réussi à se bonifier en allant chercher des capacités au-delà de leurs limites naturelles. Le club madrilène a aligné dans son onze de départ lors de la dernière décennie, trois des plus grands gardiens au monde : Jan Oblak et David De Gea (formé au club) et Thibaut Courtois. L’institution Colchoneros prend à cœur cette fonction de dernier rempart. L’Atletico forme des joueurs qui savent à la fois souffrir, tout en sachant faire le dos rond durant de nombreuses minutes. L’exemple le plus récent reste le match aller contre Liverpool (victoire 1-0) lors de la campagne 2019-2020 de Ligue des champions.
Ce match a bien évidemment fait pleuvoir les critiques de nombreux experts du ballon rond qui laissent entendre que l’Atletico ne sait que défendre. Et pourtant c’est un fait, certains des plus grands n°9 de ces 15 dernières années sont passés ici, comme l’atteste Alexandre Allal : “En 2005-2006, quand ils ont commencé à faire grandir Fernando Torres, ils ont développé une identité de jeu que Diego Simeone a repris par la suite. Il y a toujours eu cette tradition du grand numéro de l’Atletico : Torres, Forlán, Agüero, Falcao, Suárez et Griezmann.” Et ce n’est pas tout, en 119 matchs de LDC, le club comptabilise 181 buts marqués pour 104 encaissés. Cela reste des statistiques et beaucoup aiment dire que la valeur d’un club se mesure à son palmarès. Celui de l’Atletico n’est pas le plus clinquant, mais les Colchoneros ont remporté 3 Ligue Europa, 10 Liga, 10 Copa del Rey et 3 SuperCoupe d’Europe. Et si les trophées ne suffisent pas, l’équipe madrilène est l’une des plus régulières en Europe lors de ces dix dernières années. En 13 participations, ils ont connu trois finales, trois demi-finales et trois quarts de finale.
Un symbole, une histoire : Diego Simeone
Et la plupart de ces résultats ont été obtenus sous la direction d’un homme : El Cholo Simeone. Un entraîneur qui a toujours répété : “À la guerre, ce ne sont pas les meilleurs qui gagnent, mais les meilleurs stratèges.” Et le coach argentin est maître en la matière concernant les métaphores du champ de bataille. A chaque match, ses soldats partent en guerre, un mode de pensée ancré dans la philosophie du club. Car ici, il faut du caractère et ce discours de Luis Aragones avant la finale de Coupe du Roi en 1992 contre le Real Madrid le démontre. Alors qu’il haranguait son équipe lors d’un discours d’avant-match, il s’est interrompu pour dire : “Vous avez bien compris ? Oui ? Et bien cela ne vaut plus rien du tout. Ce qui compte c’est que vous soyez les meilleurs. Ce qui compte c’est que vous êtes l’Atletico Madrid et qu’il y a 50.000 personnes qui sont prêtes à mourir pour vous. Il faut que vous aussi, vous soyez capable de mourir pour eux et surtout il faut que vous sortiez d’ici et que vous montre à tout le monde dans ce stade, qu’ici il n’y a qu’un champion et il est en rouge et blanc.”
Il ne serait pas idiot de dire que Diego Simeone représente d’ailleurs à lui seul ce qu’est l’Atletico Madrid. Titulaire indiscutable lors du grand doublé en 1996, il a permis au club de tutoyer les sommets. Même son ex adjoint German, « El Mono » Burgos, anciennement gardien à l’Atletico, ne s’est pas séparé longtemps de son club de cœur. Timéo se souvient d’ailleurs d’une citation de Luis Aragones à propos de l’amour envers l’institution Colchoneros : “J’ai laissé tomber l’alcool, la cigarette et la nourriture riche, car cela me tuait. Mais je ne peux pas laisser tomber l’Atleti qui pourtant, me tue aussi.”
Pour Alexandre Allal : “On ne dit plus les deux gros d’Espagne mais plutôt les trois gros d’Espagne : le Barça, le Real et l’Atletico. Et je pense que c’est dû à la culture qu’ils ont développée au fil des années. D’être devenu champion d’Espagne, d’avoir fait deux finales de LDC avec cette identité de jeu qui plait ou qui ne plait pas.” Et cela doit sûrement rendre fier chacun des membres de la “famille Colchoneros”.