La préformation est la première grande étape de la carrière d’un footballeur. Dès l’âge de 12 ans, des centaines d’apprentis intègrent les structures des clubs professionnels dans l’espoir de franchir les portes du centre de formation. Avec un taux d’accession d’environ 80%, certains sont laissés sur le carreau et doivent, face à cette déception, faire preuve de résilience.
Bienvenue en Lorraine, sur les bords de la Moselle. La préformation du FC Metz accueille une quarantaine de joueurs âgés de 12 à 15 ans. La grande majorité occupe les chambres de l’internat du collège Arsenal au centre-ville de Metz avec d’autres élèves sportifs. La préformation messine opère en étroite collaboration avec l’établissement scolaire depuis 1996, ce qui confère à l’éducation une place importante dans le processus de formation. Tous ici rêvent d’un destin à la Miralem Pjanic, passé par la préformation du club à la croix de Lorraine au milieu des années 2000.
Devenir joueur de football professionnel
Hugo, défenseur central, est arrivé au FC Metz à l’âge de 6 ans. Originaire de Jarny, petite contrée paisible à une trentaine de kilomètres de la capitale lorraine, il a fait toutes ses classes dans le club grenat. “ Mon but était clair : c’était de devenir joueur de football professionnel. C’est vers l’âge de 12 ans que je me suis fixé cet objectif et ma famille me soutenait à fond ” raconte le jeune homme de 21 ans. Hugo accepte d’intégrer la préformation du club en quatrième. Non sans difficultés. “La séparation avec la famille… Partir la semaine… Rentrer le week-end… Au début c’était compliqué. Mais dans ma tête je savais qu’il fallait passer par là pour se forger un caractère. C’était un des sacrifices à faire pour mener à bien mon projet ”.
De ses années en U14 et U15, il ne garde que de bons souvenirs, tant sur le plan sportif que humain. Champion de France UNSS dans sa dernière année de collège, Hugo se rappelle d’une équipe soudée. “ L’ambiance était très bonne, il n’y avait pas de concurrence malsaine. On a pris du plaisir à évoluer ensemble, et cela s’est vu dans les résultats ”. Mais suite à une fracture du cinquième métatarse, les choses se compliquent. Une fois sur le banc, difficile de reprendre confiance pour montrer toutes ses capacités. A la réunion de mi-saison, les entraîneurs avouent être indécis. Et à la fin de l’année, le couperet tombe. Hugo se souvient du moment fatidique. “ Le coach est venu parler aux 4 ou 5 joueurs qui n’étaient pas gardés après un entraînement. L’émotion est montée d’un coup, c’était difficile. Au moment où le coach te convoque, tu espères que ce soit pour quelque chose de positif. Mais à 15 ans, sans tes parents, sans réunion, ça a été compliqué.” Seul et livré à lui-même dans sa chambre d’internat, Hugo part s’isoler quelques jours chez son grand frère qui habite Metz. Ce n’est pas pour autant qu’il lâche l’affaire. Un an plus tard, il intègre le centre de formation du Racing Club de Strasbourg pour deux ans, sans décrocher de contrat pro. Actuellement salarié au sein du club de Jarny, le jeune homme est aussi entraîneur de plusieurs équipes jeunes et il passe le Brevet de Moniteur de Football (BMF). L’amour du ballon rond ne l’a pas quitté d’une semelle.
” Je dois grandir plus vite “
La préformation exige une prise de conscience précoce. Le rythme des entraînements est soutenu et l’accompagnement scolaire assidu. Du lundi au vendredi, de 7 heures à 21 heures, les apprentis footballeurs suivent un emploi du temps adapté. Les cours, l’entraînement puis les études s’enchaînent. L’élaboration du double projet, scolaire et sportif, demeure une priorité. Les centres de formation sont soumis à un cahier des charges strict. Plusieurs dizaines de personnes encadrent le projet d’apprentissage. Parmi eux, les entraîneurs bien sûr, mais aussi des kinésithérapeutes, des responsables socio-éducatif et pédagogique, sans oublier l’équipe éducative du collège. José Pinot, directeur de la préformation du club grenat expose les missions de celle-ci : “ notre but est de les accompagner dans leur parcours et leur réussite scolaire. Ce qu’on souhaite c’est former les hommes de demain. Nous mettons l’accent sur les valeurs éducatives et sociales de nos jeunes. Nous les sensibilisons à l’homophobie, aux harcèlements et même à la gestion des réseaux sociaux ”. Il n’est pas rare de voir les éducateurs sportifs arpenter les couloirs de l’internat le soir. Aidés par le personnel éducatif, les entraîneurs restent omniprésents pour soutenir les apprentis footballeurs, à l’affût d’éventuels soucis personnels ou de comportements.
Idir, ailier droit longiligne de 21 ans, a signé il y a quelques mois dans un des meilleurs clubs de première division luxembourgeoise. C’est dans sa douzième année qu’il intègre le FC Metz. Le club l’invite à faire une journée de détection. Lui, va au stade depuis tout petit. C’était un rêve de signer ici. L’année suivante, le Franco-algérien intègre l’internat. “ J’ai bien vécu la séparation. Je crois que c’est mon caractère qui est comme ça, j’ai été très vite mature. Et puis je m’entendais bien avec les autres joueurs et les camarades de classe, tout cela a facilité mon intégration à l’internat ”, se souvient-il. J’ai beaucoup pris d’expérience grâce à ces années. Les formateurs nous parlent comme si on était des professionnels. Tu es loin de ta famille, de tes amis… Tu dois t’adapter à tous ces nouveaux aspects, donc forcément tu grandis plus vite.”
” Je ne voulais pas être un fardeau pour mes parents “
Principale difficulté pour ces enfants : l’éloignement du cocon familial et des copains. Certains sont franciliens, d’autres viennent parfois de plus loin, mais la majorité des jeunes grenats habitent dans le Grand Est et au Luxembourg. ” Les débuts de la préformation sont très souvent liés à un arrachement familial, avec le sentiment de faire des sacrifices importants et de s’éloigner de ses proches. C’est une jeunesse à part qui est monopolisée par le football. Même si ça ne se fait pas du jour au lendemain, cela suppose un investissement et des efforts répétés à long terme. ” analyse Julien Bertrand, sociologue. Dans son livre La fabrique du footballeur, il a étudié l’itinéraire de ces apprentis sportifs. La formation correspond aussi à une période pleine de visibilité sociale pour ces jeunes adolescents en construction. Porter le survêtement du club de football pro dans les couloirs du collège est gratifiant et leur apporte un statut spécial auprès des autres élèves. “ Ils sont assez fiers généralement. Fiers d’avoir été recrutés, et cela vient justifier à leurs yeux les sacrifices, les empêchements et les contraintes. Ils appartiennent à un groupe particulier ” explique Julien Bertrand.
Idir, qui depuis possède plusieurs sélections à son actif avec les U20 algériens, espérait être gardé à l’issue de la préformation, malgré ses problèmes de coordination et de proprioception dus à une croissance rapide. “ Il y avait des périodes où je jouais beaucoup. J’ai même fini une saison à 19 buts. Et d’autres où je jouais moins. Mais je sentais de la part du club et des entraîneurs qu’il n’y avait pas ce déclic pour me prolonger. ” L’ailier droit admet avoir surtout mal vécu la déception de ses parents. “ C’est sûr que c’était un choc pour moi, mais plus pour mes parents. Ils l’ont mal vécu et je n’aimais pas les voir inquiets. Mon père était soucieux pour mon avenir. J’étais jeune et je ne voulais pas être un fardeau pour eux. Même si au fond de moi il y avait une part de tristesse. ” Passé par plusieurs centres de formation dans trois pays différents, dont Saint-Etienne et le Standard de Liège, Idir a persévéré jusqu’à signer chez le voisin luxembourgeois. Une situation géographique qui lui permet d’être proche de sa famille.
” J’ai des regrets “
Avec les salaires mirobolants et la reconnaissance sociale qu’apportent les carrières professionnelles, on assiste de plus en plus à l’apparition de parents obnubilés par la réussite de leurs gamins, qui voient en eux le futur Kylian Mbappe. Néanmoins c’est loin d’être le cas de tous. Tanguy, gardien de 17 ans, regrette que le monde du football ne soit pas familier à ses parents. “ J’ai dû attendre un mois et demi de plus que mes camarades pour savoir si j’intégrais ou pas le centre de formation. Je n’ai eu mon entretien que début juin. On m’a alors proposé un contrat d’un an seulement après la préformation, quand la plupart signent pour 3 ans. Malheureusement mes parents ne connaissaient pas assez le milieu professionnel pour prendre une décision en opposition avec le club… Parce qu’ à ce moment là, tu sens que le club ne mise pas sur toi à long terme.”
Après une année compliquée, entre le peu de temps de jeu et la crise sanitaire, la direction du centre de formation décide de ne pas le garder. “ Les dirigeants ne m’ont pas appelé personnellement. Ils ont appelé mon père pour lui expliquer que c’était la fin de l’aventure. Je n’ai pas eu de raison. Et comme nous étions en période de confinement, je n’ai pas pu faire d’essais dans d’autres clubs…” Le gardien intègre alors le CSO Amnéville (N3), un des clubs satellites du FC Metz. C’était la meilleure option locale pour lui, mais cette dernière année au sein du centre de formation reste teintée d’amertume. “J’ai des regrets. Je pense que j’aurais dû faire comme d’autres coéquipiers, et faire des essais dans d’autres centres de formation après les U15 sans attendre.” Julien Bertrand explique que les familles restent très souvent mises à distance. “Le club prend en charge un certain nombre de missions éducatives, les familles n’ont pas de place dans l’organisation. Ils n’ont pas de parents délégués par exemple. ” Et dans les familles à faibles revenus, le poids d’une hypothétique carrière peut être d’autant plus lourd sur les épaules d’un jeune adolescent, que certains s’en veulent de n’avoir pas réussi à continuer sur la voie royale vers le contrat professionnel.
“ Cette période m’a forgé ”
Pour le responsable de la préformation messine, il ne faut pas parler d’échec. “ A l’entrée en préformation, nous ne parlons pas de carrière avec les familles, ce serait prématuré. Nous souhaitons seulement préparer les jeunes à rentrer au centre de formation. Notre travail est avant tout de les former sur deux années et de les faire grandir sur le plan sportif et humain. Nous les aidons à se construire scolairement et sportivement pour qu’ils aient le plus de cartes en mains à la fin du collège pour leur future vie, qu’elle soit dans le monde du football ou pas.” Force est de constater que ces jeunes joueurs qui ont vécu la déception de ne pas être retenus pour l’entrée au centre de formation s’en remettent, rebondissent et ressortent grandis de cette expérience avec le recul. “ Cette période m’a forgé. Avant j’étais plutôt quelqu’un de réservé, je gardais tout pour moi. Mais la préformation m’a énormément servi, ça m’a fait évoluer dans la vie, notamment sur mon travail actuel. J’arrive à gérer les enfants et les parents au sein du club où j’exerce maintenant. Je vois l’autre côté du travail. ” concède Hugo, entraîneur des catégories U11 et U15 de Jarny.
Le Franco-algérien du Club Sportif Fola Esch partage le sentiment de Hugo. Idir explique n’avoir aucun regret sur les sacrifices faits pendant sa jeunesse, par amour pour le football. “ J’ai très bien été encadré, notamment par les entraîneurs. Je parle toujours à mon coach des U15, nous avons une belle relation. J’estime que j’ai énormément progressé sur beaucoup d’aspects durant cette période. Avec le recul, je n’en veux à personne. ” Celui qui a persisté et réussi à intégrer une équipe pro au Luxembourg n’est pas rancunier. Il garde un bon souvenir de ces trois années et de l’encadrement de la préformation messine.
Les jeunes joueurs admettent volontiers que cette période les a fait mûrir dans de bonnes conditions. Conscients du risque et des sacrifices à faire très tôt, ces apprentis footballeurs ne regrettent en rien leur passage à la préformation, et ce malgré la tristesse de ne pas être conservés par le centre. Pour autant, à 15 ans, cet échec n’est pas rédhibitoire dans la carrière d’un jeune footballeur. C’est après, dans la suite de leur formation dans les clubs professionnels, quand les joueurs paraissent davantage monopolisés par le football et obnubilés par la perspective du contrat, que la pilule devient encore plus difficile à avaler.
Léo Mazzarini