Si l’organisation de la Coupe du monde 2019 a engendré une dynamique non-négligeable pour le football féminin français, l’avenir apparaît encore trop flou. Un temps en avance sur ses voisins européens, le développement de la D1 Arkema stagne considérablement et les joueuses de l’élite féminine ne peuvent toujours pas toutes, en 2021, se targuer d’être professionnelles et bénéficier des conditions qui s’en suivent.
Il ne fait aucun doute, le travail de développement de masse du football féminin opéré par la FFF cette dernière décennie a bel et bien porté ses fruits avec l’organisation de la Coupe du monde 2019. Toutefois, l’importante hausse du nombre de licenciées – plus de 200 000 en 2020 contre 143 000 en 2019 – ne permet malheureusement pas de se satisfaire de la situation face une économie à la traine qui n’arrive pas à décoller, privant l’élite féminine d’une réelle structure professionnelle pérenne.
Un championnat encore amateur…
Les progrès effectués ces dernières années sont pourtant majeurs dans le processus de professionnalisation de la D1 Arkema. C’est le constat qu’en a tiré Yannick Chandioux, à la tête de l’équipe féminine de Dijon lors de sa montée en D1 en 2018, et actuel entraineur des féminines de Montpellier : « Le football féminin a énormément évolué. Les clubs se sont structurés et le nombre de joueuses sous contrat a considérablement augmenté. Nous avions deux joueuses sous contrat en deuxième division à Dijon, là où elles sont désormais une bonne quinzaine trois ou quatre ans plus tard ».
Malgré cela, la D1 Arkema n’est toujours pas considérée comme un championnat professionnel dans la mesure où elle est gérée par la FFF, laissant place à une variété de statuts pour les joueuses. Le contrat fédéral, très répandu, est régi par la convention nationale collective des sports et permet aux joueuses de bénéficier de garanties telles qu’une rémunération minimale. On retrouve également des joueuses semi-professionnelles disposant d’un contrat hybride, à l’Olympique Lyonnais et au PSG tout particulièrement, et des joueuses sans contrat encore considérées comme amatrices, qui ne perçoivent pas de rémunération directe liée au football. Des situations radicalement opposées qui justifieraient probablement l’intérêt d’une mutation de la D1 en « championnat professionnel » afin d’uniformiser l’ensemble des cas cités.
Par ailleurs, deux des douze clubs de D1 Arkema sont encore amateurs à l’heure actuelle, à savoir le FC Fleury 91 et le GPSO Issy 92. Chandioux loue le fait que ces clubs amateurs ont tout de même fait un progrès considérable : « Tous les clubs de D1 sont désormais très structurés. Même les clubs amateurs possèdent un staff complet qui exerce de la même manière qu’une structure professionnelle ». La présence d’un directeur sportif au GPSO Issy 92 – Alexandre Barbier – est la preuve même du chemin qui a été effectué dans ce type de club. Barbier nous affirme pour sa part que 12 de ses 21 joueuses sont actuellement sous contrat fédéral, soit beaucoup plus qu’il y a quelques années.
Le football féminin français a donc connu une réelle dynamique dans sa professionnalisation et structuration qui trouve son explication, selon Yannick Chandioux, dans plusieurs éléments déclencheurs : « Il y a d’abord eu la création des pôles espoirs féminins dans toute la France il y a une bonne dizaine d’années, puis la Coupe du monde masculine en Afrique du Sud qui fut un véritable échec pour la France et qui a encouragé la FFF à se tourner vers le football féminin qui avait un très gros potentiel. Enfin, l’organisation de la Coupe du Monde féminine 2019 a été un énorme élan tant pour le message que cela renvoyait que pour la visibilité, et économiquement parlant cela a permis d’injecter beaucoup d’argent dans le football féminin français. » Les disparités restent néanmoins encore considérables entre les clubs, voire entre les joueuses d’un même club.
Des disparités marquantes
Une joueuse de D1 Arkema touche en moyenne environ 2500 euros brut par mois – bien loin des 110 000 euros bruts de moyenne en Ligue 1 masculine. Ce salaire moyen ne reflète pas la réalité puisque les deux ogres de la D1, l’OL et le PSG, rémunèrent leurs joueuses à travers des sommes à six chiffres pour certaines, créant un déséquilibre total avec les salaires allant de 1500 à 3000 euros bruts pour les joueuses d’autres clubs.
Aux écarts financiers s’ajoute la différence de conditions offertes aux joueuses de l’élite féminine. Si certaines évoluent dans un environnement comparable à leurs homologues masculins, d’autres ne peuvent pratiquer correctement le football de haut niveau. Le rattachement à une structure masculine y est pour beaucoup selon Alexandre Barbier : « Cet adossement est indispensable pour avoir une structure pérenne, sans cela le modèle économique est trop fragile car tout repose sur les droits TV et le club pourrait être amené à disparaître ». Le Directeur sportif d’Issy poursuit : « Une joueuse ne sera pas forcément mieux payée ailleurs que chez nous car les budgets des autres clubs ne sont pas beaucoup plus élevés. Elle pourra par contre bénéficier des infrastructures et des moyens de la section masculine du club comme un centre médical, un meilleur suivi, des terrains de qualité, etc. »
Pour Fanny Pereira, qui évoluait la saison passée à Issy en D1 Arkema, cet adossement à une section masculine n’est toutefois pas l’élément qui influe le plus sur les conditions de travail des joueuses. Arrivée à Brest cet été, elle nous explique avoir été séduite par l’importance accordée aux féminines dans le projet breton : « Certains clubs professionnels masculins disposent d’une section féminine mais mettent très peu de choses en œuvre pour celle-ci, ils préfèrent investir dans la section masculine. A Brest, il y a un très grand intérêt pour l’équipe féminine qu’on ne retrouve pas partout. » Puisqu’elle ne touchait « presque rien » et mettait « entre 1h et 1h30 pour aller à l’entraînement », elle a fait le choix complexe de quitter la D1 pour la D2. Tout sauf un pas en arrière, bien au contraire : « Mon objectif premier est de progresser et je savais qu’en allant à Brest je pourrais être dans les meilleures conditions pour y arriver, de par les infrastructures, le staff, les joueuses, etc. Je n’ai jamais eu de si bonnes conditions de vie même en ayant évolué au niveau supérieur. A Brest, tout est fait en sorte pour que chacune puisse être à son meilleur niveau. Les horaires d’entraînement sont aménagés et ils sont souvent doublés chaque jour pour permettre au plus grand nombre de joueuses de s’y rendre. Je touche un salaire mensuel, je suis hébergée par le club avec d’autres joueuses à côté du stade, etc. »
Ces conditions optimales permettent même à Fanny Pereira de concilier football et vie professionnelle, en suivant un double projet dont elle sait l’importance : « Faire des études et avoir des diplômes est indispensable dans le football féminin afin d’avoir une sécurité si sa carrière venait à s’arrêter brutalement, mais aussi pour la reconversion post-carrière. Je continue à travailler aujourd’hui dans l’évènementiel sportif pour acquérir de l’expérience. Le double projet est d’autant plus primordial chez les féminines car il est difficile de vivre aisément de sa pratique. » Et Alexandre Barbier de confirmer : « Les joueuses doivent avoir cette sécurité et nous les encourageons à mener ce double projet. Une fille qui mise tout sur le football pourrait se retrouver sans rien du jour au lendemain… »
Un manque d’attractivité à combler urgemment
Au printemps, la menace du passage du championnat de 12 à 10 clubs a fait grincer des dents et mis en évidence un certain désintérêt des instances pour l’élite du football féminin. D’autant plus au vu du manque de moyens alloués, et faute de mesures adoptées quant à la création d’une ligue professionnelle féminine, l’uniformisation des statuts ou la structuration d’un cadre juridique pour les jeunes joueuses en formation.
C’est une honte. La @FIFAWWC en France n’était qu’une illusion. Autant faire un petit tournoi un week-end de mai prochain si on dérange la @FFF. Bravo à toutes et à tous. @BrigitHenriques https://t.co/pyigRNt8WG
— Ada S Hegerberg (@AdaStolsmo) May 6, 2021
Pour l’entraîneur montpelliérain Yannick Chandioux, il faut avant tout renforcer l’attractivité de la D1 Arkema pour donner un nouvel élan au football féminin. L’affluence au stade est aujourd’hui trop légère. A l’exception des rencontres incluant l’OL ou le PSG, le nombre de spectateurs ne dépasse que très rarement la barre des 1000, et descend parfois aux alentours de 100… « Il faut réformer le championnat, le rendre plus attractif afin de dynamiser l’économie autour du football féminin, cela peut passer dans un premier temps par un passage de la D1 à 14 voire 16 équipes. » La hausse du nombre de matchs permettrait aux clubs d’augmenter leurs recettes de billetteries et de créer plus de concurrence, de compétitivité, de suspens et donc automatiquement plus d’engouement. Une diversification des revenus qui s’impose, les clubs de D1 étant aujourd’hui totalement dépendant des droits TV. En témoigne les conséquences désastreuses du flop Médiapro, qui les a privés de la somme annuelle de 500 000 € chacun, soit la moitié de leur budget pour plusieurs d’entre eux.
Pour renforcer l’attractivité de la D1 Arkema, Chandioux met également en avant le rôle des diffuseurs : « Les diffuseurs comme Canal + pourraient faire en sorte que certaines journées de D1 aient lieu en semaine pour ne pas subir la concurrence des affiches de football masculin ou d’autres sports comme c’est le cas tous les week-ends. Il faudrait également organiser des multiplex pour créer de l’engouement, organiser plus d’affiches dans de beaux stades de Ligue 1, etc. » Très optimiste pour la suite, il insiste sur le rôle fondamental de Laurent Nicollin, Président du MHSC : « Il a envie d’avancer, de dynamiser les choses. C’est formidable pour le football féminin. » Ce dernier est notamment à l’origine de la création récente de l’AFPF, Association pour le Football Féminin Professionnel, dont il est le président, et qui a pour but de poursuivre le développement et la structuration de la D1 Arkema pour concurrencer les autres championnats au niveau international, pour en faire un championnat « haut de gamme ». Une initiative qui permettra enfin d’aboutir à l’adoption du statut professionnel ? Un changement impératif pour rattraper le retard pris sur les premières divisions anglaise et espagnole, déjà professionnelles, et la Serie A italienne, dont la professionnalisation a été annoncée pour 2022.