En cette semaine de Noël, Caviar célèbre le football et les cultures adossées aux fêtes de fin d’année, qui animent habituellement les tribunes du 1. FC Union Berlin. Les supporters du club ont une manière unique de célébrer Noël, chaque 23 décembre, depuis bientôt près de vingt ans : ils se retrouvent pour entonner ensemble des chants dédiés à la fin d’année dans leur stade An der Alten Försterei.
La nouvelle est tombée le 30 novembre. Comme un missile de Toni Kroos en pleine lucarne, elle a fait mouche, n’a pas laissé la moindre place au doute. Pour la deuxième saison consécutive, les fans du 1. FC Union Berlin vont être privés d’un des moments forts de leur année footballistique, et pas que. C’est désormais une institution dans la capitale allemande, et même au-delà des frontières de la cité prussienne.
Car Noël et, plus largement, les quatre semaines de l’Avent, sont sacrées dans un pays où, bien que porte-étendard du Multikulti, les traditions chrétiennes demeurent omniprésentes au quotidien. Aucun secteur n’y échappe, pas même Berlin-Est. Pâtisseries de pain d’épices, chocolat et cannelle, Glühwein ou bock de bière bien fraîche : les célébrations vont bon train, à toute heure, de la plus grande ville au hameau le plus reculé. Noël n’est pas une fête comme les autres en Allemagne, c’est une consécration de l’année achevée, celle où tous se retrouvent, célèbrent et préparent les douze prochains mois de la meilleure des manières.
Mais il y a un élément perturbateur, un grain de sable toujours trop épais, comme une connexion Griezmann-Messi qui ne se fera jamais. La COVID-19 est encore l’invitée surprise, mais non désirée, de cette fin d’année 2021. Déjà lourdement impacté par la pandémie, le millésime 2020 influence bien malgré lui le mort-né qui aurait dû embraser les tribunes du An der Alten Försterei. Une enceinte mythique de Berlin où l’Union, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, fait quotidiennement battre le cœur de milliers de supporters parmi les plus engagés d’Allemagne, sinon d’Europe. Mais voilà, malgré une tenue initiale, les organisateurs et le club ont été contraints, une nouvelle fois, d’annoncer que les grilles resteront closes. Tant pis pour la fête, la joie, la synergie qui aurait dû constituer le trait d’Union entre les supporters et leur club.
De l’idée d’un prêtre à une institution locale
Les Weihnachtssingen, comme ils sont nommés depuis 2003, sont des chants de noël animant un stade à guichets fermés en plein cœur de Berlin. Des hymnes habituellement récités par cœur et unissant des voix qui, malheureusement, resteront à nouveau muettes. Schade ! Une pratique aux origines impromptues qui, depuis l’idée d’un prêtre berlinois, grand amoureux de Fussball, a fait son chemin bien au-delà des tribunes du An der Alten Försterei. Sur les bords de la Spree, le phénomène d’une année s’est progressivement instauré comme une pratique à laquelle fans du moment, visiteurs de la capitale et vrais mordus du 1. FC Union adhèrent. Dans le quartier de Köpenick, ils étaient initialement quelques centaines, tout au plus, à se presser dans les tribunes du stade chaque 23 décembre, jour désormais marqué d’une pierre blanche dans la saison.
Torsten Eisenbeiser organise la première édition des Weihnachtssingen de manière aussi spontanée qu’un dribble de Ronaldinho. Entamant quelques chants de Noël au cours de la mi-temps d’un match auquel il assiste en tant que supporters du 1. FC Union, il est rapidement rejoint de manière peu légale mais non véhémente (le contexte actuel nécessite cette précision) par près de cent supporters. Principalement des membres du groupe auquel Eisenbeiser appartient lui-même, “Alt Unioner”, les fans de l’Union Berlin se considérant comme les plus assidus. Autour d’un bon Glühwein et de pâtisseries toujours plus appréciées en fin d’année, sur la ligne médiane, Eisenbeiser et ses choristes du jour entament de nombreux chants de noël.
De la sensation de la saison 2003 à la progressive institutionnalisation, il n’y eut qu’un passement de jambe car avec quatre cent participants en 2004 et déjà mille en 2005, il ne fallut que trois petites années pour que le 1. FC Union Berlin adopte définitivement les Weihnachtssingen comme événement récurrent mobilisant son ciment, ses supporters. En temps normal, ce sont ainsi 28 000 à 30 000 personnes, de toutes les générations, amoureux de l’Union ou non, qui entonnent en chœur les fameuses chansons, une chandelle ou toute autre source de lumière à la main. Vous n’êtes pas à un concert comme les autres, mais bien à une communion entre ballon rond et performances artistiques à l’unisson. Nul besoin de s’égosiller, seulement de reprendre avec sa voisine ou son voisin du moment – son Frère ou sa Sœur dirait Eisenbeiser – les paroles de ces morceaux ancrés dans la culture populaire allemande.
Les 28 500 billets de cette édition 2021 se seraient certainement à nouveau vendus comme des Currywurst, ce qui est loin d’être étonnant tant la ferveur des fans du 1.FC Union Berlin résonne bien au-delà de Köpenick, y compris dans les forêts qui jonchent le stade. Là, toutes celles et ceux qui n’ont pas pu avoir leur précieux sésame se rassemblent et entonnent, à leur tour, les fameux chants de Noël. Rien, ou presque, ne saurait entamer la motivation d’un Unioner, et les bons résultats en Bundesliga, avec une actuelle septième place et les joutes européennes à portée de tir, donnent un supplément d’âme idéal pour faire oublier un contexte sanitaire omnipotent.
Un phénomène repris bien au-delà des frontières de la ville
Aujourd’hui, la tradition des Weihnachtssingen a franchi les frontières de Berlin pour se propager à travers le monde. Plusieurs clubs utilisent la période de Noël pour retrouver une proximité parfois perdue avec leurs fans. Le Borussia Dortmund a gentiment copié son homologue berlinois en invitant ses supporters à venir entonner des chants de Noël dans sa bouillante antre du Signal Iduna Park. Plus de 68 000 personnes avaient répondu à l’invitation du BVB en 2019, et l’événement se perpétue depuis, même si, comme au An der Alten Försterei, les tribunes resteront vides cette année.
Schalke 04, le 1. FC Cologne ou encore le Fortuna Düsseldorf ont aussi imité l’Union Berlin, comme un symbole de la réussite de la tradition lancée par Torsten Eisenbeiser. Les stades allemands résonnent à l’unisson au rythme d’O Tannenbaum et des autres chants traditionnels de cette période. A l’étranger, Fulham, entre autres, propose plusieurs activités et des chants de Noël à ses supporters aux abords de son enceinte de Craven Cottage.
Un club pas comme les autres
Si les Weihnachtssingen se sont installés comme une tradition de l’Union Berlin, c’est aussi parce que le club est une structure qui détonne dans le monde du foot. Pendant la Guerre froide, le club du quartier de Köpenick, en ex-RDA, devient un symbole de l’opposition au régime communiste et entretient une rivalité féroce avec le BFC Dynamo, dirigé par le chef de la Stasi, Erich Mielke. C’est David contre Goliath, une petite bande d’irréductibles berlinois qui défie l’URSS sur un terrain de foot. Si le BFC Dynamo est retombé dans les méandres du football amateur, la rivalité est toujours présente chez les Unioners qui chantent encore régulièrement « Dynamo de merde ». Cette ambiance presque anarchique guide l’Union depuis sa création, dans une atmosphère très familiale pour un club qui a eu pendant longtemps des résultats sportifs anecdotiques, jusqu’à sa montée historique en Bundesliga en 2019. « Merde, on monte » scandaient ainsi les Unioners lors du barrage décisif face à Stuttgart, comme un symbole d’une famille qui préfèrerait presque rester dans l’ombre de la 2. Bundesliga plutôt que de perdre ses valeurs dans l’élite.
Car les Unioners sont très attachés à leur club, à leur famille d’adoption, qu’ils ont sauvé plus d’une fois. En 2004, ils ont donné leur sang pour permettre à l’Union de recevoir des dotations de centres médicaux. Quatre ans plus tard, lorsque l’état déplorable du stade de l’Alten Förestei faisait planer le risque de la perte de la licence du club, plus de 2 500 fans se sont investis gratuitement pour retaper leur seconde maison. Un travail de plus de 140 000 heures qui a permis au club de survivre grâce à l’amour et à l’investissement de ses supporters, pour connaître finalement la Bundesliga et la Coupe d’Europe quelques années plus tard. Un conte de Noël comme on les aime.
Thibault Keutchayan & Cyprien Juilhard