Après avoir repoussé les limites du ridicule depuis 30 journées, les Girondins ont enfin réalisé, samedi dernier sur le terrain du LOSC, leur premier clean-sheet de la saison. Un point inespéré mais loin d’être suffisant pour une équipe lanterne rouge depuis près de deux mois, qui se rapproche inlassablement de la descente en Ligue 2. Une situation désespérante pour des supporters qui n’ont, pour la grande majorité, jamais connu de relégation sportive de leur vivant. Entre descente aux enfers et relance dans la course au maintien, la réception de Metz ce dimanche a bien des allures de dernière chance.
Un article de Julian Doubax.
«J’ai plus d’espoir, quand chaque week-end on donne la même chose, on récolte ce que l’on mérite», s’indigne Jérémy Berrié, fondateur de Top Girondins. C’est le constat difficile que partage, Adrien Mathieu, créateur du podcast “ Formation Football Club”. « J’ai fait une petite croix sur le maintien depuis la défaite contre Troyes, c’était une finale avant l’heure ». Plus la saison avance et plus les chances de maintien des Girondins de Bordeaux s’amincissent. Les mauvais résultats et le contexte extra sportif ne font que dégrader l’état d’un club déjà bien abîmé. Les supporters ont logiquement du mal à garder la forme. « Au fil des années, le club a glissé dans le classement et l’intérêt général a diminué », explique Adrien Mathieu. Difficile de s’accrocher à une équipe dernière de Ligue 1 et pire défense d’Europe. « La plupart des supporters ne sont plus derrière les joueurs et la direction. Ils s’accrochent donc à l’écusson, à leur amour qu’ils ont pour les Girondins de Bordeaux », estime Samuel Vaslin, co-fondateur du Club des 5. Depuis quelques semaines, le club tente de prôner l’union sacrée pour réussir à mobiliser tout le monde dans un seul but, le maintien. Malheureusement, les revers incessants subis par le club n’ont fait qu’entériner les espoirs de ses fidèles aficionados. « A la sortie du stade contre Troyes, ça ressemblait à une marche funéraire, plus personne ne chantait, les gens étaient abattus. On était en train de se dire “ C’est bon là on y va tout droit en Ligue 2 » , décrit Adrien Mathieu.
Des têtes meurtries
« Tant que mathématiquement il y a de l’espoir, j’y crois, mais les joueurs y croient-ils ? » , se questionne Nicolas Pietrelli, responsable du site WebGirondins. Depuis un certain temps, l’état d’esprit que montrent les joueurs bordelais ressemble à une équipe complètement abattue avec la tête sous l’eau, déjà condamnée à la Ligue 2. « Bordeaux n’a quasiment jamais été confronté à une situation de maintien, les joueurs ne connaissent pas ça », débute Adrien Mathieu, « David Guion essaye d’inculquer cette mentalité mais n’a pas encore réussi » conclut-il. Avec l’arrivée de Gérard Lopez, l’effectif a complètement était chamboulé. 9 joueurs sont arrivés cet été, 4 cet hiver et une dizaine sont partis. Ajouté à cela, le vestiaire le plus cosmopolite de Ligue 1 avec 18 joueurs étrangers. Pas de quoi favoriser une stabilité dans le groupe. « La marge de manœuvre était courte. Gérard Lopez arrive tardivement et le budget du club et la masse salariale du club sont encadrés par la DNCG », rappelle Franck, plus connu sous le nom de Diabate33 sur Twitter. Il est difficile d’attaquer une opération maintien avec 9 joueurs prêtés dan l’effectif qui savent pertinemment qu’ils ne joueront pas sous le maillot marine et blanc l’an prochain. « C’est un facteur important à prendre en compte, les joueurs peuvent se dire “ de toute façon, la Ligue 2 je la connaîtrai pas “, ça ne va pas dans le sens d’une opération maintien», constate Jeremy Berrié. Les choix sportifs sont forcément pointés du doigt par les supporters. «Empiler des joueurs, ça ne marche pas. La plupart des recrutements d’Admar Lopes sont manqués. Dans ce système de trading, les recrues sont toujours privilégiées dans les compositions d’équipe au détriment des jeunes», se plaint Nicolas Pietrelli. La question de lancer les jeunes joueurs, ceux ayant une attache particulière au club se pose vu la situation actuelle des Girondins. « Ils montrent de l’envie mais le problème c’est qu’ ils sont encore trop tendres pour la Ligue 1. A l’heure actuelle, il nous faut de l’expérience, s’appuyer sur des cadres comme Josuha Guilavogui», pense Jeremy Berrié.
Comparaison n’est pas raison
Le marasme girondin peut faire penser à celui de la première année de l’ère Lopez à Lille. Un changement de coach en milieu de saison. Une place de relégable pendant plus de la moitié du championnat, les Lillois étaient même 19ème la veille de la 36ème journée. Un conflit entre la direction et les supporters, ces derniers avaient même envahi la pelouse après une nouvelle défaite contre Montpellier. Les nordistes ont cravaché jusqu’au bout pour se maintenir grâce à une série de trois victoires d’affilées contre deux concurrents directs, Toulouse et Metz. “ Il suffit d’un match pour enclencher une série et retrouver la confiance. Espérons la même issue pour Bordeaux », désire Franck. Le point glané contre Lille peut être le départ de cette remontée. Toutefois, il faut nuancer les parallèles que l’ont peut faire entre ces deux saisons : l’homme d’affaires hérite d’un club criblé de dettes à l’inverse du LOSC, sain financièrement. Admar Lopes n’est pas un directeur sportif de la trempe de Luis Campos. Marcelo n’est pas non plus un défenseur de la trempe de José Fonte, etc… Dans de telles circonstances, difficile d’imaginer la même fin heureuse pour les Girondins.
Ligue 1, Ligue 2 ou… National 3 ?
Dans une telle situation, l’avenir des Girondins est on ne peut plus flou. S’il a répété sa volonté de rester à la tête du club en cas de relégation, Gérard Lopez n’a plus la confiance d’un grand nombre de supporters. La crainte de voir Bordeaux descendre plus bas est omniprésente dans les têtes des supporters. « La National 3 j’y crois, on est déjà passé pas loin l’an dernier », déplore Samuel Vaslin, « Si c’est le cas, ça sera long et fastidieux, mais je serai toujours là. Strasbourg a réussi à le faire » conclut-il. « Aller en N3 serait un cataclysme », s’écrie Jéremy Berrié. Sans imaginer le pire, quand bien même le club descendrai en Ligue 2, il faudra s’appuyer sur de nouvelles ressources. « Il faudra repartir sur des bases saines, compter sur le centre de formation et les jeunes joueurs qui ont déjà eu du temps de jeu », explique Adrien Mathieu. L’accord trouvé entre la LFP et le fonds d’investissement CVC devrait permettre d’apporter 33 millions d’euros dans les caisses bordelaises, qu’importe le dénouement de la saison. Un possible soulagement financier qui serait le bienvenu au club. Ajoutons à cela les probables ventes de Jules Koundé et Aurélien Tchouaméni sur lesquelles Bordeaux possède des pourcentages à la revente. Même en cas de maintien, difficile de se projeter dans l’avenir pour des supporters de plus en plus sceptiques. « Si on reste en Ligue 1 on va revivre une saison comme celle ci. Peut-être vaut-il mieux vivre quelques années dans l’anonymat plutôt que vivre sous perfusion », explique Adrien Mathieu.
Une saison Xanax
Les supporters se rejoignent tous sur un même point, c’est la pire saison qu’ils aient vécu. « En 1991, il y a eu une relégation administrative mais sportivement il faut remonter très loin. Actuellement, je ne reconnais pas mon club que ce soit sur ou en dehors du terrain », déplore Nicolas Pietrelli. Même si les saisons qui ont suivi le sacre de 2009 étaient compliquées, les Girondins arrivaient malgré tout à se mêler à la lutte pour les places européennes. Finir 6ème ou 7ème, était perçu comme un échec. « Aujourd’hui, si le club termine 7ème, tout le monde se rejoint pour fêter ça sur la place de la Victoire», ironise Samuel Vaslin. Pourtant, tout au long de cet exercice 2021-2022, les supporters n’ont jamais cessé d’encourager leur équipe. « Depuis le début, on a caliné, bercé, discuté avec les joueurs, essayé de leur trouver des excuses. Maintenant il faut les mettre devant leurs responsabilités et le fait accompli », juge Franck en faisant allusion aux évènements d’après-match face à Montpellier.
Cette dernière défaite à domicile a encore plus divisé les supporters bordelais. L’incident survenu à la mi-temps entre Benoît Costil et Florian Brunet a énormément fait réagir, notamment sur les réseaux sociaux. Après des sifflets du Virage Sud, une discussion houleuse entre le portier bordelais et le porte-parole des Ultramarines a éclaté. Ce dernier accuse le gardien international d’avoir eu des comportements racistes envers des membres du club. La rupture s’est consommée entre pro et anti de chaque camp. Dans une période où le contexte sportif est déjà chaotique, l’extra sportif s’est un peu plus dégradé. L’an dernier, le club était déjà passé près de la correctionnelle en se sauvant qu’à la 37ème journée. Le changement de propriétaire n’a pour l’instant pas été bénéfique voire pire. Qu’importe le dénouement de cette saison, les supporters bordelais espèrent vite tourner la page d’un chapitre douloureux, possiblement le pire de l’histoire du club au scapulaire. « J’ai connu des moments difficiles où j’etais vraiment au plus bas mais là c’est une saison entière. Je tire mon chapeau aux jeunes supporters du club qui n’ont quasiment jamais connu de période dorée mais qui continuent d’aller au stade ou de supporter l’équipe », déclare Franck.
S’imposer face à un concurrent direct pourrait relancer les Bordelais dans une folle course au maintien, qui plus est avec les récentes contre-performances de leurs compagnons d’infortune. De quoi (peut-être) réconcilier une partie des joueurs avec leur public ? Dans le cas contraire, le sextuple champion de France aura bel et bien un pied et demi en Ligue 2, et les sept derniers matchs ressembleront plus à un long chemin de croix qu’à une opération sauvetage déjà bien mal engagée.