Le couperet est enfin tombé concernant Valverde. Car il ne pouvait en être autrement pour l’entraîneur espagnol. Honni par les supporters, fossoyeur de l’identité de jeu barcelonaise et premier responsable de deux humiliations successives en Ligue des Champions. Malgré les titres nationaux, le bilan d’Ernesto Valverde apparaît comme difficile à défendre.
Alors, son remplaçant Quique Setién, réputé pour sa philosophie de jeu s’inscrivant dans le romantisme cruyffien et guardiolesque, pourra-t-il faire mieux ?
Un CV plutôt léger compensé par ses idées sur le jeu
La carrière de joueur de Setién est assez correcte avec 374 matchs disputés en première division espagnole. Il a évolué dans quatre clubs : Santander (son club formateur), l’Atletico Madrid, Logroñes et Levante. Sa carrière de milieu axial connaît son apogée lors de la saison 1985-1986, Setien remportant la Super Coupe d’Espagne et participant à la Coupe du Monde 1986 avec la Roja.
Après 19 ans de carrière (1976-1996), Quique Setien raccroche les crampons. Puis ce dernier prend les rênes du Racing Santander en 2002. Il s’en suit une douzaine d’années de galères avec des passages dans des clubs ou sélections méconnues : Logrönes, Guinée Equatoriale et CD Lugo. Ses bonnes performances dans ce dernier club (montée de la D3 à la D2) lui offrent les clés d’une équipe de Liga, Las Palmas. Entre 2015 et 2017 Setien stabilise l’équipe. Il rejoint ensuite le Betis Séville, malgré une première saison magique ponctuée par une 6 ème place, il quitte le club dès sa seconde année du fait de résultats mitigés en championnat, mais surtout en raison de ses mauvaises relations avec les supporters et certains joueurs. Toutefois son expérience au Betis peut être considérée comme positive, car son projet de jeu aura permis de redonner une attractivité sportive et médiatique au club.
Toutefois ce CV modeste et inférieur à celui de ses concurrents (Koeman, Pochettino ou Xavi), ne constitue pas un handicap majeur. Historiquement, le Barca a souvent privilégié des entraîneurs moyennement réputés, ni Rijkaard, Guardiola, Tata Martino, Luis Enrique ou Valverde n’avaient une réputation de coach cinq étoiles. Mais au Barça ce sont les idées qui comptent prioritairement. Car il se veut exceptionnel, hors-norme, “mès que un club” donc. Quique Setien ne s’y est pas trompé « Mon objectif est de gagner tout ce qu’on peut gagner. Il n’y a pas d’autre moyen pour s’améliorer chaque année et conquérir le maximum de titres possibles tout en jouant bien. Le meilleur moyen pour atteindre la victoire est de bien jouer. C’est important ». Car Setién s’inscrit parfaitement dans l’ADN barcelonaise en terme de philosophie de jeu : “Je comprends le football à travers le ballon. Il y en a d’autres qui interprètent le jeu sans le ballon. C’est ainsi que je ressens le football. Je veux gagner mais au fond, je défends aussi cette façon de jouer comme une question d’éthique » (extrait d’une interview donnée à ESPN en 2017). Ce constat est confirmé par Marc Batra, un fin connaisseur du « style Barça ». « Dans ce Bétis, j’ai retrouvé l’entraînement que j’ai effectué avec Guardiola et également avec Luis Enrique. Soudain, tout redevint très familier au travail. Oui, on peut dire qu’il existe un fil qui relie Guardiola à Setién », (extrait d’une interview donnée à El Pais en 2017).
En outre, si il est un tacticien hors-pair du football, Setién est aussi un passionné d’échecs. En effet, le nouveau coach blaugrana a déjà disputé une partie face à l’illustre Gary Kasparov. Cette expérience des échecs, lui permet d’améliorer son anticipation et sa réflexion, en matière de coaching et de management.
Une philosophie de jeu s’inscrivant dans l’ADN du Barça
Quique Setién est intrinsèquement un entraîneur romantique, faisant parti des nombreux enfants laissés par Johan Cruyff dans le football, il prône un jeu de possession et de position barça-compatible. Cette vision claire du ballon rond, lui provient directement de ses affrontements contre la DreamTeam barcelonaise des 90’s. « Tout ce que je représente en tant qu’entraîneur, je le dois à la façon dont j’ai couru après le ballon quand j’ai joué contre le Barça », « J’ai dit à Cruyff que j’aurais donné mon petit doigt pour jouer avec ce Barca ».
Au niveau des principes de jeu, Setién applique à la lettre les préceptes de l’école catalane. Avec une volonté de construire depuis le gardien et les défenseurs centraux quelque soit l’adversaire et le type de pressing utilisé.
Ces derniers doivent favoriser la création de décalages en fixant l’adversaire. En adepte du jeu de position, Setién demande à ses centraux d’orienter prioritairement vers les latéraux qui collent la ligne. Ceux-ci ont pour tâche de chercher les intervalles dans le cœur du jeu, afin de trouver l’homme libre et pour assurer le surnombre, idée-clé chez Setién.
Ces circuits de balles reposent toujours sur cette idée de redoublements de passes courtes, appelés « toque » en Espagne (pour touche de balle), qui offrent un contrôle du jeu et du rythme.
Enfin, l’utilisation maximale de la largeur doit permettre aux ailiers ou aux latéraux de proposer des solutions permettant de renverser le jeu pour créer un déséquilibre
Ces principes se retranscrivent parfaitement dans les chiffres, puisque le Bétis Séville version 2018-2019 détient le record du pourcentage de possession sur une saison (hors Barça) avec une maîtrise moyenne de 62,5%.
Concernant l’animation défensive, Setien a connu deux approches différentes. Premièrement, lors de son passage à Las Palmas avec la mise en place d’un bloc médian qui s’adaptait de manière symétrique au schéma de jeu de l’adversaire. C’est-à-dire que si l’équipe adverse attaque en 442, le bloc équipe doit s’organiser en 442. Puis, deuxièmement la constitution d’un pressing haut s’organisant autour d’un marquage individuel, lors de son mandat au Betis Séville.
On retrouve aussi cette idée d’assurer le surnombre pour récupérer le ballon le plus rapidement possible et les chiffres confirment l’impression visuelle : le Bétis en 2018-2019 était la troisième meilleure équipe de Liga en terme de pressing (derrière Bilbao et Eibar) avec un 8,12 à l’indice PPDA.
Les possibles plans de jeu
« Nous essayons de ne pas avoir un système défini mais il faut avoir la possibilité de changer pour altérer ce qu’attend l’adversaire de nous. Ce qui ne change jamais en revanche, c’est l’essence du jeu : ressortir le ballon depuis derrière, combiner, avancer en se passant la balle ». Par ses mots Quique Setién explique son adhésion à la flexibilité tactique. Les schémas peuvent varier, au contraire des idées et des principes.
On retrouve cette trame tout le long de sa carrière. Adepte d’une défense à quatre à Las Palmas avec une alternance entre le 4231 et le 4141. Setién prend le chemin inverse au Bétis, puisque son organisation reposait sur une défense à trois. Le principe de variabilité tactique le conduisant à utiliser aussi bien le 3421 que le 352 ou le 343.
Si le schéma classique du 433 sera sûrement le plus utilisé par l’entraîneur espagnol, d’autres systèmes peuvent être testés.
La première option est la moins originale, mais c’est peut-être aussi la plus facile à mettre en place. Reconduire le quatuor défensif habituel, en écartant Sergi Roberto au profit de Semedo, qui semble plus apte à entrer dans le style Setien. Et tenter de faire fonctionner le trio Busquets-De Jong-Arthur, sachant que Vidal peut apporter une solution performante en cas de méforme. Enfin les trois attaquants, dans le couloir droit Messi et à gauche Ansu Fati. Si Setien réussit le miracle de relancer Dembelé il pourra là aussi s’offrir une alternative de très haut niveau sur les ailes. Quant à Griezmann, la grave blessure de Suarez lui offre la possibilité d’évoluer là où il est le meilleur, dans l’axe. A lui de s’adapter au jeu exigé par Setien, mais cela paraît assez vraisemblable.
Cette seconde option est moins commune, car le Barça a rarement évolué avec une défense à trois lors des dernières saisons. Mais le 343 était le schéma préférentiel de Setien à Séville. Dès lors il pourrait être reconduit, sans doute de manière ponctuelle. Dans cette hypothèse Umtiti fait son retour en défense centrale aux côtés de la paire Piqué-Lenglet. Et Alba et Semedo deviennent des pistons. Concernant le milieu, l’équation paraît plus complexe car le fait de jouer avec un double pivot exige une intensité physique plus importante que dans un schéma à trois. Or sur ce point, les capacités de Busquets interrogent, mais il semble peu probable de le sortir du onze du fait de son histoire au Barça. A ses côtes de multiples choix sont possibles : privilégier la technique avec De Jong ou Arthur, ou choisir la grinta et l’impact avec Vidal ? Enfin pour l’attaque pas de changements majeurs, le trio Fati-Griezmann-Messi étant reconduit.
Une arrivée sous fond de rivalités politiques
Le romantisme de Setién va, sans doute, faire du bien à l’idée de jeu, toujours, prôné du côté de Barcelone. Seulement, il ne résoudra pas les maux profonds du club. Président du club depuis 2014, Josep Maria Bartomeu continue de bafouer les principes cruyffiens, comme le faisait son prédécesseur Sandro Rosell. Sur le terrain, les résultats nationaux ne sont pas alarmants, mais la manière est complètement absente.
En interne, ce n’est pas plus flamboyant. Si le limogeage d’Ernesto Valverde n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, il fera tout de même dire au taiseux Andrès Iniesta, que “c’est un peu moche”. L’institution continue de se targuer d’une image singulière. Pourtant, elle entre pleinement dans l’internationalisation du football, en se comportant comme une multinationale peu respectueuse de ses valeurs historiques. Le symbole des mandats de Bartomeu étant le départ de la légende Joan Vilà (formateur et tacticien du club) en 2018. Ce dernier, malgré ses quarante-huit années passées au club, quitte le navire à cause d’une divergence d’opinion avec Pep Segura, alors directeur sportif.
Tout cela, se fait sur fond d’élection présidentielle, qui se déroulera en 2021. Josep Maria Bartomeu ne pourra pas se présenter mais Emili Rousaud sera son digne successeur et aura à coeur de continuer la stratégie de l’actuel président. Face à lui, il y aura le très sérieux candidat Víctor Font. Ce dernier s’oppose véritablement à la politique de Bartomeu avec comme alliés de poids, Xavi et Joan Vilà. Xavi, justement, a été appelé par la direction afin de prendre la place de Valverde. Encore plus qu’un choix sportif, c’était avec l’ambition politique de déstabiliser Font, que Bartomeu a voulu faire venir l’icône du club sous sa présidence. Avant Xavi, il a tenté de faire venir une autre légende blaugrana en la personne de Carles Puyol, mais lui aussi a refusé le poste d’entraineur.
Les symboles, Bartomeu sait s’en servir. En témoigne la communication autour de la Masia, en dépit du faible temps de jeu accordé aux joueurs du centre de formation. Où comment instrumentaliser les supporters barcelonais en faisant preuve de populisme. Donc, après avoir essuyé les refus de Puyol et Xavi, Bartomeu et le Barça se sont penchés sur Setién. Ce dernier a, comme nous l’avons vu, un style de jeu qui colle parfaitement à l’ADN du club. Reste à savoir, si son arrivée est seulement politique ou si la direction décide, enfin de vouloir recoller à son identité propre.
L’impératif du résultat, principal obstacle pour Setién ?
Car, malgré la tradition du beau jeu barcelonais, ce sont les résultats qui conditionneront l’avenir de Setien chez les blaugranas. Au coude-à-coude avec le Real en championnat, avec trois points de retard mais un match de joué en moins, le Barça est aussi qualifié en 8 ème de finales de la LDC face au Napoli et le club catalan entre en lice le 22 janvier en Coupe du Roi contre Ibiza. Si Quique Setién veut pouvoir poursuivre son expérience à Barcelone, il doit à tout prix éviter une saison blanche, comme Tata Martino en 2014. Le meilleur résultat possible, étant de remporter la Ligue des Champions qui échappe aux catalans depuis 2015.
Pour atteindre ses objectifs, Setién doit prioritairement redonner au jeu du Barça un côté cruyffien et guardiolesque. Mais il doit aussi rendre la défense barcelonaise plus solide, car pour l’instant celle-ci est trop friable avec 1,21 buts concédés par match, en moyenne. Offensivement, Setién devra se passer de Suarez pour le reste de la saison, d’où la nécessité d’installer enfin Griezmann en pointe, avec aussi l’objectif de relancer ce dernier.
Enfin Setien doit réussir à motiver son groupe et à faire adhérer les joueurs à son projet de jeu. Sur ce point, on peut-être plutôt optimiste, comme en témoignent les signes de respects accordés par Busquets et Messi envers Setién.
En définitive, l’arrivée de Quique Setién au Barça est une très bonne chose, car dans un football toujours plus axé sur les transitions, d’un point de vue sportif et internationalisé économiquement, le club catalan a choisi de renouer avec son identité. Et lorsqu’on est amateur de football, cela vaut tout l’or du monde.
Par Maël Kebabsa et Enzo Leanni