L’adage de la vie quotidienne nous pousse souvent à énoncer la maxime suivante : « une image vaut mieux qu’un long discours ». Dans le football, plus précisément dans le stade, le parallèle est sans doute simple à trouver, celui-ci s’incarnant dans la voix des supporters et en chanson. Cette dernière, bien plus prenante et significative que n’importe quelle tirade amoureuse, est l’émanation à la fois d’une passion, mais aussi d’un combat, d’une culture, voire même d’une histoire. Cette émotion particulière se signale cruellement par son absence. Oui, les chants se font actuellement moins bruyants car touchés par les mesures sanitaires, mais aussi par d’autres facteurs, supportéristes notamment.
La victoire du Racing Club de Lens, le 10 septembre dernier, face au récent finaliste européen qu’est le Paris Saint-Germain, peut sembler ingrate, ou du moins, irréelle. Hormis la surprise sportive dont elle relève, c’est le contexte particulier entourant la rencontre qui frappe. Celle-ci se déroula dans un stade Bollaert qui sonnait désespérément creux avec ses 5000 spectateurs. En effet, les mesures sanitaires actuelles empêchent le plus grand nombre de se rendre dans les stades.
Pour certains, les longs mois de disettes se poursuivent donc. Pour d’autres, la situation peut sembler bien plus amère, lensois en tête. Une majeure partie du peuple sang et or fut privée de ce qui a été le premier but de leur équipe fétiche en Ligue 1 depuis dix années. Ce but, marqué à la 57ème minute par l’attaquant Ignatius Ganago, restera dans les mémoires comme celui d’une soirée dans laquelle « Les Corons » se firent bien moins vibrants qu’à l’accoutumée.
Cette chanson iconique de Pierre Bachelet, symbole culturel et cultuel de tout un club et de ses supporters, est l’un des exemples absolus de ce que renferme un chant supportériste. Un chant qui renferme une dimension bien entendu sportive, mais aussi culturelle et historique, s’incarnant dans les voix et les coeurs de tout un peuple, au début de la deuxième mi-temps des matchs à domicile. Mais aussi, parfois, à l’extérieur, comme ce fut le cas plusieurs fois à Saint-Etienne, ville partageant une histoire minière semblable à celle du Nord.
Ces souvenirs et images sont celles d’un monde que certains qualifient d’ « avant » en opposition à celui d’ « après ». Tout ceci relève d’une simple bataille de chapelles. Qu’importe ce débat, car en attendant les stades se font moins intenses et fervents, comme évoqué plus haut. Au-delà de la crise sanitaire qui nous touche et des mesures en découlant, nombre de groupes de supporters ultras français décidèrent l’arrêt de leurs activités. Ces derniers considérant comme inconciliable les pratiques qui sont les leurs et les mesures sanitaires en vigueur.
Solidarité et responsabilité
En effet, nombreux sont les groupes de supporters qui prirent d’importantes décisions dans cette période exceptionnelle, affectant tant la vie du terrain que celle des tribunes populaires. Ces décisions, pour la plupart, concernaient l’arrêt des activités en tribune. Un geste loin d’être anodin, notamment dans la culture ultra, bien souvent motivé par une activité en baisse ou par un évènement notable.
Les lensois sont de ceux-là. Les Red Tigers, principal groupe ultra du club nordiste, annonçaient via une lettre publique adressée aux joueurs et dirigeants lensois le 12 août dernier qu’ « au regard de la crise sanitaire et des mesures en découlant, il nous apparaît impossible de reprendre nos activités supportéristes pour le moment ». Ladite lettre précise qu’une telle décision fut pénible à prendre car le Racing est pour eux une « addiction ». Il en est de même pour leurs homologues du Kop Sang et Or, autre groupe lensois à tendance ultra, qui annoncèrent pareille décision le 8 août.
Au cours de la seconde partie du mois d’août le mouvement fut global et toucha les différentes divisions françaises. Les Magic Fans, l’un des deux groupes ultras stéphanois, annoncèrent leur intention de ne pas se rendre au stade Geoffroy-Guichard. Les Merlus Ultras, groupe supportant le FC Lorient, déclarèrent également une cessation de leurs activités, au Moustoir comme à l’extérieur. Ces groupes sont parmi tant d’autres à prendre de telles et lourdes décisions. Une attitude qui peut s’expliquer par la solidarité dont témoignèrent ces groupes lors du summum de cette crise. Une solidarité qui s’exprima par le biais de banderoles et de cagnottes en soutien au personnel hospitalier notamment. C’est d’ailleurs l’un des arguments évoqués par les Magic Fans dans leur communiqué datant du 21 août : « en respect aux malades et aux soignants toujours mobilisés que nous avons soutenus ».
Des actions et des paroles qui font partie intégrante de l’ADN et de l’histoire de ce mouvement, car ces groupes se considèrent comme des acteurs à part entière d’une communauté, d’une ville, voire d’une région. Pourtant, le mépris chronique concernant les supporters de football, ultras ou non, fit vite sa réapparition ces derniers jours et semaines.
Le mépris, encore et toujours
Le 17 juillet dernier, le PSG recevait en amical les belges de Waasland-Beveren. Alors que le football s’était arrêté depuis de longs mois en France, il fut permis à un nombre réduit de supporters d’assister à la rencontre dans les travées du Parc des Princes. Parmi-eux, certains ultras des différentes composantes qui forment le Collectif Ultras Paris. Dans la soirée et dans les jours qui suivirent, l’attitude des ces derniers fut pointée du doigt, notamment par le Ministère des Sports. Encore une fois, les ultras et par extension les supporters en général, étaient les coupables parfaits. Certains déclarèrent que les condamnations furent bien moins vindicatives vis-à-vis des foules dansantes de la Fête de la musique, qui se déroula quelques semaines auparavant.
Il est amusant, mais surtout révélateur, de constater qu’une polémique d’un autre ton éclatait pratiquement un an jour pour jour en arrière. Celle-ci concernait la place de l’alcool dans les stades. Alors que certains stades faisaient office de lieux de test pour sa réintroduction éventuelle, la Ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, se disait opposée à ce retour : « La ferveur n’a pas besoin d’alcool pour s’exprimer dans nos stades ». Des députés de la majorité souhaitaient assouplir les dispositions de la Loi Evin de 1991 qui interdit la distribution de boissons alcoolisées dans tous les établissements d’activités physiques et sportives.
Cependant, la polémique révélait l’injustice de classe ayant cours dans les stades, car les dispositions de ladite loi Evin accordent des dérogations aux associations sportives qui sont bien souvent utilisées dans les loges VIP, ou siègent spectateurs fortunés et partenaires commerciaux. Dans le même temps, l’alcool est banni des tribunes populaires, établissant ainsi le traitement différencié des supporters de par leur position dans le stade.
Les supporters les plus actifs, ultras et plus classiques, sont analysés par le biais d’un jugement de valeur les supposant comme plus turbulents et moins responsables. Les questionnements récents autour du rehaussement des jauges pour des rencontres de rugby et de tennis démontrent un peu plus l’image que possèdent les pouvoirs publics du supporter de football et de ce sport en général. Alors que les ultras se montrent bien souvent plus raisonnables et impliqués que les instances footballistiques et autres pouvoirs publics, ils se retrouvent vilipendés. Comme ce fut le cas pour les occupants du Virage Sud du stade René Gallice – lors de la rencontre opposant girondins et lyonnais le 11 septembre – pour un supposé non respect des consignes alors que ceux des tribunes latérales semblaient, eux, bénéficier d’une clémence déplacée. L’ironie fut complète lorsque les écrans d’informations du stade rappelaient l’interdiction des chants vulgaires alors que lesdits chants réclamaient la démission de Frédéric Longuépée, actuel président des Girondins de Bordeaux.
Ces polémiques et ces différentes attitudes sont à replacer dans un contexte global. Celui d’un football français maltraitant les supporters les plus impliqués et les plus populaires. La multiplication des diffuseurs du championnat et les prix qui en découlent sont un autre de ces phénomènes s’intégrant dans une évolution globale qui entrevoit le supporter comme un simple consommateur chantant. Des chants qui sont utiles dans les bandes-sons et agréables à l’image lorsque accompagnés d’animations diverses mais qui ne sont jamais considérés à leur juste valeur, surtout quand ceux-ci dérangent.
Le supporter passionné est admirable lorsqu’il chante, bien moins lorsqu’il conteste. D’ailleurs, quand ce dernier ne peut entrer, faisons en sorte de laisser passer le client émerveillé, adroit pour consommer. Cette dernière affirmation, qui se veut presque devise, s’est vérifié de manière insidieuse, mais scandaleuse, le 19 septembre dernier lors du match Hanovre-Karlsruhe. En effet, alors que les fans ne pouvaient assister au match de leur équipe, près de 500 VIP et autres sponsors profitèrent de la rencontre. Une banderole, à l’extérieur du stade, soulignait de manière ironique la conception mercantile du football que se font certains dirigeants : « L’argent est le langage du coeur ». Le mépris fut spectaculaire, mais cet épisode n’est que le représentant d’une série qui, malheureusement, s’allonge et perdure.
Au cours du match mêlant lensois et parisiens, au sein d’une tribune Marek vide, une banderole des Red Tigers rappelait l’évidence suivante : « 5000 devant vous, toute une région sang et or derrière vous ». Cette dernière nous remémore que le football est, et doit demeurer une pratique sociale et populaire. Si les chants s’arrêtent un temps, c’est pour mieux décerner une importance qui n’est pas seulement folklorique. Ils renferment des émotions, mais aussi des combats et une certaine idée du football, celui pour tous.
Illustration : Théo Mazars