Responsable des études économiques au centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, Christophe Lepetit affirme la nécessité pour le football de changer son modèle afin d’intégrer les contraintes environnementales et nous apporte ses pistes de réflexion.
La transition écologique et les questions environnementales sont devenues un enjeu et un défi majeurs pour l’économie et les économistes. Qu’en est-il pour les économistes du sport ?
C’est un sujet que plus personne ne peut occulter. La transition écologique et la réduction de notre empreinte carbone ne sont plus des options mais des obligations. Je fais partie des économistes qui pensent que la croissance infinie dans un monde aux ressources naturelles épuisables constitue une totale utopie. Le sport, dont le sport professionnel, ne doit pas faire l’économie d’intégrer ces éléments dans sa réflexion et dans son organisation. Une fois que ceci est dit, force est de constater que le sport, en particulier le sport professionnel, est très en retard et s’éveille seulement à ces sujets. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour voir des actions importantes qui ne se cantonnent pas au green-washing. Pour le moment, les contraintes environnementales ne sont pas assez intégrées dans la réflexion et dans l’organisation du sport professionnel. Par définition, l’intégration de ces contraintes amènera un changement du modèle d’organisation du sport professionnel.
.Quels sont leviers économiques et politiques pour enclencher ce changement de modèle ? Comment véritablement engager les acteurs du football professionnel dans cette dynamique ?
D’abord, il faut une prise de conscience généralisée au plus haut niveau des instances organisatrices du football professionnel. Malheureusement, d’un point de vue de la gouvernance, les sujets environnementaux ne sont pas suffisamment intégrés quand l’organisation des rencontres est pensée. Avant tout, elle est réfléchie pour satisfaire les diffuseurs et les consommateurs, mais pas pour intégrer un monde où il fera potentiellement 4 degrés supplémentaires à l’horizon 2100. Ce changement de paradigme doit se faire au plus haut niveau de façon volontariste afin de garantir une action durable. Force est de constater que cette action volontaire n’existe pas. Donc, d’autres solutions sont à imaginer, comme celle de passer par la contrainte. Celle-ci peut se faire par exemple contre l’utilisation de la luminothérapie qui est une catastrophe environnementale, l’utilisation de certains engrais et pour une limitation de l’eau. Il est aussi possible de limiter l’usage de l’avion pour des déplacements qui peuvent se faire en train. De nombreuses choses pourraient se mettre en place de manière simple et ce n’est pas le cas car il n’y a pas de prise à bras le corps de ces sujets. Je suis pessimiste sur le fait que cela soit fait de façon volontaire, donc il faudra nécessairement passer par la contrainte ou l’incitation financière.
Cette régulation des externalités environnementales négatives du football doit-elle venir des instances nationales, voire européennes ?
Complètement. Le football est organisé de façon pyramidale avec une fédération internationale, des confédérations continentales et des fédérations nationales. Chacune, à leur niveau, peuvent prendre des mesures de régulation pour intégrer la contrainte environnementale dans les usages des acteurs du football. A cette régulation descendante des fédérations qui s’appliquent sur les clubs peut s’ajouter une régulation à plus bas niveau, provenant des clubs eux-même. Il faut espérer ces deux mouvements. Cela s’applique également à la société. Une prise de conscience généralisée permettra que des actions soit prises par les instances nationales et internationales mais aussi à travers des actions volontaristes de certains clubs.
.Quelles peuvent être les formes d’incitation économiques pour rendre les clubs plus propres ?
L’UEFA, la Ligue de football professionnel et les ligues nationales possèdent des programmes d’octroi de licences, qui pourraient intégrer des incitations environnementales. Une rubrique « environnementale, sociale, sociétale » devrait être intégrée à ces programmes qui existent avant tout pour aider les clubs à se structurer. Ils pourraient aussi accompagner les clubs dans leur transition écologique. La répartition des dotations de ces programmes s’envisagerait ainsi selon une notation des clubs en fonction de leur politique environnementale, sociale et sociétale. Dans un premier, cela pourrait être mis en place de manière simple et atteignable pour, chemin faisant, se renforcer et devenir réellement un élément différenciant entre les clubs.
.Une taxe sur les transferts pour financer la transition écologique du football est-elle envisageable ?
Cela pourrait s’imaginer. On parle beaucoup de taxer les transferts à différents niveaux. Mais il serait également possible de mettre en place un soft salary-cap, comme cela peut se faire aux Etats-Unis. Si un club dépasse ce salary cap, le salaire serait taxé pour abonder un fonds finançant des programmes de transition écologique ou des actions à vocation sociale ou de solidarité. C’est une manière habile de contraindre les clubs et d’accompagner la transition écologique.
.Il est vrai que les clubs en France multiplient les initiatives écologiques, en particulier pendant cette période de crise sanitaire. On ne sait pas vraiment si cela relève de la communication et du marketing ou d’une véritable volonté de changer de modèle. Alors que les clubs sont en compétition sur tous les terrains, un classement des clubs les plus verts, à l’instar du classement des tribunes, serait-elle une idée possible ?
Oui, tout ce qui va dans ce sens est bon à prendre. Dans l’univers sportif, le côté compétitif l’emporte souvent quel que soit le type de classement. Il existe déjà le classement des tribunes et le classement des pelouses. Les clubs ont souvent envie de bien figurer dans ces classements, même s’ils sont honorifiques. Si nous parvenons à mettre en place une matrice permettant d’élaborer un classement environnemental des clubs de football, cela leur servirait pour progresser. Ils n’auraient pas envie de faire dernier et pourraient valoriser leur bonne position auprès de leur partenaires et leur supporters. Aujourd’hui, la population est en demande d’une modification des comportements.
.Le football européen commence à vouloir délocaliser des rencontres hors Europe. La France le fait avec le trophée des Champions et la Liga y réfléchit sérieusement. Le football est le produit mondialisé par excellence. Les impacts environnementaux sont énormes. Comment relocaliser le football ?
Objectivement, le déplacement des équipes et des supporters est un vrai sujet. On parle des championnats, on pourrait aussi parler des Coupes du monde et des Euros. Il faut nécessairement penser à un autre modèle car demain il sera plus difficile de se déplacer, notamment à cause de la contrainte financière. Sur ce sujet, si on veut radicalement changer les choses, il faudrait tout revoir. Les formules des championnats seraient à réinventer pour limiter au maximum les déplacements.
Les délocalisations des matchs ont un sens économiquement puisqu’elles permettent d’aller sur des marchés nouveaux. Sur le plan environnemental, c’est en revanche une hérésie. Quand on pense à un Barça-Real en Chine, cela génère beaucoup de déplacements. Un arbitrage est à faire entre les actions de développement économique et les sujets environnementaux. J’espère voir des acteurs refuser des opérations profitables financièrement pour des raisons écologiques, comme a pu le faire par exemple le groupe de musique Coldplay qui a renoncé sa tournée pour retravailler l’impact environnemental de ses concerts.
.Lorsque l’on voit l’organisation de la Coupe du monde au Qatar, en plein désert, on ne perd pas espoir dans la capacité au football à se transformer alors que les enjeux financiers surpassent les enjeux écologiques ?
Je ne sais pas s’il faut perdre espoir. Certains accords de libre-échange en économie générale sont tout aussi déconnectés des réalités environnementales. Effectivement, c’est un mauvais signal envoyé d’aller jouer une Coupe du monde au Qatar dans des stades qui disposent de systèmes de refroidissement consommateurs en énergie et qui génèrent des déplacements importants de populations. Soit on perd espoir et on considère que les enjeux financiers dépasseront toujours les enjeux environnementaux. Soit on a une vision plus positive et considère que l’humanité va réagir.
.Caviar a consacré son deuxième numéro au football des campagnes. Comment le football rural et amateur peut-il progresser en matière écologique ?
Il doit progresser. A l’échelle globale, le football amateur est consommateur par sa masse de pratiquants. Il y a deux millions de licenciés en France. Ce sont des centaines de milliers de matchs organisés chaque année avec les déplacements inhérents. Ils sont microscopiques si on compare avec un déplacement entre la France et la Qatar mais ils se réalisent chaque week-end et partout. Encore une fois, il faudra réfléchir à de nouveaux formats d’organisation. Aujourd’hui, les compétitions sont calquées sur des limites géographiques administratives. Peut-être, il faut envisager des organisations plus locales avec des championnats qui se déroulent sur des territoires moins étendus ou se calquer sur des bio-régions.
Par ailleurs, il ne faut négliger que la pratique du football amateur va être impactée par le changement climatique. Il faut un environnement de qualité pour pouvoir pratiquer le football. Si les températures augmentent, il ne sera plus possible de faire du sport comme aujourd’hui parce qu’il fera plus chaud, que l’entretien des terrains sera plus compliqué, que des maladies se développeront et que la pollution atmosphérique rendra peut-être même la pratique sportive dangereuse pour la santé. Le football amateur doit aussi faire cette révolution écologique. Elle passe par une réflexion assez profonde sur les usages, sur l’organisation des compétitions et des déplacements et sur l’entretien des terrains.
Propos recueillis par Guillaume Vincent.