Niché au pied des volcans d’Auvergne, le Clermont Foot roule sa bosse en Ligue 2 depuis une quinzaine d’années. Racheté au printemps 2019 par Ahmet Schaefer, homme d’affaires suisse, le club se veut de plus en plus ambitieux, visant une montée en Ligue 1 à moyen terme. Caviar se penche sur ce projet original, avec les témoignages de Lorenzo Rajot, milieu de terrain du club, et Jérôme Champagne, ancien dirigeant de la FIFA, aujourd’hui conseiller du Président Schaefer.
L’Auvergne passe à l’heure suisse
C’est un rachat qui n’a pas fait grand bruit dans la sphère professionnelle française. Une arrivée presque sur la pointe des pieds, ou tout du moins pleine d’humilité. Quand Ahmet Schaefer prend officiellement le contrôle du club, son ambition transpire dès ses premières prises de paroles : ” Le but est de jouer régulièrement les play-offs et de faire monter le club en Ligue 1 d’ici 3 à 5 ans “. Certes, mais comment ? En investissant lourdement afin d’attirer des grands noms, style PSG version Qatar ? Que nenni. Le Suisse ne voit pas les choses sous cet angle et débarque accompagné de sa garde rapprochée (Jérôme Champagne, ancien dirigeant et candidat à la présidence de la FIFA, Ingo Winter, recruteur allemand qui a dirigé les cellules de plusieurs écuries de Bundesliga ou encore Yannick Flavien pour s’occuper des finances). Une équipe qui annonce “ne pas vouloir faire de révolution “.
Jérôme Champagne explique le choix du Clermont Foot : ” On a prospecté partout à travers l’Europe afin de trouver le club idéal. On avait plusieurs critères qui nous semblaient essentiels. Il fallait un club sain économiquement, qui marchait déjà bien avant notre arrivée. Le but n’est pas de tout chambouler, mais d’apporter notre expérience en complément. On a dû exclure un certain nombre de clubs qui avaient des actionnariats compliqués ou des relations difficiles avec la municipalité par exemple. La France restait la priorité, notamment grâce à l’historique proximité entre les peuples français et suisse. Ensuite, on a regardé la région. L’Auvergne possède de nombreuses similarités avec la Suisse. Ce sont des régions montagneuses avec des populations travailleuses et discrètes. C’est une ville très familiale et dynamique. Cela a aidé à faire pencher la balance. “
Le message est clair : ne pas rompre avec les quatorze années de présidence de Claude Michy, mais apporter de l’expérience en complément. Toutefois, si Clermont reste le cœur du projet, le club est au centre d’une alliance de clubs voulue par Ahmet Schaefer. Peu de temps après Clermont, le Suisse est devenu copropriétaire minoritaire de l’Austria Lustenau, équipe de D2 autrichienne. Un investissement guidé par des raisons sportives (le club a terminé troisième en 2018-2019) mais aussi par la proximité culturelle, une fois de plus, avec la Suisse. Des similarités également géographiques et sociologiques entre le pays d’origine de Schaefer et l’Auvergne ont fait de l’Austria Lustenau le candidat idéal pour devenir le deuxième maillon d’une chaîne en construction.
Clermont – Lustenau – Vendyssel : plus forts ensemble
Cette semaine, une troisième pierre est venue s’ajouter à l’édifice avec l’officialisation du partenariat avec le club danois du Vendyssel FC. Évoluant également en D2, l’écurie anciennement tenue par le père de Joachim Andersen, défenseur de Lyon, rejoint l’alliance créée par Core Sports Capital, la société d’Ahmet Schaefer. Cette alliance de trois clubs se traduit à tous les niveaux. Sur le terrain, les deux clubs partenaires de Clermont se doivent à présent d’appliquer le même projet de jeu que celui de Pascal Gastien. Pour cela, des nouveaux coachs ont été recrutés et formés lors d’une visite à Clermont-Ferrand début août. Au-delà du plan de jeu, ce partenariat d’entraide vise à faire progresser les trois entités en se servant de l’expérience des autres. Un accord gagnant-gagnant qui permet également au Clermont Foot d’envoyer ses jeunes joueurs en prêt dans des clubs où ils pourront gagner du temps de jeu à un certain niveau, tout en jouant avec la même philosophie que leur club parent.
Avant de s’exporter à l’étranger, Schaefer et son équipe ont mis le paquet sur le Clermont Foot, pierre angulaire du système qu’ils souhaitent développer. Une véritable dynamique s’est créée autour du club, grâce à de nombreuses améliorations apportées par la nouvelle direction. La structure s’est encore plus professionnalisée, notamment en améliorant sa communication. La récente annonce des nouveaux maillots peut en témoigner. Alors que la statue de Vercingétorix qui trône sur la Place de Jaude a été, pour un temps, habillée aux couleurs du club à l’occasion de l’anniversaire des trente ans, la façade de l’opéra et d’un centre commercial ont été vêtues de gigantesques reproductions des nouvelles tenues. Une campagne marketing qui n’a pas manqué de taper dans l’œil des badauds. Jérôme Champagne se félicite ainsi des différentes opérations marketing réalisées autour du club (abonnement à 30€ pour les personnes nées en 1990, année de création du Clermont Foot, tarifs étudiants préférentiels…). Il annonce, sur la saison écoulée, une hausse de 150% des recettes liées à la vente de maillots, mais également +56% sur les chiffres de la buvette les jours de matchs. De jolies statistiques qui s’expliquent notamment par une forte hausse de l’affluence moyenne au Stade Gabriel-Montpied (+20% par rapport à 2018-2019, augmentation record Ligue 1 et Ligue 2 confondues). Toutefois, le marketing ne fait pas tout, un stade ne se garnit pas uniquement à coup d’opérations commerciales, mais également à la faveur de performances majuscules de l’équipe. Et de ce côté-là Clermont n’a pas à rougir.
Clermont, le beau jeu avant tout
“ Ici, les joueurs viennent pour la qualité de jeu et le projet mis en place “. Lorenzo Rajot, milieu de terrain du Clermont Foot, donne tout de suite le ton. Oui, Clermont est reconnu depuis plusieurs saisons pour son jeu léché, basé sur la conservation du ballon. Un style propre à Pascal Gastien, qui en a fait son credo. Le coach clermontois peut se féliciter d’avoir posé avec succès sa patte sur le jeu de son équipe, puisqu’il a été nommé meilleur technicien de Ligue 2 en 2018-2019. Le natif de Rochefort a bien failli réussir le pari fou de mener son équipe jusqu’en Ligue 1, mais pandémie de COVID oblige, les espoirs auvergnats se sont brutalement envolés. Pourtant, les Clermontois réalisaient jusque-là une saison majuscule, guidés par Adrian Grbic, le canonnier autrichien auteur de 17 réalisations en championnat. Pointant à la 5ème place à quatre points du leader Lorient à l’arrêt du championnat, le Clermont Foot conservait toutes ses chances de montée directe. Malgré un recours déposé avec Troyes et Ajaccio (3ème et 4ème lors de l’interruption), les hommes de Gastien n’ont pas pu disputer les play-offs comme ils le demandaient. Une décision difficile à comprendre pour Jérôme Champagne : “A partir du moment où on a joué les finales de Coupe de France et de Coupe de la Ligue début août, on a du mal à comprendre pourquoi il n’était pas possible de jouer les play-offs, même sans public”.
Ce sera donc une treizième saison consécutive dans l’antichambre de l’élite pour les Rouge et Bleu. Dans le contexte actuel, difficile de se préparer au mieux à reprendre après plus de cinq mois d’arrêt. “On n’a pas pu faire tous les matchs de préparation, avec deux matchs annulés à cause du COVID, on n’est pas à 100% de notre forme physique. Ça viendra au fil de la saison” promet Lorenzo Rajot. En effet, Clermont n’a pas pu disputer ses joutes amicales prévues contre Montpellier et Orléans après que les deux clubs aient annoncé des joueurs contaminés au sein de leurs effectifs. Une préparation tronquée après une aussi longue coupure ne facilite pas la création d’une dynamique positive à l’aube d’un exercice 2020-2021 qui s’annonce déjà inédit. Quand on lui parle d’un objectif de montée à la fin de saison, Lorenzo Rajot reste toutefois prudent : “Comme tous les clubs de Ligue 2, on est optimistes même si on ne nous a pas encore parlé d’objectifs précis, le but c’est de se maintenir le plus vite possible. Ensuite, si on retrouve la dynamique de la fin de saison dernière, tout est possible. Cette année, il y a une grosse densité. J’ai l’impression que les vingt équipes veulent jouer les play-offs. C’est un championnat compliqué où il faudra réaliser des séries positives pour se retrouver en haut. Je pense que notre effectif est suffisamment qualitatif pour y parvenir”. Pour ce faire, Clermont a misé, comme à son habitude, sur sa très efficace cellule de recrutement.
Une cellule de recrutement top niveau
“Le Clermont Foot est connu pour être une plateforme. Nous avons eu des joueurs très talentueux notamment au niveau des gardiens et des buteurs. L’équipe de recrutement est la même qu’avant notre arrivée, nous y avons seulement ajouté Ingo Winter, venu apporter son réseau.” martèle Jérôme Champagne. Difficile de lui donner tort. Ces dernières années, le Clermont Foot a toujours pu compter sur des gardiens de grande qualité (Paul Bernardoni, Maxime Dupé, Rémi Descamps) prêtés par des clubs de Ligue 1. Aujourd’hui, c’est Arthur Desmas qui s’est engagé libre, après une saison pleine à Rodez. Au niveau des buteurs, Clermont est une usine à talents. Idriss Saadi, Famara Diedhiou, Ludovic Ajorque, Florian Ayé, Adrian Grbic, pour ne citer qu’eux, ont explosé en Auvergne. Souvent méconnus, voire totalement inconnus, leurs passages à Clermont se sont conclus par des transferts dans des écuries plus prestigieuses en Ligue 1 ou ailleurs en Europe.
Clermont est devenu expert dans le recrutement malin. Doté d’un des plus faibles budgets de Ligue 2 (6 millions avant le rachat par Schaefer, 11,5 aujourd’hui), le club sur-performe quasi-exclusivement grâce à des transferts de joueurs en fin de contrat. Les dépenses sont quasi nulles et le peu qui subsiste est amorti par les plus-valus réalisées (Grbic vendu en juillet pour 9 millions d’euros à Lorient, record de vente). Cet été, le mercato a été relativement calme, trois joueurs seulement ont signé. Outre le gardien Desmas, Jodel Dossou, un ailier polyvalent béninois qui évoluait en Autriche, a rejoint le navire clermontois, convaincu par Cédric Houtondji, son coéquipier en sélection. Enfin, le jeune Jordan Tell, en fin de contrat à Rennes, a rallié l’Auvergne avec la lourde tâche de faire oublier Grbic en pointe de l’attaque. Toutefois, le club peut également compter sur les retours de prêt de Rajot au Mans et de Bayo à Dunkerque. Ce dernier, jeune buteur formé au club, a été l’artisan de la montée dunkerquoise en Ligue 2 avec 12 réalisations. Pour Rajot, justement, le mercato est réussi : “Cet été, la majorité des cadres sont restés, c’est pour moi un mercato réussi. Quelques joueurs sont arrivés pour apporter un plus, mais la plus grande réussite a été de conserver la majorité des cadres.“
Un Grand Stade à venir
S’il est un domaine dans lequel le Clermont Foot a des progrès a réaliser, c’est sans aucun doute au niveau des infrastructures. Malgré une sensible hausse de l’affluence moyenne, le stade Gabriel-Montpied peine à se remplir. Avec un peu plus de 3 000 spectateurs en moyenne la saison passée, le Clermont Foot végète dans le bas de tableau des publics de Ligue 2. “Nous partons de bas, de très bas, mais nous croyons à la possibilité d’augmenter significativement notre affluence”, concède Jérôme Champagne. Pas facile pour le club de se faire une place dans une ville acquise au rugby et à l’ASM, fierté de la région. Pourtant, Lorenzo Rajot y croit :
“Plus les résultats sont bons, plus les gens viennent au stade. C’est à nous de faire en sorte que les gens aient envie de venir. Je suis convaincu qu’il y a la place pour le rugby et le foot à Clermont.”
Lorenzo Rajot, milieu de terrain du Clermont Foot
Une mentalité de bon augure surtout que le stade Gabriel-Montpied va subir un grand lifting à l’été 2021. Sous l’impulsion du maire Olivier Bianchi, largement réélu en juin, qui porte dans son programme un projet d’agrandissement du stade jusqu’à 30 000 places, les travaux de la première phase débuteront à la fin de la saison. Cette première étape, votée par le conseil métropolitain en 2018, amènerait le stade à 16 000 places, avec la construction d’une tribune Est en face de la principale dotée de 6 000 places assises. Un projet faramineux qui ne devrait pas aboutir avant l’été 2024. A terme, la construction de deux tribunes derrière les buts sera soumise au vote du conseil métropolitain. Si le projet arrive à son terme, l’enceinte devrait pouvoir accueillir jusqu’à 30 000 places assises, pour un coût total estimé aux alentours de 60 millions d’euros. Une aubaine pour le club, pour la ville et pour l’ASM qui pourrait en bénéficier pour jouer ses matchs de Coupe d’Europe, jusque-là délocalisés.
L’unique interrogation qui subsiste concerne la rentabilisation d’un tel projet. Le cas du Mans, notamment, interpelle. La MMArena, construite en 2011, n’a pu être rentabilisée pendant des années à la suite de la liquidation judiciaire du club du Mans en 2013. Lorenzo Rajot, qui revient d’un prêt dans le club de la Sarthe, ne pense pas qu’un destin similaire puisse arriver à Clermont :
“Au Mans, le stade n’était certes pas rempli mais il y avait une bonne affluence de Ligue 2 et on sentait le public qui était vraiment derrière nous. Pour moi, si Clermont veut franchir un cap, il doit se doter d’un stade et d’infrastructures de meilleure qualité pour attirer des gros joueurs. C’est ce qui freine encore, pour moi. Ce déficit au niveau des infrastructures pénalise un peu le club.”
Lorenzo Rajot, milieu de terrain du Clermont Foot
A l’aube d’une nouvelle saison en Ligue 2, le Clermont Foot se pose comme un outsider dans la course à la montée. Racheté il y a un an par le Suisse Ahmet Schaefer, le club auvergnat se développe rapidement. Aujourd’hui les planètes semblent enfin alignées pour que le volcan clermontois se réveille. A la tête d’une surprenante alliance de clubs, le Clermont Foot prend du poids dans le monde du ballon rond. La saison de Ligue 2 a repris ce week-end par un 0-0 contre Caen, mais nul doute qu’on verra les hommes de Pascal Gastien lâcher les chevaux comme ils l’ont fait la saison dernière. Histoire de remettre les pendules de Ligue 2 à l’heure suisse. Affaire à suivre…
Cyprien Juilhard