L’espace d’une soirée, le temps s’arrête à Milan. 90 minutes de magie, 90 minutes de folie et surtout 90 minutes symboles d’une rivalité à toute épreuve. Sur la pelouse de Giuseppe-Meazza, le football laisse place à l’irréel, le match s’efface pour le derby, la tactique se soustrait à l’analyse et la magie d’un sport transcende tout un peuple.
Entre les murs de la capitale transalpine de la mode, l’AC Milan et l’Inter se sont livrés une véritable lutte à mort, qui se solde sur une victoire intériste par 2 buts à 0. Tentative d’analyse d’une rencontre aux enjeux fondamentaux…
Un derby, ça se gagne : chronique d’une première mi-temps à l’intensité démesurée
Dans un véritable duel tactique, Giampaolo et Conte s’opposent frontalement dès l’annonce des deux 11. D’un côté, l’Inter se présente sans surprise dans son traditionnel 3-5-2 du début de saison, avec Candreva et Politano remplacés numériquement par Godin et Barella. De l’autre, le Milan AC opte pour un 4-3-1-2 avec la recrue Léao alignée pour la première fois en Serie A. En termes d’animation de jeu, l’entame de match nous fait vite remarquer une nette opposition de styles…
Dès les premières minutes de jeu, l’Inter impose une pression monstrueuse sur son adversaire du jour. Dans l’optique de monopoliser le ballon et d’empêcher le Milan de relancer, les hommes de Conte pressent haut, avec intensité et dévouement, et ce sur toute la largeur du terrain. La paire Barella-Brozovic s’oppose ainsi à une timide association défensive Kessie-Biglia, tandis que Sensi et Calhanoglu disposent d’une totale liberté de mouvement en phase offensive. Ainsi, l’Inter termine le 1er quart d’heure avec presque 70% de possession de balle, dont plus d’1/3 dans la moitié adverse.
Logiquement, cette écrasante domination intériste débouche sur des situations plus que dangereuses dans la surface milanaise. Ainsi, Lautaro récupère un ballon aux 20 mètres sur une grossière erreur de Rodriguez, et passe proche d’ouvrir la marque face à un Donnarumma déjà chaud. Puis, au sein d’un pressing tout terrain qui ne faiblit pas, Lukaku se voit offrir une magnifique transition dans la profondeur et butte également sur le jeune international italien, décidément en feu dans cette 1ere mi temps. L’utilisation intériste de la profondeur symbolise ici un cruel manque de coordination dans la défense milanaise, que Stefano Sensi exploite peu après l’occasion de Lukaku pour servir Lautaro en retrait, mais celui-ci se heurte à une nouvelle désillusion en voyant son tir contré par un Donnarumma des grands soirs.
Pourtant, ce derby de la Madonnina ne pouvait pas en être un sans une réaction milanaise. Et celle-ci aurait bien pu faire regretter aux intériste leur manque de réalisme devant le but. En effet, après 25 minutes fantomatiques, l’international turc Hakan Calhanoglu se réveille et décide de porter le jeu de son équipe vers l’avant. Dans un trio avec Suso et Léao, il impressionne de par sa vista et son sens de la passe entre les lignes. La défense de l’Inter est ainsi submergée de ballons en profondeur qu’elle ne peut gérer convenablement car le système de Conte est trop limité quand il s’agit de défendre derrière les pistons. De ce fait, malgré une nouvelle frayeur avec la retournée acrobatique de D’Ambrosio à la 36′, le Milan AC reprend le contrôle des débats en usant habilement des couloirs, habituelle force offensive de l’Inter.
Ainsi, alors que la fin de première période laisse planer le doute quant à l’ouverture du score notamment avec un incroyable contre milanais mené par le talentueux Suso, les deux équipes rentrent aux vestiaires dos à dos. Dépourvue de but, cette première mi-temps aura tout de même offert un spectacle remarquable qui laisse augurer une 2e partie particulièrement intéressante, avec un alléchant duel entre les duos infernaux Calhanoglu-Leao et Sensi-Lautaro…
Le dénouement logique d’un derby qui a tenu toutes ses promesses
Si la 1ere mi-temps nous a émerveillé de par son intensité et de par l’engagement des 22 acteurs, la seconde commence sur un rythme tout aussi soutenu. Dès la 48′, Brozovic profite d’une combinaison avec Sensi sur corner pour ouvrir la marque et débloquer le match. Le pressing intériste peut alors alors reprendre, et coïncide parfaitement avec le nombre faramineux de ballons perdus par les milanais dans la relance. Face à un bloc coupé en 2, l’Inter use des frappes de loin pour faire le break. De son côté l’AC Milan souffre de l’espace trop important entre son milieu et sa ligne défensive, et ne parvient pas à construire proprement en repartant de bas.
En outre, la profondeur reste la clef absolue de ce derby. Si Milan ne réussit plus aucune relance intéressante, Romagnoli et Musacchio décident de jouer long sur Piatek notamment. En parallèle, Godin trouve aisément la paire Lautaro-Lukaku qui s’appuie sur des remises intelligentes sur les milieux axiaux. Redevenu fantomatique, Calhanoglu cède sa place à un Paqueta nettement plus dangereux sur le couloir gauche au sein d’un trio avec Leao et Suso. Il rentre ainsi pour impulser une nouvelle dynamique et renverser le bras de fer tactique entre Giampaolo et Conte.
Sauf que, contre toute attente, l’Inter tient physiquement. Le pressing intériste se maintient, tandis que le trio offensif Sensi-Lautaro-Lukaku use de sa complicité pour ouvrir des brèches dans la défense milanaise. Puis, avec l’apparition de Vecino à la place de l’ancien de Sassuolo, Conte contraint définitivement Milan à jouer sur les couloirs en fermant l’axe à toute intrusion adverse. Seul Leao se montre toujours légèrement dangereux dans le dos des centraux qui ne savent pas comment marquer un attaquant qui dézone autant.
Impuissant dans le jeu, le Milan AC a besoin d’un miracle pour renverser le cours de la rencontre. Sauf que le roi du derby, c’est Antonio Conte. Le coaching du Mister est tout simplement parfait. Avec l’entrée en jeu de Politano, il pousse son équipe à exploiter les espaces que laisse le bloc milanais, et à orienter le jeu vers les côtes de la surface adverse. Et le coaching paye. Sur un ballon magnifique côté gauche, Barella provoque à l’entrée de la surface milanaise pour finalement servir Lukaku dans les airs. La finition du belge est chirurgicale. 2-0. Le break est fait. L’Inter s’assure une victoire amplement méritée.
Si Politano passe proche du 3-0 avec un petit bijou sur la barre, l’Inter s’impose finalement 2-0 dans une fin de match à l’image d’un derby à sens unique. Ce soir, l’Inter était un cran au-dessus et les hommes de Conte renouent avec la victoire après l’échec face au Slavia Prague en Champions League. De son côté un AC Milan impuissant commence à inquiéter les amateurs de la Serie A…
Les enseignements d’une rencontre aussi cruciale que tendue
Si l’Inter exulte au coup de sifflet final, c’est en grande partie du à une performance aboutie sur tous les plans. Offensivement créatifs et inspirés, défensivement rigoureux et peu inquiétés, les protégés d’Antonio Conte viennent de démontrer que Prague n’était qu’une erreur de parcours. Mais l’Inter joue-t-il pour autant le titre ? S’il ne faut certainement pas relativiser l’importance d’une victoire dans le derby de la Madonnina, en particulier quand seuls 7500 des 75000 tifosi étaient intéristes, l’Inter devra tout de même réitérer cette belle performance face aux cadors du championnat italien, notamment dès le 6 octobre face à la Juve de Sarri.
Car l’AC Milan n’est plus qu’un cador déchu de Serie A. Giampaolo a démontré ce soir que les options tactiques sont limitées pour les milanais dont la profondeur de banc est loin d’être rassurante à l’aube d’une saison qui promet d’être longue. Inoffensive pendant presque 90 minutes, et incapable de ressortir proprement et construire en repartant de la ligne défensive, cette équipe renvoie plus de signes négatifs que de promesses à l’issue des 4 premières journées de championnat. Et Giampaolo aura du mal à y remédier…
Quant aux performances individuelles, Sensi, Lautaro et Barella ont brillé dans un collectif qui semble toujours plus rodé. La paire de relayeurs pourrait d’ailleurs être la clef de la belle saison qui attend les hommes de Conte en championnat. Au contraire, Calhanoglu déçoit cruellement et ne mérite pas mieux que 3/10, tandis que Suso et Piatek furent transparents et Rodriguez sans cesse en difficulté. Seuls Donnarumma et Leao sortent la tête de l’eau dans une embarcation à la dérive.
Enfin, ce derby placé sous le signe de la lutte contre le racisme n’aura pas empêché les “supporters intéristes” de se faire remarquer pendant la célébration de Romelu Lukaku. Si le racisme est encore incontestablement un fléau du football mondial au XXIè siècle, la Serie A n’y est pas étrangère et les instances devront sévir. Car les comportements de certains “tifosi” laissent planer le doute quant aux motivations politiques des groupes d’ultras ouvertement fascistes.
Jules Grange-Gastinel