Biberonné au club rojiblanco, Fernando Torres a conservé tout au long de sa carrière un attachement à l’Atlético que rien ne saurait remettre en question. Une totale dévotion à ses couleurs, qu’il s’est évertué à démontrer en conjuguant passion et abnégation.
C’était il y a deux ans. Deux ans déjà. Ce jour de mai 2018, un homme saluait une dernière fois les siens, avant de quitter la maison. Contrairement à ce que peut laisser suggérer son surnom d’El Niño, Fernando Torres a bien grandi. Très bien même. Son palmarès en atteste. Euro 2008. Coupe du monde 2010. Ligue des Champions 2012. Euro 2012. Pas la peine d’aller plus loin. Fernando Torres n’a plus grand chose de l’enfant qui a débuté sous le maillot de l’Atleti le 27 mai 2001. Si ce n’est le plus important : son amour inconditionnel du maillot et du peuple colchonero. Une passion transmise par son grand-père et que le natif de Fuenlabrada s’est attaché à ne jamais oublier. Il n’y avait qu’à voir son visage au soir de la finale de Ligue des Champions perdue aux tirs au but face au Real Madrid, le 28 mai 2016, pour mesurer tout ce que représente ce club à ses yeux. Inconsolable après être passé à deux doigts du graal, l’Espagnol n’avait alors pu contenir ses larmes.
« L’Atlético, ce n’est pas seulement une équipe de football, c’est un sentiment. Une manière d’aborder la vie. Il faut se bagarrer, lutter et faire les choses par soi-même sans attendre l’aide de n’importe qui. […] Dans la vie, de toute façon, tu perds plus de fois que tu ne gagnes. La réalité, c’est ça : on passe notre vie à perdre. L’important, c’est de profiter à fond des bons moments. Tu peux perdre, tu peux gagner, mais tu n’as pas le droit de baisser les bras. Il faut toujours se battre. Le plaisir est beaucoup plus important quand tu t’es battu sans relâche pour quelque chose qui paraissait, au début, inaccessible. Bah, l’Atlético, c’est ça. C’est comme la vie », résumait-il dans un entretien à So Foot en 2014.
Un club avec lequel Torres a débuté en Segunda Division, et qu’il a quitté sur une victoire européenne. Un club qui, après son sacre national de 1996, a dû attendre quatorze longues années avant de retrouver l’ivresse d’un titre. Dans le même temps, son gargantuesque voisin ajoutait quinze trophées, dont cinq titres de champion d’Espagne et trois Ligues des Champions, à sa vitrine. Le pain noir pour les Colchoneros, le festin pour les Merengue.
« L’Atlético est le voisin du club le plus puissant du monde, c’est comme si un véhicule utilitaire devait affronter des Ferrari pour un Grand Prix de Formule 1. Ce serait le même circuit pour tout le monde, mais pas la même mécanique… La richesse de l’Atlético, ce sont ses valeurs. Il ne peut pas rivaliser dans d’autres domaines, et pourtant, ces valeurs lui permettent de réaliser de grandes choses. C’est beau », expliquait le joueur, en parfaite symbiose avec cette identité.
Fernando Torres a le sang rouge et blanc. Même de l’autre côté de la Manche, l’attaquant n’a jamais perdu son club formateur de vue – et réciproquement. À l’été 2010, c’est avec une écharpe de l’Atléti nouée à son poignet qu’il soulevait la Coupe du monde devant ses compatriotes à Madrid. Deux ans plus tôt, le héros de la finale de l’Euro paradait déjà sur le bus à impériale avec un drapeau frappé du logo rojiblanco.
D’autres clubs de Liga, le Real et le Barça en tête, lui ont fait les yeux doux. Impossible cependant de porter un autre maillot que celui de l’Atleti dans son pays. « En football, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Mais tu es guidé par des principes qui t’ont amené là où tu es et qui ont fait de toi qui tu es. Il y a eu des options pour rejoindre d’autres clubs en Espagne, mais nous avons toujours laissé tomber parce que je ne le sentais pas, je n’étais pas intéressé. C’est plus une question de sentiments », confiait-il à AS en 2015.
Torres s’excusa presque de marquer contre les Colchoneros avec Chelsea au printemps 2014 en demi-finale de Ligue des champions. Aucune effusion de joie de la part du buteur au moment de reprendre victorieusement le centre de Cesar Azpilicueta, mais l’expression d’un respect que rien ne saurait altérer.
« Nous sommes tous unis, c’est ça être de l’Atleti »
Ce 20 mai 2018, Fernando Torres entre sur la pelouse avec le brassard de capitaine, entouré de ses trois enfants, Nora, Leo et Elsa. À ses côtés, Gabi et le trophée de la Ligue Europa, soulevé par les matelassiers dans l’enceinte du Parc OL quatre jours plus tôt. Le Wanda Metropolitano est sur son 31 pour célébrer son idole, le tifo monumental. À la hauteur de l’amour que se portent mutuellement le joueur et le peuple rojiblanco. Il laisse apparaître le numéro 9 et quatre mots résumant la carrière du joueur : de niño a leyenda. D’enfant à légende. Les 63 229 spectateurs n’ont d’yeux que pour leur attaquant en ce samedi ensoleillé. Il le leur rend bien sur le terrain avec un doublé pour son 404e et dernier match comme colchonero. Un doublé qu’il célèbre dans les bras de ses supporters. La communion est totale. Les deux équipes se séparent sur un score de parité au coup de sifflet final (2-2). Qu’importe. Sans enjeu sportif, la deuxième place étant d’ores et déjà assurée, cette ultime rencontre de la saison n’avait pour seul intérêt que de réunir la familia atlética autour de son héros.
Les 90 minutes écoulées, se présente le moment. Celui que tout le monde attendait et redoutait. Celui où il faut se résoudre à se séparer. Celui où il faut céder à la raison. Non sans une immense émotion. Un moment d’histoire, que tous ceux présents ce jour-là s’attachent à graver dans leur mémoire. Haie d’honneur de ses coéquipiers, remise de maillot, clip vidéo retraçant sa carrière… Les hommages s’enchaînent, en présence de la famille du joueur, de son premier entraîneur, du président Enrique Cerezo ou encore de José Garate, autre légende du club.
Puis l’idole de tout un peuple prend la parole. Le cœur lourd, la voix tremblante, mais la tête haute, au milieu d’une pelouse où s’étale un maillot géant, floqué à son nom. De longues minutes durant, il remercie ceux qui l’ont accompagné et soutenu depuis ses débuts. Sa mère. Son père. Son frère. Sa sœur. Sa femme. Luis Aragones, l’entraîneur qui l’a lancé à l’Atlético et avec qui il a remporté l’Euro 2008. Son grand-père Eulalio, qui lui a transmis son amour inconditionnel du maillot rojiblanco. « Il m’a offert le plus grand des cadeaux que l’on puisse faire à un petit-fils, celui d’être de l’Atlético », déclare-t-il les yeux embués.
Avant de conclure en s’adressant à la familia atlética : « Je n’ai jamais eu besoin d’aucun titre pour me sentir comme le joueur le plus aimé du monde. J’ai toujours eu la certitude que quoi que je fasse, je n’aurais jamais pu rendre tout cet amour. J’ai eu le privilège de porter ce maillot plus de 400 matchs. C’est très dur de savoir que c’est la fin. J’aimerais que vous vous souveniez tous, pour toujours, de ce que nous ressentons maintenant. On nous demande souvent pourquoi nous sommes de l’Atleti ou pourquoi l’Atleti est différent. Quand nous disons qu’ils ne peuvent pas comprendre, que cela ne s’explique pas, je voudrais que vous vous rappeliez ce que nous ressentons aujourd’hui. Quand les mauvais moments arrivent, quand ils veulent nous diviser de l’extérieur et dire que les choses vont mal, dans ces moments qui viendront certainement, je voudrais que vous vous rappeliez ce que vous ressentez maintenant, la fierté que vous ressentez. Nous sommes tous unis, c’est ça être de l’Atleti ». Coraje y corazón, comme peuvent le lire les Colchoneros sur le parvis du Wanda Metropolitano. Du courage et du cœur : quand on est de l’Atleti, telle est la recette du bonheur.
Quentin Ballue (couverture réalisée par Paul Courtois)
