Son pied droit soyeux a marqué toute une génération. Il y a sept ans, David Beckham raccrochait définitivement les crampons au Parc des Princes. Retour sur la carrière du mythique numéro 7 de l’équipe d’Angleterre, de Manchester à Paris, en passant par Madrid, Los Angeles et Milan.
Un homme pleure-t-il ? Et plus encore, un homme pleure-t-il devant les autres ? Indubitablement, la réponse est oui. Demandez donc à David Beckham. 30 juin 1998, huitièmes de finale de la Coupe du monde. La deuxième période vient à peine de débuter. Victime d’une rugueuse intervention de Diego Simeone, le numéro 7 se rend coupable d’un mauvais geste à l’encontre de son adversaire. L’arbitre sort le carton rouge. Beckham rentre aux vestiaires, sans discuter, les larmes aux yeux. Des larmes que ses coéquipiers verront couler sur son visage à l’issue du match, remporté aux tirs au but par l’Argentine.
1er juillet 2006, quarts de finale. Blessé, le capitaine des Three Lions doit céder sa place à la 52e minute. Sur la touche, le Spice Boy est en pleurs. Il assistera, impuissant, à l’élimination des siens, de nouveau aux tirs au but, contre le Portugal. 14 mars 2010, 28e journée de Serie A. Sur une action anodine, le milieu rossonero s’arrête, puis s’effondre sur la pelouse de San Siro. Touché au tendon d’Achille, il est évacué sur civière. Impossible de contenir ses larmes en voyant ses rêves de Mondial s’envoler.
Beckham aurait alors pu devenir le premier Anglais à disputer quatre Coupes du monde et, surtout, tenter de mener la Golden Generation à un titre historique. Il n’en sera rien. Oui, les hommes pleurent. Y compris les footballeurs multimillionnaires. Preuve, non pas d’une faiblesse, mais justement d’une force. D’une réelle passion et d’une volonté perpétuelle de gagner. Celles-là mêmes qui permettent d’avancer, et qui ont animé l’enfant de Leytonstone durant toute sa carrière.
Une légende d’Old Trafford
Né dans la banlieue londonienne, le jeune David aurait pu supporter Tottenham, Arsenal, West Ham ou encore Chelsea. Sauf que la logique géographique s’est retrouvée supplantée par la logique familiale, ses deux parents soutenant Manchester United. Talent précoce, il tape dans l’œil des Red Devils, qui lui ouvrent les portes de leur centre de formation. Aux côtés de Gary Neville, Ryan Giggs et Nicky Butt, il forme la fameuse « Génération 1992 » qui remporte la FA Youth Cup – et prendra les rênes de la maison rouge quelques années plus tard. Cette année 1992 marque également ses débuts avec l’équipe A. Lancé le 23 septembre par Alex Ferguson (pas encore devenu Sir), Beckham a alors 17 ans. MU tient là un joueur appelé à accomplir de grandes choses. Un diamant à polir. Premier but sous le maillot mancunien en décembre 1994 contre Galatasaray. Première titularisation en Premier League en avril 1995 contre Leeds – après un passage éclair à Preston pendant lequel il trouve tout de même le moyen de marquer les esprits en marquant d’un corner direct.
La saison 1995-1996 marque le véritable début de son ascension puisqu’il devient un membre à part entière du onze titulaire. Suite aux départs de Mark Hughes, Paul Ince et Andrei Kanchelskis (auteurs de 35% des buts de l’équipe en championnat lors de l’exercice précédent), Ferguson décide d’accorder sa confiance à sa jeune garde. Les « Fergie’s Fledglings » (les oisillons de Fergie) lui donnent raison avec un doublé championnat – FA Cup à l’arrivée. Affublé du numéro 24, le milieu anglais s’impose comme incontournable sur l’aile droite (7 buts et 5 passes décisives en Premier League pour sa première saison complète). Encore davantage avec des prestations comme celle qu’il livre le 12 octobre 1996 à Old Trafford où, d’une frappe rasante à l’entrée de la surface, il inscrit l’unique but du match et permet aux Red Devils de renouer avec la victoire contre leur voisin Liverpool, deux ans après. Ses performances lui ouvrent les portes des Three Lions, Beckham honorant sa première sélection le 1er septembre 1996, à 21 ans.
Coéquipier de Beckham pendant la saison 1995-1996, William Prunier garde le souvenir d’un joueur combatif et tourné vers le collectif : « Il était impressionnant, déjà aux entraînements. C’était un jeune joueur avec beaucoup de qualités. Il avait un super pied droit. On parle souvent de son pied droit et de sa qualité de centre, c’était un joueur très fort techniquement. Mais en même temps, il était très combatif. C’était un gros travailleur, il courait énormément. Il l’a prouvé dans tous les clubs où il est passé. Il se faisait mal pour l’équipe, il était très, très généreux. Il a été formé à Manchester United, il a travaillé dur pendant sa formation. C’était aussi une de ses qualités d’être endurant. Même défensivement, il avait de l’agressivité, c’est un joueur qui taclait. Il avait d’énormes qualités. C’était un super joueur et un grand professionnel ».
L’idylle mancunienne atteint son paroxysme en 1999, année marquée d’une pierre blanche dans la grande histoire du club. Sacrés champions d’Angleterre au terme d’un duel intense avec Arsenal puis victorieux de la Cup, les hommes de Ferguson ont rendez-vous au Camp Nou le 26 mai pour leur dernier match de la saison. 31 ans après Bobby Charlton, George Best et consorts, ils rêvent de ramener la Ligue des Champions à Manchester et d’accomplir un historique triplé. Becks joue un rôle prépondérant dans le parcours des siens jusqu’ici (2 buts et 8 assists) en se montrant décisif contre tous les adversaires croisés par United : Barcelone, le Bayern et Brondby en phase de poules, l’Inter en quarts, puis la Juve en demies.
Il se révèle de nouveau capital lors de cette finale. Menés, les Red Devils obtiennent un corner à la 91e. David Beckham est à la manœuvre. Son centre, mal repoussé par la défense bavaroise, aboutit à l’égalisation de Teddy Sheringham. Deux minutes plus tard, alors que la prolongation paraît inéluctable, l’Anglais tire un nouveau corner. Déposé sur la tête de Sheringham, puis dévié dans les filets par le supersub Ole Gunnar Soskjaer. Manchester United soulève la Coupe aux grandes oreilles. Le jeune numéro 7 est aux anges.
Quelques mois plus tard, il se classera deuxième du Ballon d’or, seulement devancé par le Brésilien Rivaldo. Le meilleur résultat d’un Anglais depuis 1986 et la deuxième place, déjà, de Gary Lineker. Le prince d’Old Trafford quittera le Royaume de Sa Majesté à l’été 2003 pour aller s’installer à la Maison Blanche, quatre mois après le fameux épisode de la chaussure envoyée par Ferguson dans l’arcade de son joueur.
Des Galactiques au Galaxy
Le triple meilleur passeur de Premier League (1998, 2000, 2001) pose ses valises au Real Madrid avec déjà un sacré CV où se côtoient six titres de champion d’Angleterre, une Ligue des Champions, une Coupe intercontinentale, deux Cups et deux Community Shields. « C’est une opportunité incroyable pour moi à ce stade de ma carrière et une expérience unique et passionnante pour ma famille. Je sais que si je ne saisis pas cette chance de jouer dans un autre grand club comme le Real Madrid, je le regretterai toute ma vie », justifie-t-il alors. Auteur de débuts tonitruants (victoire en Supercoupe d’Espagne, 2 buts et 3 passes décisives lors de ses quatre premiers matchs de Liga), le numéro 23 est rapidement adopté par le public du Santiago Bernabeu. Pièce maîtresse de l’équipe, aux côtés des Roberto Carlos, Zinedine Zidane, Luis Figo et autres Raul, il fait l’étalage de toute sa classe sur les pelouses espagnoles, bien que si sa période madrilène n’atteigne pas la même altitude que son chapitre mancunien.
« Nous savions qu’il était un bon joueur, mais nous ne nous attendions pas à ce qu’il soit aussi influent, à ce qu’il fasse preuve d’un tel engagement envers le collectif. Il a le respect de tout le monde », dira Ronaldo. Période ô combien paradoxale et frustrante que celle des Galactiques cependant puisque les Merengue ne parviennent pas à concrétiser leur énorme concentration de talent en titres. A l’image de leur défaite après prolongation en finale de Coupe du Roi contre Saragosse en 2004. Une perte d’éclat pour la Maison Blanche, également visible sur la scène européenne avec des échecs successifs contre Monaco (1/4 de finale), la Juventus (1/8 de finale), Arsenal (1/8 de finale) et le Bayern (1/8 de finale). Les entraîneurs valsent. Beckham en connaîtra six en l’espace de quatre saisons à Madrid.
En dépit de nombreux revers sportifs, sa carrière merengue se termine de la plus belle des manières, sur un titre de champion d’Espagne acquis au nez et à la barbe du FC Barcelone, battu à la seule différence de buts particulière. Un sacre en grande partie dû à un Beckham taille patron dans le sprint final. Un scénario loin de paraître évident au début de l’année 2007, quand Fabio Capello l’avait privé de terrain un mois durant suite à l’annonce de son départ pour la MLS. Quand on parle de force de caractère…
Beckham est accueilli en grandes pompes de l’autre côté de l’Atlantique. Le Los Angeles Galaxy peut désormais compter sur un joueur de renom, ayant l’expérience du plus haut niveau, et la Major League Soccer sur un ambassadeur de choix. La Californie, « such a lovely place », dirait le groupe Eagles. L’Anglais n’est toutefois pas en préretraite. Il affichera d’ailleurs sa détermination à rester au plus haut niveau et à continuer de représenter son pays en rejoignant le Milan AC en prêt à l’hiver 2009 puis à l’hiver 2010 afin de garder le rythme durant la trêve américaine. « Au début, il devait s’entraîner avec nous pendant deux mois et je ne pensais pas à le faire jouer », admit Carlo Ancelotti. « Puis j’ai vu comment il s’entraînait et je n’ai pas eu le choix. C’est un grand joueur. Il m’a conquis par ses performances et son caractère. Sur le terrain, Beckham voit tout avant tout le monde. »
Le Spice Boy poursuit aux Etats-Unis la mue entamée à Madrid : ailier vif, capable d’éliminer son vis-à-vis pour trouver une position de centre toujours meilleure du temps où il évoluait à Manchester, l’Anglais fut progressivement replacé dans l’entrejeu où, tel un quarterback, il put mettre à profit sa qualité de passe et sa vision du jeu. Une configuration déjà entrevue du côté de United puisqu’il avait notamment évolué dans ce registre en finale de la Ligue des Champions 1999, en raison des suspensions de Roy Keane et Paul Scholes.
Il jouera un rôle majeur dans le retour au premier plan de la franchise en atteignant trois fois la finale de la MLS, avec deux titres à la clef, en 2011 et 2012. Une nouvelle fois, Becks fait preuve de résilience. En 2011, il est ainsi nommé dans l’équipe-type du championnat et reçoit le prix du comeback de l’année. Juste récompense à l’issue d’une saison où il délivre 15 passes décisives, après une rupture du tendon d’Achille l’ayant privé de la quasi-totalité de l’exercice précédent. Signe de l’importance de la trace laissée par l’Anglais outre-Atlantique, une statue en son honneur a été érigée l’an passé sur le parvis du Dignity Health Sports Park, où le Galaxy joue à domicile. Une success story comme les Américains en raffolent.
Dernière escale à Paris pour Captain England
La star raccroche définitivement les crampons à Paris, Ville lumière, le 18 mai 2013. Sportivement, rien de très marquant. De retour sous les ordres de Carlo Ancelotti, Beckham dispute 14 matchs avec le club parisien, dont deux en Ligue des Champions face au FC Barcelone, qui éliminera le PSG grâce à la règle des buts à l’extérieur (2-2 au Parc, 1-1 au Camp Nou). Il délivre deux passes décisives en Ligue 1, pour Zlatan Ibrahimovic à Rennes et pour Blaise Matuidi face à Brest, lors de son dernier match.
Ce 18 mai s’achève avec un sourire radieux sur le visage du joueur, qui tire sa révérence sur un titre de champion de France – devenant ainsi le premier Anglais sacré champion dans quatre pays différents – et une belle fête au Parc des Princes. Quelques minutes plus tôt, au moment de sortir du terrain pour céder sa place à Ezequiel Lavezzi, c’est en pleurant que l’ancienne idole de Manchester United avait retiré son brassard de capitaine et salué ses coéquipiers, avant d’envoyer un baiser en direction des tribunes. Des larmes, oui, encore. Les dernières de la carrière d’une icône qui n’a jamais laissé indifférent.
Héros de tout un peuple le 6 octobre 2001, alors que la qualification pour le Mondial asiatique est en jeu. La Grèce mène 2-1 à Old Trafford. Jusqu’à cette faute obtenue à la 93e minute, plein axe, à quelques 25 mètres des cages. David Beckham prend ses responsabilités. Le capitaine des Three Lions a le destin des siens au bout du pied. L’Angleterre retient son souffle. Avant d’exploser. Le numéro 7 sort de son chapeau un coup-franc imparable terminant sa course dans la lucarne d’Antonis Nikopolidis, impuissant.
Un but synonyme de libération pour tout un pays, de qualification pour la sélection, mais aussi de pardon pour le joueur, objet d’un déchaînement de violence irrationnel après son expulsion en 1998. Quelques mois en arrière, lors de l’Euro 2000, il avait même adressé un doigt d’honneur à des supporters l’ayant pris à partie. « C’était le moment de tirer un trait sur quatre années de douleur, d’amertume, de haine. Comme si ce moment m’était réservé. Comme si tous les doutes qui subsistaient à mon sujet en tant que joueur et en tant que personne avaient disparu en un instant. Je savais que l’un des chapitres les plus difficiles de ma vie avait pris fin. J’étais enfin pardonné », expliqua-t-il ensuite.
Des hauts, et des très bas, à l’image de ce tir au but manqué lors d’une séance fatale à l’Angleterre en quarts de l’Euro 2004 – encore face au Portugal. Le capitaine des Three Lions a aussi été écarté pendant près d’un an au lendemain de la Coupe du monde 2006, Steve McLaren ne comptant plus sur lui. En difficulté dans les éliminatoires de l’Euro, le sélectionneur se ravisera en juin 2007. Beckham se montrera décisif mais l’Angleterre échouera à se qualifier, devancée par la Croatie et la Russie dans son groupe. Introduit à l’English Football Hall of Fame en 2008, le natif de Leytonstone reste à ce jour le troisième joueur le plus capé de l’histoire de la sélection, derrière Peter Shilton et Wayne Rooney. Il est aussi le seul Anglais à avoir marqué lors de trois Coupes du monde (1998, 2002 et 2006). Becks compte par ailleurs 59 sélections en tant que capitaine – seuls Bryan Robson, Billy Wright et Bobby Moore ont davantage représenté l’Angleterre avec le brassard.
Au moment d’évoquer, David Beckham beaucoup pensent d’abord à la superstar collectionnant les contrats publicitaires et la Une des magazines People, plus qu’au droitier talentueux et classieux. Peut-être en partie du fait de son jeu. « Beckham joue beaucoup pour les autres avec des centres, des passes décisives excellentes et des coups francs redoutables. Mais un joueur qui marque se fera toujours remarquer plus facilement », analysait Rivaldo. Quoi que certains puissent en dire, l’Anglais était avant tout un joueur élégant, accompagné d’une aura qui ne l’a pas quitté, passé maître dans l’exercice des coups de pied arrêtés au prix d’années de travail. L’un des tout meilleurs de sa génération, voire même de l’histoire. Désigné joueur de l’année par l’UEFA en 1999. Deuxième du Ballon d’or en 1999. Deuxième meilleur joueur FIFA de l’année en 1999 et 2001.
Un tireur d’élite au pied droit hors du commun et à la précision insolente, capable d’inscrire un but d’anthologie sur la pelouse de Wimbledon, d’un coup de patte bien senti depuis la ligne médiane, un après-midi d’août 1996. Un redoutable créateur d’occasions, instillant le danger à la moindre position de centre. Un grand professionnel, à l’éthique de travail irréprochable. Un joueur gracieux, à la classe indéniable. « Nous sommes un petit pays, certes, mais nous sommes une grande nation. Patrie de Shakespeare, de Churchill, des Beatles, de Sean Connery, Harry Potter. Du pied droit de David Beckham… De son pied gauche aussi quand j’y pense », rappelait Hugh Grant dans sa tirade de Premier Ministre dans le film Love Actually (2003). God Save the King.
Quentin Ballue (couverture réalisée par Paul Courtois)