Aux quatre coins de l’Europe, les 8èmes de finale de l’Euro 2020 débutent. En France, la LFP, les clubs et les groupes audiovisuels se lancent dans une toute autre compétition pour les droits TV. Favoris, flops et meilleur buteur… Caviar décrypte l’€ du football français.
Le 11 juin dernier, l’Italie et la Turquie donnaient le coup d’envoi de l’Euro 2020. Pour le football français, c’est une toute autre situation qui préoccupe les fans. Amazon vient de récupérer 80% des matchs de Ligue 1 jusqu’en 2024. Dans la foulée, Canal + annonce se retirer de la course aux droits TV en abandonnant son lot (ndlr, deux affiches de Ligue 1, le samedi à 21H et le dimanche à 17H). Seulement quelques mois après l’échec Mediapro, la Ligue 1 se lance dans une nouvelle course contre la montre. Pour Caviar Magazine, c’est l’occasion de faire le point sur l’€ 2021 du football français.
Le favori = Canal + déchu
Le groupe était sorti grand vainqueur du scandale Mediapro. Annoncée comme la sauveuse du football français, la chaîne cryptée avait permis la diffusion de la suite du championnat de Ligue 1 après la faillite du groupe espagnol. Pour ce nouvel appel d’offres, le duo Canal+ – BeIn Sports se devait de tout rafler. « Ce qui a fait perdre Canal +, c’est sa vanité. Cet appel d’offre… c’était cadeau et ils arrivent quand même à se rater. Personne ne comprend vraiment à quoi ils ont joué. C’est leur deuxième échec consécutif dans un appel d’offres après 2018 », rappelle Romain Molina, auteur de The Beautiful Game. Et pourtant, patatras. Le 11 juin 2021, tout s’effondre. La LFP privilégie l’offre d’Amazon et laisse à Canal+ uniquement le lot 3 pour la même somme qu’en 2018. 332 millions d’euros pour 2 matchs de Ligue 1. « Canal ne voulait pas payer autant pour des rencontres qui ne fonctionnent pas », raconte Pierre Rondeau, économiste du sport et spécialiste de la question des droits TV.
“Cet appel d’offre… c’était cadeau et Canal+ arrive quand même à se rater.”
Romain Molina, auteur de The Beautiful Game
Le grand favori s’incline lourdement et préfère même se retirer. « Après l’échec du choix de Mediapro en 2018, Canal + regrette la décision de la Ligue de football professionnel (LFP) de retenir aujourd’hui la proposition d’Amazon au détriment de celle de ses partenaires historiques Canal + et BeIn Sports. Canal + ne diffusera donc pas la Ligue 1 », annonce le groupe dans un communiqué. Une défaite au goût amer.
L’outsider = Amazon écrase tout
Côté outsider, le géant américain a mis du temps avant de pointer le bout de son nez. Dans le paysage audiovisuel du sport français, ce membre des GAFA avait déjà fait son apparition lors des fameuses « night sessions » de Roland Garros 2021…, mais pas encore dans le football. Positionné au moment de l’appel d’offres en 2018, Amazon avait même soumis une offre non retenue après le fiasco Mediapro en fin de saison 2020. Cette fois-ci, l’offensive est la bonne pour la plateforme audiovisuelle.
Une action rondement menée : 250 millions d’euros par saison pour acquérir les droits de 80% des matchs de Ligue 1 jusqu’en 2024. « La proposition a été faite jeudi soir. En coulisses, tout le monde était persuadé que Canal et BeIn allaient tout gagner pour une offre de 590 millions avec bonus. C’était une vraie partie de poker avec des rumeurs pour faire augmenter le prix », analyse Pierre Rondeau. Une attribution pas forcément si surprenante pour l’auteur de Fin de partie pour le foot ?. « C’est un tank qui a tout écrasé sur son passage. Et en même temps, Amazon a profité d’un immense effet d’aubaine en récupérant 80% de la Ligue 1 seulement pour 250 millions… Ce que Mediapro avait payé presque 800 millions d’euros il y a 3 ans ». Un outsider opportuniste.
La surprise = Et si Amazon devenait le seul diffuseur de la Ligue 1 ?
Mais Amazon ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Après le retrait de Canal +, le géant américain semble parfaitement positionné pour récupérer le lot n°3, laissé vacant par le groupe de Vincent Bolloré. La surprise serait alors de taille. Amazon pourrait devenir le seul diffuseur de la Ligue 1 jusqu’en 2024. Une aubaine pour le fan de foot selon Pierre Rondeau : « Ce serait une surprise pour le consommateur. Enfin ! 49 euros par an pour l’instant avec 100% des rencontres de Ligue 1, c’est très accessible. C’est même bien plus facile que d’avoir RMC à l’époque. C’est une nouvelle façon de regarder le foot et ça va dans le bon sens. » Depuis, le groupe américain a annoncé un tarif à 12,99 euros par mois, accessible pour ceux qui sont déjà clients du service Prime.
Le scénario pourrait même aller encore plus loin, et la Ligue 1 pourrait voir le jour sur l’application Twitch. Une hypothèse pas si folle si on jette un œil du côté des Etats-Unis où plusieurs matchs de NFL ont déjà été diffusés sur la plateforme de streaming en live. « Si l’un des projets de la Ligue est de rajeunir l’audience de la Ligue 1, voir des matchs sur l’application Twitch est parfaitement imaginable », affirme l’économiste du sport.
Même constat pour Romain Molina, la réticence de certains envers Amazon est surtout lié à l’âge : « C’est une question générationnelle. Amazon, ça ne parle pas forcément aux personnes âgées mais cela peut être beaucoup plus intéressant pour les jeunes. » Attention tout de même à la résistance de Canal+. Le président de l’Olympique Lyonnais ne croit pas à un retrait définitif de la chaîne cryptée. « Je ne vois pas du tout comment Canal peut se priver d’avoir accès aussi à la Ligue 1 », a détaillé Jean-Michel Aulas dans les colonnes du Progrès. Une Ligue 1 100% Amazon ou un énième retour de Canal + ? Faites vos jeux.
Le meilleur buteur/punchlineur = Maxime Saada
Il y a des compétitions où les meilleurs joueurs sortent systématiquement du lot. Pour la course aux droits TV, le président de Canal + fait figure d’ovni. Chaque prise de parole est scrutée et surtout calculée. Un véritable joueur de poker, qui n’hésite pas à abattre toutes ses cartes. « Il y a des matchs en Ligue 1 qui n’intéressent pas. Nous n’avons pas le potentiel en France pour maintenir vingt équipes de top niveau », a lancé Maxime Saada sur les antennes de RMC Sport le 9 juin 2021. Une pique à destination de la ligue pour remettre en cause le réel intérêt de la Ligue 1 pour les fans. « Qu’il soit vu comme rancunier, mauvais joueur… peu importe. Il dit des choses vraies sur l’attractivité de la Ligue 1. Des phrases qui peuvent faire mal au football français », explique Pierre Rondeau.
“Il y a des matchs de Ligue 1 qui n’intéressent pas”
Maxime Saada, Président de Canal+
Des vérités qu’il n’hésite pas à assumer, tout en jouant à fond sa carte Canal. A deux jours de la fin des enchères, le président n’a pas rechigné à prévenir la Ligue de Football Professionnel : « Je ne suis pas certain que la Ligue 1 soit sur Canal la saison prochaine ». Un coup de pression infructueux qui s’explique selon Romain Molina : « C’était une véritable bataille d’égo. A la LFP, certaines phrases ont sûrement joué contre lui. » Des frasques qui en disent long sur le personnage, dont on n’a sûrement pas fini d’en entendre parler.
Le flop = le comité de pilotage
Le comité de pilotage est une allégorie, le symbole d’un football français à la dérive. En quatre ans, le comité de pilotage des droits TV a déjà vu passer trois appels d’offres différents. « L’erreur de la Ligue a été de ne pas remettre en vente le lot 3. 332 millions pour deux rencontres contre 250 millions pour huit rencontres…. Cela allait forcément créer des problèmes. Avec le retrait de Canal, on est en plein dedans », décrypte l’économiste du sport Pierre Rondeau. Tous les torts ne sont pas à créditer au nouveau président de la LFP, Vincent Labrune, qui a recueilli une institution en détresse.
Pourtant, aucune leçon n’a été retenue Le comité de pilotage s’est de nouveau lancé un énorme défi en mettant de côté le duo historique Canal+ – BeIn, et privilégiant l’argent d’Amazon. Une décision qui pourrait encore faire jaser. « Le comité de pilotage a échoué à cause de la prétention de ses dirigeants à voir le foot français beaucoup plus beau qu’il ne l’est vraiment. Que ce soit en 2018, 2020 ou 2021 », rappelle l’auteur de Fin de partie pour le foot ?. L’écrivain et journaliste Romain Molina est encore plus sévère : « Les dirigeants du football français ont creusé une tombe, et ils continuent de creuser même après avoir touché le fond. Alors qu’on parle de survie de clubs et de milliers d’emplois… ». Un flop général donc qui peut se résumer à une seule anecdote selon l’auteur de The Beautiful Game : « La Ligue était tellement perdue qu’elle avait même imaginé une nouvelle chaîne 100% Ligue 1 avec un business plan. Une chaîne low-cost, sans émission… Cela aurait été comique – Romain Molina rit jaune – mais c’est vraiment à l’image du football français ».
T’y as un code à dépanne ?
Alex s’assied devant son ordinateur après avoir posé son café à côté. Il fait craquer ses doigts, et regarde ses coéquipiers disposés de façon équidistante autours de la planchette. Tous ont les yeux plissés. C’est l’heure de mettre les choses au clair :
–Messieurs, si je vous ai réunis cet après-midi d’août, c’est pour une raison bien précise. Vous n’êtes pas sans savoir que les championnats vont reprendre, ainsi que la Superligue européenne…
–Heu… Non, ç’a été annulé ça, on garde la ligue des champions finalement, l’interrompt Lucas
Quoi ? Encore un changement ? Ils vont se mettre d’accord un jour ou l’autre ? Bref, peu importe son nom, cela ne change en rien l’ordre du jour, qui est le suivant : premièrement, il nous faut déterminer qui détient quoi et qui diffuse quoi et surtout quand, secondement, il nous faut établir une liste de priorité selon ces modalités et les préférences de chacun et enfin pour finir, établir un plan de financement afin que chacun puisse en profiter. Est-ce que déjà, tout le monde est d’accord avec les objectifs et la démarche à suivre ?
–Oui, répond Julie
–Bon pour moi, suit Théo
–Ouais, rebondit Lucas
Heu… Oui du coup, conclut Vladimir, timidement.
–Ha oui ! J’allais oublier ! Je vous présente Vladimir. C’est un ami de lycée, il est en dernière année d’école de commerce, il se spécialise en conseil, audit, financement tout ça, il est là pour nous filer un coup de main. Je te laisse nous faire ta présentation du coup.
–Oui, bonjour tout le monde. Du coup, j’ai passé le week-end à tout éplucher, et en effet, c’est costaud comme dossier. Cinq championnats, deux coupes d’Europe, répartis sur cinq chaines payantes. Le type qui veut tout voir à la téloche, c’est 55 euros mensuels, 660 euros grosso modo. Et encore, s’il s’engage et tout sur deux ans. Du coup, ce que je vous ai fait, c’est calculer le rapport entre le prix d’une chaine et le nombre de matchs qu’elle diffuse mais je prends aussi en compte les matchs en eux-mêmes et leur qualité. Par exemple, le derby Liverpool-United, bon c’est toujours plus intéressant que Sainté-Angers, ça je crois qu’il y a pas débat.
–Bah ça dépend, pour le supporter stéphanois…
–Oui mais à ce moment-là, on s’en sort plus… le coupe Vladimir. Je reprends. Comme vous pouvez le voir sur les tableaux que je vous distribue, j’ai pris la peine de classer, répertorier l’offre de chaque chaine et le nombre de matchs qu’elle diffuse. Ainsi, j’ai pu évaluer l’opportunité réelle de l’abonnement à une chaine, selon les différents critères que vous voyez à gauche.
–C’est compliqué mais c’est compliqué ! râle déjà Théo
-Mais non pas du tout, rétorque Vladimir. Regarde, c’est simple : tu identifies les championnats que tu souhaites mater et tu regardes dans le tableau quel diffuseur est le moins cher en fonction de tes envies.
–Ouais mais là, t’as attribué des valeurs aux championnats. Tu les sors d’où ?
–J’avoue, un peu du chapeau. Mais je ne suis pas idiot non plus, je n’ai rien fait au hasard. J’ai estimé la valeur d’un match à travers la moyenne des matchs du même championnat. De cette manière, la moyenne des matchs de Première ligue est de 1 là où la moyenne des matchs de Ligue 1 et de 0,7. Vous allez me dire : « oui mais Vladimir, moi je préfère regarder PSG-Lyon que Newcastle-Crystal Palace ». Oui, évidement, mais parce qu’il y a davantage de matchs plus appréciés en Angleterre qu’en France, la moyenne est plus haute. Z’avez capté ?
-C’est quand même drôlement compliqué non ? rajoute Julie. C’est quoi « écrans » vers la fin ?
–C’est le nombre d’écrans en simultané que tu peux mettre. Ce qui fait que si vous vous organisé, vous pouvez diviser l’abonnement par exemple, ça peut être une solution pas dégueu. Bref, t’auras plus à mendier au dernier moment sur ton groupe whatsapp à coup de « T’y as un code à dépanne ».
Les compères restent tous concentrés sur le tableau que le futur homme d’affaires leur a concocté. Entre quelques gorgées de café, on entend seulement des « Hmmm ha oui, d’accord… » se murmurer. Au bout de presqu’une heure, Lucas brise le silence :
–Non mais venez, on va boire une bière en terrasse, j’en ai plein le casque de ces machins.
Bonne idée, répond Julie.
L’équipe sort de l’appartement d’Alex et part à la recherche d’une table au soleil. Alex, voyant tous les affiches publicitaires, lança pour rire :
–Eh Vlad, tu nous ferais pas un tableau pour savoir quel site de paris sportif est le plus intéressant pour un nouveaux joueur ?
Le comptable en devenir répondit, non sans spoiler, un simple « aucun ». Arrivés devant la table promise, tous s’assirent et le serveur arriva :
–Salut Alex, bonjour les autres, qu’est-ce qu’il leur faut ?
-Pinte pour tout le monde ? De toute façon je n’peux pas plus, j’ai pris que sept euros, répond Alex en regardant les autres
–Ha non mais c’est 7,80 la pinte maintenant de toute façon, précise le serveur
–Quoi ? Mais ç’a augmenté non ?
–Ouais, pas le choix. Avec tous ces abonnements à payer pour diffuser les matchs, on est obligé de répercuter ailleurs, expliqua le serveur.
–On a un tableau ! s’exclament-ils tous en en choeur
Victor Cousin et Paul Laurens
