Cet article s’adresse à tous les Jean-Michel Entraineur pro digne de la Ligue des Champions, mais uniquement sur twitter. Il relate des faits réels et parfois difficile à lire pour un public non-averti.
« Me llamo Pablo Emilio Escobar de la pena de Poitiers »
Lui, c’est Pablo Caviaros. Né à Poitiers (comme quoi…) de parents d’origine grecque, il découvre le ballon rond via son père qui mena une carrière discrète mais constante en Ligue 2 dans les années 70. Il aura le même destin. Seulement, lorsqu’il raccrocha les crampons, il enfila la grande parka rembourrée : uniforme règlementaire des entraineurs de football de première classe. Après de bons résultats obtenus avec le Paris FC au début des années 2010, il s’envole sur la terre de ces ancêtres où il mènera les Apollon de Smyrnis en haut du tableau de première division. Aujourd’hui, il pose ses valises sur le rocher de la Principauté et retrouve la « farmer league ».
Dès son arrivée, il prend conscience du chantier qui l’attend. D’abord l’administratif avec le renouvellement des contrats et pas seulement ceux des joueurs mais de toute l’équipe, de la vedette Ben Yedder à l’assistant kiné en stage pour six mois. C’est long, barbant, à se demander s’il est entraineur ou DRH.
Puis vint la présentation face aux joueurs : Pablo doit expliquer les objectifs, les “season goals” dit-il, pour paraître plus pro tout en veillant à la réaction de ses joueurs au moindre faux pas ou faux mots, comme vous préférez. Ben Yedder, le leader naturel du groupe sert d’interlocuteur naturel, étrange car il sera marqué « en vacances » sur la feuille des premiers matchs… « Atteindre le dernier carré de la Ligue des Champions » ? Vous manquez d’ambition coach ! « Gagner la coupe de France » ? Soyons lucides, vous avez les yeux plus gros que le ventre. Pablo est déconcerté, en même temps, le talent de ces types est dans leurs pieds, ils ne sont pas payés pour leur qualité de réflexion et de logique. Qu’importe….
Après avoir préparer la présentation, avoir fait la présentation, il faut encore le débrief’ ! Un bref échange avec les adjoints, avec lesquels vous serez rarement en désaccord. Et puis rebelote ; « que pensez-vous de ces potentielles recrues ? » On est déjà 65 sur 70, y’aurait pas moyen de lever le pied sur le chéquier ? Puis viennent les matchs amicaux, le “first crash test”. Le niveau est faible au regard de l’effectif ; la moitié des bons joueurs sont encore en vacances. Match vierge, défaite 3-0 en Ecosse. Une victoire contre l’équipe B ne permet pas d’embellir le tableau. La direction, elle commence à s’inquiéter ? Non, elle s’en tape visiblement, mais pensez à vendre cher des joueurs moyens, ça, ils aiment.
Qu’il est long ce mois d’aout… Et toute cette paperasse…
Enfin le championnat se lance! Déplacement à Bordeaux. Un bon moyen de commencer une saison pleine d’objectifs. Une équipe faible, beaucoup de but, ça boost l’équipe (Oui, supporters girondins, votre équipe est faible. Vous aurez beau tenter de cacher cette médiocrité derrière vos meilleurs tweets, on les voit, vos rires jaunes ; NDLR). Les bons joueurs sont rentrés de vacances, et sur le terrain sans aucune prépa d’été. C’est toujours mieux que… Comment il s’appelle le p’tit jeune déjà… Mais si, celui qui a oublié ses crampons la dernière fois. Bon, peu importe, de toute façon il est parti à Newcastle pour trente millions ; ils ne sont pas très perspicace ces Emiratis . Le match commence et pour la première fois, Pablo ressent cette pression. Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je dis ? J’ai bien fait de mettre Tchouaméni aujourd’hui ? Mes consignes offensives pour Henrique, elles ne vont pas foutre en l’air notre défense ? Nous y sommes, le grand saut dans le vide, pas une branche à laquelle se rattraper. Les jeux sont faits, rien ne va plus.
Après une victoire 2-0, sans être le match du siècle, le retour est un tableau peint dans les couleurs du soulagement. Mais dès lundi, les mêmes angoisses réapparaitront. Et ce, toute au long de la saison.
Un jouissif sentiment d’impuissance
L’expérience que l’on ressent assez rapidement lors de nos sessions de football manager, c’est ce sentiment d’impuissance qui nous envahit un fois le coup de sifflet donné par l’arbitre. Les questions fusent, et on tremble en regardant notre formation, nos choix s’animaient devant nous, sans que plus rien de puisse venir intervenir. Football manager est la référence dans le jeux-vidéo de simulation. Il vous place dans la peau du type que vous insultez sans retenue sur les réseaux à chaque fois que votre équipe préférée n’explose pas son adversaire le week-end. « Mais pourquoi il a pas fait jouer un tel ? C’était évident que lui, n’était pas fait pour ce type de match ». Et oui, un entraineur professionnel qui a passé la semaine à regarder des replays de l’équipe à affronter, à décortiquer leur manière de jouer, à user de calcul, d’algorythmes parfois, puis à mettre en place des animations, créer des séances d’entrainement destinés des joueurs professionnels, ce type-là, il a manqué l’essentiel. Alors que nous, qui sommes négatifs dans nos paris sportifs de -500 balles, qui avons, au mieux, joué en division honneur en troisième et qui aujourd’hui, galérons à aller la salle pour faire un peu de rameur, nous avons vu la solution en un instant, depuis notre canap’ une fois le match terminé.
Football manager remet en place notre égo, il nous apprend que le football, pour le coach, est affaire d’endurance, de doute et de décisions qui font perdre des cheveux. Pour les plus forcenés d’entre nous, le jeu propose au joueur de tout contrôler. Il ne s’agit plus d’être coach mais aussi président, formateur, recruteur, DRH, directeur des relations presse, etc etc… C’est du boulot croyez-moi. Mais les développeurs sont restés lucides et ont mis en place un système qui permet de déléguer toutes ces tâches : vous êtes moins aux commandes, mais vous vous concentré sur l’essentiel : le jeu.
Une fois la saison lancée, chaque match est prenant. On se surprends à s’amouracher d’un p’tit nouveau qui nous surprend de match en match. A l’inverse, la nonchalance de Sidibé vous fait vous arracher les yeux « mais tu vas courir à la fin ? ». Avec l’habitude, le joueur avance de plus en plus vite et les saisons s’enchainent. Nous en sommes en 2029, le PSG n’a toujours pas gagné la Ligue des Champions, Mbappé en a deux mais toujours pas de Ballon d’Or, rafflé en majorité par un Norvégien au allure de titan dont le compteur de buts de cesse d’exploser. Une simulation réaliste et réussie donc.
Les péripéties de Pablo Caviaros continueront un temps sur le Rocher. Après une saison moyenne (fini troisième du championnat), la direction décide que trois années sont un bon cycle et préfèrent se séparer du tacticien du Futuroscope. Il rebondira à Fulham, promu en Premier League depuis deux années déjà. Il signe pour trois saisons, jusqu’en 2027. Qualifiant le groupe pour la coupe aux Grandes oreilles, les grands clubs lui ouvrent leus portes. Quel choix fera-t-il ? Liverpool ? Chelsea ? Bayern ? Ou préfèrera-t-il le soleil du club des clubs, la casa blanca où un immortel Presidente souhaite mettre un terme définitif à la concurrence ? L’avenir nous le dira, ou pas.
En attendant, si les tableurs ne vous filent pas le tournis, rangez les crampons et votre égo un instant, enfilez la parka qui vous “fit” le plus et voyez combien de temps vous tenez dans les pompes du “premier responsable ce soir” de tous les After foot de France.
Par Paul Laurens.