Utiliser le football pour responsabiliser une plus large population aux problématiques environnementales, c’est le défi de Delphine Benoit-Mayoux. Membre de l’organisation de l’Euro 2016 et de la Coupe du Monde de 2019, elle nous explique comment faire bouger les mentalités à travers le sport.
Où étiez-vous, que faisiez-vous le 11 septembre 2001 ? Cette question revient tous les ans au moment des commémorations des attentats du World Trade Center. Delphine Benoit-Mayoux s’en souvient très bien. Cette consultante en stratégie RSE (comprenez “responsabilité sociétale des entreprises”) était à New York lorsque le drame est survenu. A l’époque au service relations et marketing dans l’équipe féminine professionnelle de football des New York Power, elle a vu toute son activité professionnelle chamboulée. Au cours des mois qui ont suivi le tragique évènement, la jeune femme d’alors une vingtaine d’année s’est vue organiser des matchs solidaires, des collectes de fonds pour “montrer que le sport s’engageait et était solidaire avec la société civile” explique-t-elle.
“J’ai vu l’importance des modèles féminins qu’étaient les joueuses pour apaiser la peine des jeunes, pour collecter des fonds qui permettaient de soutenir les pompiers, les familles endeuillées” déroule Delphine. Cette première expérience combinée à un espoir déchu d’un jour intégrer une grande équipe féminine de football lui a donné envie de s’engager pour la vie avec tous les “à côté” du foot comme elle aime l’appeler. “Je sais que le foot peut faire changer beaucoup de choses” affirme-t-elle.
Changer les choses, c’est ce qu’elle a tenté de faire par le biais de deux de ses expériences footballistiques françaises : l’Euro 2016 et la Coupe du Monde féminine de 2019. Missionnée en tant qu’adjointe du directeur du site de Bordeaux pour la première puis à la tête de la stratégie basée sur les enjeux sociétaux et environnementaux pour la seconde, la jeune femme de 39 ans peut aujourd’hui faire l’état des lieux de la prise de conscience écologique dans le monde du foot. Celle qui a commencé à la ligue de football Aquitaine en 2006 a fait un bilan plus que mitigé lors de son arrivée : “Les problématiques environnementales, ce sont des choses qui ont commencé à mûrir en moi et qui m’ont choqué quand je suis rentrée dans le domaine événementiel sportif international”. 10 ans ont passé avant qu’elle intègre l’organisation de l’Euro 2016 et qu’elle puisse jouir de nouveaux outils de sensibilisation.
S’adresser aux bons acteurs
“L’Euro 2016 était la première compétition certifiée iso 20121. Cela certifie le management responsable. Mais moi, j’étais sur un site (celui de Bordeaux) et je voyais qu’on avait fait énormément d’efforts sur toute la phase de préparation voire de livraison de l’événement mais au final : peu de messages, peu de choses sont passées au public”. Qu’à cela ne tienne, un an après et son embauche au sein du comité organisateur de la Coupe du Monde, en 2017 Delphine ne perd pas de temps. Elle reprend les mêmes cahiers des charges en les améliorant au mieux pour cette fois y intégrer les supporters. “On a ciblé des thèmes comme le tri sélectif pour le grand public” revient la consultante, afin de pouvoir le reproduire à la maison.
“Il a fallu démonter l’image qu’on a du supporter de foot qui veut qu’il soit sale et irrespectueux.“
Delphine Benoit-Mayoux
Son challenge : faire comprendre aussi bien aux acteurs de la compétition au sens large et aux supporters que chaque geste compte. Même celui de ce dernier. “Il a fallu mettre à contribution les acteurs du territoire, démonter l’image qu’on a du supporter de foot qui me fatigue un petit peu qui veut qu’il soit sale et irrespectueux. Mais en fait c’est juste qu’on ne lui propose pas les dispositif qui lui permettraient de trier comme chez lui. De base on intègre jamais le stade de foot comme un lieu public comme un autre. On a fait beaucoup de lobbying pro-foot pour dire qu’il y avait un bel outil qui était le stade pour engager les citoyens à agir pour l’environnement” développe l’originaire de Fontenay-aux-Roses, en région parisienne. Partout cela a pris racine et encore maintenant les bonnes habitudes perpétuent.
Certains stades ont maintenu leurs partenariats avec des banques alimentaires locales afin de redistribuer la nourriture en fin de match, la plupart ont installé des poubelles de recyclage à disposition du public. Et pourvu que ça dure ! “On a plutôt essayé de trouver des actions qui s’engagent dans le temps et de trouver des acteurs locaux qui agissent dans le temps puisque de toute façon ça allait avoir des répercussions et des impacts sur le long terme” explique Delphine Benoit-Mayoux.
Carton rouge
En dépit de ces petites avancées, un gros chantier reste à prévoir dans ce monde où les têtes ne sont pas aux changements climatiques. A l’occasion de la compétition de 2016 “On a tout fait tout pour partir au plus vite et on ne fait pas attention au recyclage, on jette au lieu de mettre en place un programme qui permettrait aux institutions locales de récupérer du matériel. Il y a eu un peu d’excès aussi sur l’entretien de la pelouse : l’arrosage, le fait d’utiliser des produits pour que la pelouse soit au top, de peindre la pelouse dans certains stades quand l’herbe n’est pas assez vertes pour les télévisions…” regrette amèrement celle qui cherche des solutions perpétuellement.
La gestion des pelouses est pour elle une vraie priorité au même titre que l’utilisation des énergies : “il faut qu’on arrive à trouver des solutions qui nous permettent de fournir l’énergie nécessaire mais de façon plus responsable ”.
Les chaînes de télévision sont d’ailleurs les premières concernées par ces abus “il y a encore trop de générateurs de secours qu’on met en place avec du kérosène et qu’on fait tourner pour éviter la mini coupure de diffusion puisque ce sont encore les chaînes de télé qui restent décideuses sur ça, ce sont elles qui financent un évènement ”.
L’espoir renaît dans la voix de Delphine lorsqu’elle imagine les alternatives possibles. “Il existe des alternatives à ces groupes électrogènes qui commencent à apparaître, qui utilisent des hydrogènes, des énergies plus respectueuses. Ça commence tout juste à apparaître sur le marché mais encore à des tarifs très élevés ”. Mais avant cela, le plus gros est à faire : convaincre la FIFA.
Ce n’est pas une mince affaire, de plus lorsque vous êtes une femme dans un monde d’homme où les guerres d’égo sont souvent au programme. Selon Delphine Benoit-Mayoux, les choses ont déjà évolué puisqu’on retrouve aujourd’hui parfois “une femme” à la tête d’un poste à responsabilités. “On estime que quand on en a une c’est suffisant mais maintenant il faudrait qu’on arrive à vraiment plus équilibrer ces comités de direction, de gouvernance et dans la durée ” admet-elle. D’autant plus que ce sont elles qui sont le plus force de proposition dans le domaine environnemental, elles qui ont le plus de facilité à prendre la parole pour dénoncer les pratiques non respectueuses pour la planète. Dans l’administratif comme dans la pratique d’ailleurs, puisque, comme le rappelle l’auto-entrepreneuse l’équipe féminine des Girondins de Bordeaux a traversé la France en TGV jusqu’à Metz pour un match de la saison passée. “Il suffit d’utiliser le temps pour la récupération autrement ” résume-elle.
Mais pour la Bordelaise d’adoption, il n’est pas question d’un cliché impliquant un plus gros intérêt pour l’environnement chez les femmes que chez les hommes.
Début 2020, Delphine Benoit-Mayoux créé sa propre boîte : DBM consulting, qui lui permet d’accompagner des organisations amateures ou professionnelles à structurer une démarche pour améliorer leurs pratiques.
De plus en plus de sportifs de haut niveau sont également avertis sur le sujet et souhaitent rejoindre la cause. Une aubaine pour Delphine, qui y voit là le moyen de convertir à plus grande échelle les clubs de foot eux-mêmes.
Ana Gressier
