Au FC Paris Arc-en-ciel, le football est un moyen plus qu’une fin. Fondé en 1997 par une bande de potes qui voulaient jouer au foot dans ce que l’on appellerait aujourd’hui un “safe space”, le club du 20e arrondissement de Paris a une vocation : disparaître. Ou du moins, ne plus exister pour les raisons qui le rendent encore nécessaire aujourd’hui.
“On est un club qui, historiquement, luttait contre les discriminations envers les LGBT, mais aujourd’hui, on lutte contre toute forme de discrimination“, explique Julie Chrétien, joueuse au club depuis neuf saisons. Avec son logo arc-en-ciel brodé sur un maillot rouge, le FC Paris Arc en ciel est un club militant, qui promeut la cause LGBT à travers le foot, mais aussi le foot féminin, les droits des minorités, la mixité… Aussi bien sur les terrains qu’en manif. “On est présent en tant que club à la Pride et à la journée de lutte pour les droits des femmes le 8 mars”, poursuit la joueuse. Seul club militant adhérent à la FFF, le club compte aujourd’hui près de 150 joueuses et joueurs, répartis en trois catégories : femmes, hommes et mixte. Le club se veut précurseur du football mixte, aujourd’hui institué comme un championnat à part entière au sein de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), une autre fédération sportive qui promeut un sport populaire avec une vision plus sociale.
Du football pour toustes
“On est très porté sur l’intersectionnalité des causes et des combats, et sur l’anti-discrimination concernant les publics féminins” raconte le président du club Benoît Angllelini. L’objectif est de donner de la visibilité au football féminin en luttant contre les “barrières psychologiques” que peuvent se mettre certaines au moment de taper dans un ballon. Et il insiste : “Nous, ce qu’on souhaite mettre en avant, c’est une pratique bienveillante, d’accueillir des publics de tout niveau, y compris les vrais débutants qui n’ont jamais joué avant.” Des mots que l’on retrouve dans la bouche de chacun des membres du club. Au FC Paris Arc en ciel, on cherche avant tout à donner sa chance à tous ceux qui veulent s’essayer au ballon rond, sans distinctions. Avec cette particularité du drapeau aux sept couleurs que nous explique le président : “Le message pour les gens LGBT c’est : il existe un club où, de toute façon, ils seront forcément en sureté, dans un club bienveillant les concernant, où ils ne se freinent pas sur la pratique et n’ont pas peur d’entendre des remarques sexistes ou homophobes, ou qu’ils craignent que les gens du vestiaire trouvent que ce n’est pas tolérable de jouer avec quelqu’un qui est homo, gay, lesbienne etc.” Ce qui peut être un problème dans d’autres clubs selon Julie.
“Dans un monde majoritairement hétéro c’est aussi l’occasion de se retrouver dans un contexte où la norme est inversée”
Julie Chrétien, joueuse du FC Paris Arc-en-ciel
S’il ne faut pas nécessairement être homosexuel pour adhérer au club, celle qui y joue depuis presque dix ans explique que la spécificité du FC PAEC permet d’être dans un espace différent du contexte habituel : “Je ne suis pas sûre chez les garçons, mais chez les filles je pense qu’on est majoritaire à être LGBT. Donc dans un monde majoritairement hétéro c’est aussi l’occasion de se retrouver dans un contexte où la norme est inversée, et où c’est normal de tenir la main de sa copine ou de l’embrasser dans ce contexte sportif et personne n’ira lever les yeux ou faire de remarques négatives.” Elle n’a pas rejoint le club parce qu’elle était lesbienne, mais y trouve rapidement un certain confort : “Il y a un pot systématiquement après l’entraînement, donc c’est un lieu où je me suis très vite sentie à l’aise et où j’ai pu retrouver des gens avec lesquels je pouvais vivre ma sexualité sans que ça pose problème.” Et elle s’y est fait des amies, qui partagent elles aussi cette passion du foot, avant toute autre considération.
«Le collectif prime sur le résultat final et la victoire»
Concernant le volet sportif, Julie, en porte-parole, reconnaît elle-même que les ambitions du club sont assez modestes. L’objectif est de “ne pas finir dernières du championnat” enchérit-elle. Un discours qui trouve écho dans les mots de son président : “L’aspect « gagne » ce n’est pas ce qu’on souhaite mettre en avant. C’est vraiment le projet collectif, d’être bien ensemble, d’être raccord sur nos valeurs et de bien les mettre en avant sur les événements tournois et dans la pratique quotidienne du foot.”
“La priorité du club c’est l’intégration”
Jonas Foureaux, joueur et entraîneur du club
Jonas Foureaux, entraîneur chez les garçons, n’a pas pour objectif les résultats sportifs, mais bien de faire jouer tout le monde : “Il faut que chaque personne qui veuille signer à Arc en ciel le puisse et peu importe que ça soit des joueurs qui aient 25 ans d’expérience dans le football ou qui soient débutants.” Il va plus loin : “La priorité du club c’est l’intégration.” Ainsi au FC Paris Arc en ciel, on a des matchs le lundi, le mardi, le jeudi et le vendredi, avec un entraînement le mercredi. Et avec toujours la garantie de jouer au moins 20 ou 30 minutes si on est convoqué, même si ce n’est pas forcément la meilleure tactique sportivement. “Le collectif prime sur le résultat final et la victoire” assure Julie.
Un club offensif, des instances en bloc bas
Pourtant cette bulle de bienveillance que tend à devenir le club se heurte souvent à la réalité d’un monde du football “virile”, avec certaines tendances homophobes. En 2017 lors d’un match FFF à 7, le coach adverse avait harangué ses jeunes joueuses avec un : “On ne va quand même pas se laisser faire par une équipe de PD !” L’incident a été remonté à la Fédé’, sans aucune réaction. Chaque club avait même été contraint de payer 8 euros de sanctions parce que les feuilles de matchs étaient mal remplies. Deux ans plus tard, c’est l’équipe masculine qui en fait les frais, avec cette fois-ci une réponse de la FSGT, qui a sanctionné les joueurs adverses ayant eu des propos homophobes pour leur caractère discriminant et non simplement injurieux.
“Les gens n’ont pas forcément envie de s’embêter et les décideurs vont minorer les incidents de match”
Benoît Angllelini, président du FC Paris Arc-en-ciel
“J’ai l’impression que les gens n’ont pas forcément envie de s’embêter et les décideurs vont minorer les incidents de match, témoigne Benoît Angllelini. Ça restera souvent impuni ou on décide de ne rien en faire parce que si on n’est pas soutenu par un arbitre, s’il n’y a aucune commission qui s’en saisit derrière et dit « oui ça, ça nous pose problème », il ne se passera rien. Et s’il ne se passe rien, rien n’évoluera.” Jonas se sent, lui, assez soutenu par la FSGT en charge de l’équipe masculine : «La FSGT prend à coeur ces problèmes-là. Les équipes dont certains joueurs ont tenus ces propos, parce que ce n’est pas tous les joueurs se sont souvent des actes isolés, finissent par être sanctionnées.» Un constat pas forcément partagé par la section féminine qui évolue en championnat FFF. Julie y trouve deux explications : “Le football est le reflet de la société mais il avance encore plus lentement qu’elle, les attitudes au sein du football reflètent celles en dehors. Ensuite derrière ça, il y a une inertie très forte de la FFF qui ne fait pas grand-chose en matière de lutte contre l’homophobie, même si on a vu des améliorations ces dix dernières années.” Et aujourd’hui encore, elle considère que la FFF ne fait “pas assez d’efforts” pour lutter contre l’homophobie. Mais elle garde espoir, et pense que les choses avanceront plus vite au sein des clubs qu’au sein de la fédération.
Le président du FC Paris Arc-en-ciel est lui convaincu que l’homophobie dans le foot cessera d’être banalisée lorsque qu’un travail de fond sera fait sur le respect et la tolérance de l’adversaire : “De toute façon c’est un rapport culturel au foot qui est à retravailler, à déconstruire.” Et il sait qu’il existe une marge de progression importante pour les instances, notamment dans la sensibilisation. Travail que le club se charge de faire en attendant que d’autres prennent le relais. “Peut-être qu’un jour, dans 20 ans, 30 ans, le FC Paris Arc-en-ciel n’aura plus de raisons d’être ! lance Julie en fin d’interview. J’espère pouvoir vivre ça, mais je ne me fais pas trop d’illusions quand même.“
Anna Carreau