Florent Torchut, journaliste pour France Football, est le dernier à avoir interviewé Diego Maradona. Un an après sa mort, nous avons rencontré le reporter à Barcelone pour revenir sur cet instant, mais aussi son lien avec ‘Dios’ et l’émotion d’être “à jamais le dernier”.
Tu as dit dans une interview : “Quand j’étais gamin, j’ai positionné l’Argentine sur la carte grâce à Maradona.” Quels sont tes souvenirs de lui ?
Florent Torchut: Je suis né dans les années 80 donc forcément on a tous grandi avec Diego, pas seulement les Argentins. La première vraie Coupe du monde que j’ai suivi c’était celle de 94 et le trio qu’il formait avec Batistuta et Caniggia, ce sont vraiment les premiers joueurs qui m’ont fait rêver. C’était plus qu’un footballeur, c’était vraiment une icône. On se souvient tous de l’hallucination contre la Grèce avec Batistuta. Ce sont les premiers flashes, les premiers amours et forcément ça m’a donné envie d’aller en Argentine.
Tu as vécu pendant sept ans en Argentine, et on sait combien Maradona occupe une place importante dans le quotidien des locaux… Comment expliques-tu cette relation si particulière?
Diego a commencé à jouer à Argentinos Junior et après à Boca. Donc forcément son histoire à lier à deux clubs importants de l’histoire de l’Argentine. Ce qui n’est pas le cas de Messi qui est parti de Newells très jeune. Au-delà de ça, les Argentins ont grandi avec Diego mais aussi avec son ex-femme et il fait vraiment parti de leur histoire. Ils ont suivi son parcours depuis ses 15 ans avec Argentinos Junior, dans les bons et les moins bons moments. Et c’est pour ça qu’il est très apprécié aussi en Argentine c’est qu’il représente le pire et le meilleur de l’Argentin : le côté un peu tchatcheur, dragueur, qui à un moment donné tombe dans l’alcool, la drogue et ce côté très rock ‘n’ roll. Puis qui renaît de ses cendres donc ça a forcément marqué tout le monde. Diego il n’y a personne qui lui arrive à la cheville en Argentine, c’est vraiment l’idole du peuple.
Tu as vu jouer Messi, Batistuta, Riquelme… En quoi Maradona est-il différent ?
Avec Messi la différence est vraiment minime, parce que je pense que ce sont deux joueurs qui sont capables en un coup de patte, en une action de changer le cours d’un match. On se souvient tous de son but contre l’Angleterre en 1986 où il traverse tout le terrain. Diego était capable de ça. De faire des choses totalement incroyables, inattendues, d’extra-terrestres même. C’était un magicien sur le terrain. Il n’y a que Messi qui lui ressemble un peu, mais c’est à peu près tout. Je ne pense pas que l’on reverra des joueurs comme ça.
Il y a un an décédait Maradona. Comment avais-tu vécu ce moment ?
C’était un moment un peu particulier évidemment. En plus d’être un immense fan, d’avoir vécu en Argentine, j’ai eu l’immense bonheur de pouvoir l’interviewer. Ça s’est transformé en « sa dernière interview ». C’était spécial, parce qu’au moment où je l’ai interviewé je savais qu’il n’était pas forcément très bien. On voyait qu’il était fatigué. Mais jamais j’aurais pensé qu’il vivait ses derniers jours. Forcément j’ai été marqué. La sensation que j’avais eu en travaillant pour d’autres sujets c’était que c’était l’idole du peuple, que les Argentins l’ont toujours aimé depuis son plus jeune âge. Mais finalement il est mort seul, abusé. Beaucoup de gens autour de lui en ont profité. C’est un peu triste la fin d’une idole qui n’est pas mort dans les conditions qu’on aurait pu imaginer.
Un an après son décès qu’est-ce qui t’a marqué et restera gravé dans ta mémoire de ces dizaines d’hommages ?
Les plus beaux hommages sont venus de là où il a marqué les gens forcément. À Buenos Aires, dans le reste de l’Argentine mais aussi à Naples. Là-bas il avait été adopté parce que c’était lui aussi un enfant du peuple, quelqu’un qui venait d’un milieu humble. C’était une sorte de Robin des bois. Il a toujours représenté les plus pauvres et assumé ce rôle-là. Les Napolitains se sentaient très fier de lui, c’était leur roi, le roi des plus faibles. Puis forcément l’hommage de Messi. Pendant plusieurs jours il ne parlait pas trop, on ne savait pas trop comment il avait vécu ça, ce qu’il allait dire, ce qu’il allait faire. Après avoir marqué un but il a enlevé son maillot et dessous il y avait celui de Newell’s. Le seul maillot qui a été porté à la fois par Diego Maradona et Messi, que Léo avait récupéré de l’époque où il était à Newell’s. C’était un moment très émouvant.
Pour l’anniversaire de sa mort, le 25 novembre prochain, tu t’attends à un hommage national en Argentine et ailleurs ?
Ça restera un moment très fort, parce que pour beaucoup de gens il n’est pas totalement parti, il est encore très présent et il va y avoir d’immenses hommages évidemment en Argentine. Sûrement des choses un peu officielles comme a pu le faire Argentinos Juniors mais y aura forcément aussi des hommages populaires. (Il réagit à des passants qui saluent la fresque de Maradona dans son dos) Et voilà, on est à Barcelone, il y a cette fresque et je pense que partout dans le monde il y aura de beaux hommages. Je pense que ça va devenir un rituel, et tous les ans il y aura de beaux hommages parce que Diego restera le fils du peuple.
Comment vas-tu vivre cet anniversaire ?
Ça va être un peu spécial, j’ai un ami avec qui on a travaillé sur le numéro spécial de France Football et qui sort un livre là-dessus le 25 novembre. Donc forcément je vais l’accompagner. C’est Fernando Signorini, le préparateur physique historique et grand ami de Maradona, qui a signé la préface. Il y a plein d’hommages qui se préparent et moi je vais profiter pour être un petit peu observateur de tout ça… C’est vrai que ça a été une journée assez incroyable il y a un an quand il est décédé parce qu’ayant été la dernière personne à l’avoir interviewé, ayant vécu en Argentine et connaissant bien son histoire ça a été un tourbillon énorme. Et là je vais « profiter » pour me recueillir, penser à lui, pour regarder des vidéos, voir un petit peu tout ce qui se fait autour de lui et me dire : « Quelle fierté, quelle chance d’avoir pu l’interviewer ! »
Aujourd’hui tu vis à Barcelone, tu as vécu en Argentine, tu vis un petit peu entre ces deux cultures européenne et argentine que Maradona a pu connaître…
C’est impossible de se comparer à lui, mais quand il est mort plein de gens ne comprenaient pas l’engouement. Des gens qui connaissaient le foot ou pas se demandaient comment un joueur de foot pouvait générer autant de passion, beaucoup ont critiqué la lettre qu’avait pu écrire Macron… Mais je crois que ça décrit très bien ce qu’il était. Le fait qu’un Président français puisse écrire une telle lettre où l’on voit qu’il y a sa patte derrière, que ça n’a pas été écrit par son cabinet, ça montre que Diego dépassait les cadres. Tout le monde a été touché par sa mort. En Argentine les funérailles nationales ont touché pas mal de gens mais certains n’ont pas compris pourquoi c’était aussi fort et pourquoi ça générait autant de passion. Mais parce que c’est inexplicable, il faut avoir vécu en Argentine pour le comprendre. Nous les Européens on est un peu froid. Même le Camp Nou, qui est un théâtre comme disait Beto Márcico, alors que la Bombonera c’est une explosion à chaque fois. Diego génère des choses que seul Messi peut générer mais ça reste inexplicable.
Avec du recul, qu’est-ce que tu retiens de lui ?
Je retiens son côté désinvolte, de dire toujours ce qu’il pense, toujours avec humour. Mais aussi des convictions, pas toujours compréhensibles quand il était à Cuba (Maradona connaissait Fidel Castro, NDLR) et qu’après on le voyait avec Carlos Menem, qui était un Président plutôt de droite en Argentine. Quelqu’un qui voulait représenter les plus pauvres, les plus démunis, et qui essayait à travers le football de représenter ceux qui n’avaient pas forcément le droit de s’exprimer. Puis en dehors de sa personnalité, sa magie pour le football. Quand on voyait Diego on savait qu’on allait passer un moment extraordinaire, qu’on allait voir du beau football et qu’aujourd’hui à part peut-être Léo Messi il n’y a pas de joueur comme lui et il n’y en aura sans doute jamais. C’est une icône comme il y en a eu très peu, je le mets au rang de Michael Jackson, Michael Jordan ou peut-être même comme un personnage historique qui ont marqué le 20e siècle comme Nelson Mandela ou Gandhi donc c’est forcément un personnage qui restera dans les mémoires pour l’éternité.
Anna Carreau – @annacarreau