Football manager : monde virtuel ancré dans le réel
En mars 2019, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et hommes, parlait de l’homophobie dans nos stades en ces termes : « un tabou, un fléau, souvent considéré comme du folklore ». Le « début d’un engrenage qui peut ensuite mener à la violence ». Pourtant, dans les stades, on parle d’humour, de lutte avec la LFP, de provocation, mais rarement d’homophobie, un concept qui n’a rien à voir avec le football. Sur les réseaux sociaux, la couleur est toute autre. La communauté LGBTQ+ est trop souvent remise à sa place lorsque l’orientation sexuelle entre dans les travées du sport roi. De quoi questionner une culture foot qui s’exprime sans filtre dans les espaces commentaires.
Influer sur la culture du foot
Pour les supporters, ce folklore, c’est une question d’habitude et un manque d’humour de la ligue qui pose souci. C’est aussi le fait d’une minorité, portée par un puissant effet de groupe qui ne reflète pas la réalité du terrain. Pour les associations LGBTQ+, il faut impérativement changer de registre.
Mais les interdictions et les interruptions ne font qu’envenimer la situation et exacerbent la lutte entre supporters et LFP. Pour changer la donne, il faudra passer par des actions de sensibilisations, de réelles prises de position des acteurs concernés et un véritable débat sur l’inclusion des minorités et les atteintes à leur dignité. Entre dans la danse Football Manager, Saint Graal des références dans le monde du jeu vidéo de gestion. A travers le jeu, les développeurs essayent de changer les choses en profondeur. Très apprécié par les supporters, les joueurs et les staffs, FM participe à une culture du foot d’aujourd’hui. Le Winchester FC d’Ousmane Dembélé est entré dans l’histoire, le (supposé) transfert de Roberto Firmino à Hoffenheim grâce au jeu a marqué la légende… Conscients de ce rôle, les développeurs tentent de peser sur les débats de société grâce à leur plateforme tout en restant le plus fidèle possible à la réalité.
Dans cette logique, l’édition 2018 a permis aux joueurs virtuels de faire leur coming out. Un souci de réalisme induit par le monde réel qui se veut de plus en plus inclusif. De quoi faire entrer dans les mœurs, aussi bien du côté des supporters que du côté des joueurs, que l’homosexualité n’est pas incompatible avec le football, la masculinité ou la performance. Cette fonctionnalité, inutile au bon fonctionnement du jeu mais indispensable dans un souci de réalité, n’a pas fait de vagues.
Les relents numériques de l’homophobie
Pourtant, Football Manager a ravivé les tensions le 1er juin à travers sa page Facebook. En guise de soutien au NHS (National Health Service) qui lançait une opération d’inclusion de la communauté LGBTQ+ avec son « Badge Arc-en-ciel », FM a changé sa photo de profil en incluant les couleurs de cette communauté. Une publication qui compte au jour du 28 juin un peu plus de 1300 angry reacts, soit 17 % de l’ensemble des réactions au post.
17 %. Une statistique qui interpelle pour un monde de supporters qui se dit loin de l’homophobie, au compte de l’humour et du « folklore ». Sur cette simple publication, 17 % des gens seraient homophobes ? Même si cette analyse est trop rapide, les commentaires fustigent Football Manager et reprochent un soutien à la communauté LGBTQ+ qui n’a rien à voir avec le monde du football. « C’est un simple coup de marketing », « FM supporte une idéologie »… Des relents réacs’ face à une culture en mouvement. Pas si différent que le reste de la société finalement. On met le doigt sur le problème.
Le foot et l’homophobie, c’est surtout une question de culture et de
politique. Quand on va au stade, c’est pour profiter d’une expérience
d’effervescence collective, voir un match de foot pour crier, rire, pleurer et vivre un moment hors du quotidien. Le politiquement correct n’a pas sa place dans un stade. On est là pour regarder du foot, pas pour débattre. Pour certains, le stade reste le bastion d’un temps qui était mieux avant. C’est un moment où l’expression est libre et peut rester dans des cadres qui ne mêlent pas la politique au football.
Malheureusement pour certains et heureusement pour les autres, le foot est politique, imbriqué dans une réalité sociale forte, et doit être inclusif et respectueux des autres. C’est aussi le propre du sport en général et de ses valeurs qui se veulent non discriminantes et surtout universelles. Mais pour changer le monde, il faut un débat, des prises de position. Concilier les visions de tout le monde pour aller de l’avant, faire entrer la politique dans les stades – au grand dam de certains qui l’ont toujours rejetée, elle et ses débats fastidieux.
Alors quand la page officielle du jeu dirigé par Sports Interactive change sa photo de profil, le football sort du stade et les idées s’expriment dans l’espace commentaire. Autour de la pelouse, on s’interdit de parler politique, pas sur Twitter. Lorsque L’Equipe a sorti la Une de son Magazine avec deux poloïstes masculins s’embrassant, les réseaux sociaux ont encore une fois pris feu. Ça « gène », ça « dégoûte », ça « surprend »… un grand nombre de commentaires font foi d’un certain malaise face à cette photo. Pourtant, dans les stades, personne ne se dit homophobe, personne n’affirme entonner des chants insultants par conviction (ou très peu). Mais sur les réseaux, la culture foot s’exprime autrement. Loin des caméras, loin des sanctions de la LFP, chacun exprime réellement son ressenti et les angry reacts pullulent sous les publications Facebook qui lient communauté LGBTQ+ au football.
La culture foot serait donc homophobe ? Pour une petite partie sûrement. Pour le reste, les choses changeront sur le temps long, grâce au brassage des mentalités et des idées sur les réseaux sociaux. Parce que remplis de haine, ils sont aussi un bon moyen de s’exprimer, d’échanger et de se confronter à des idées nouvelles qui font aller de l’avant. L’homosexualité, tabou dans l’ensemble du monde du sport, arrive pas à pas sur le devant de la scène et s’ancre dans le débat virtuel. La culture foot est en perpétuel mouvement et s’accélère grâce à Facebook, Twitter ou Instagram. Autrefois confinées dans les stades, et souvent mises de côté volontairement pour aseptiser le football de toutes interférences politiques, les plateformes virtuelles voient les supporters s’exprimer sur des sujets longtemps invisibilisés. De quoi voir ce qu’il se dit, ce qu’il se pense pour tenter de modeler ce « folklore ».
Durant la semaine des fiertés, toute l’équipe de Caviar affiche son soutien à la communauté LGBTQ+ au nom du sport et des valeurs. Sans hésiter, malgré l’expérience ternie de Football Manager, à colorer son logo aux couleurs de l’arc-en-ciel. A notre manière, nous participons à une certaine culture du football qui prend son sens dans nos magazines et nos articles pour tous nous faire réfléchir sur le rôle de notre sport chéri, pour prendre conscience de son rôle au sein de notre société qui bouge. Avec zéro angry react, la communauté Caviar prouve, une fois de plus, que l’on peut compter sur elle pour créer un débat et transmettre des valeurs indispensables aux débats contemporains.