Le Forest Green Rovers FC bouscule les modèles préconçus dans le monde du ballon rond. Depuis 2010, ce club de l’ouest de l’Angleterre carbure à l’écologie, fournissant une démonstration remarquée de la nécessité et de la possibilité pour le football d’évoluer doucement vers la durabilité. Caviar vous emmène à la découverte de ce projet à part avec l’éclairage de son bâtisseur, Dale Vince himself.
Nailsworth, Gloucestershire. À quelques 160 kilomètres à l’ouest de Londres, non loin du Pays de Galles, se trouve le poumon vert de la planète football. Le club de Forest Green s’est fait un nom depuis quelques années dans le milieu du ballon rond. Il faut dire qu’il détonne par son engagement écologique. Tout cela grâce à un homme convaincu de la nécessité de sensibiliser et de montrer que sport de haut niveau et respect de la planète ne sont pas incompatibles : Dale Vince. De même que le PSG n’est pas né avec le Qatar, Forest Green existait bien avant Vince puisque le club fut fondé en 1889. Son arrivée aux manettes a cependant marqué un tournant dans l’histoire des Rovers.
Dale Vince, l’homme à la Green Lantern
L’intéressé nous raconte les coulisses du rachat : « J’ai entendu que le club local avait des soucis financiers. Je les ai appelés presque par accident, pour voir ce que l’on pouvait faire et surtout éviter la banqueroute. Je n’avais pas de plan ou quelconque stratégie, je voulais juste secourir le club. Et de là tout s’est mis en place petit à petit et presque naturellement. En réglant tous les petits problèmes, on s’est rendu compte qu’il était nécessaire de créer un club de foot vert. Et c’était aussi une manière d’intéresser une audience qui n’a pas l’habitude qu’on lui parle des problèmes environnementaux ».
Le fondateur de la société Ecotricity, spécialisée dans l’énergie verte, débarque avec ses millions et ses idées, lui, l’environnementaliste assumé. Nouveau projet, nouvelle identité. Premier pas avec un logo renouvelé en 2011. Le changement dans la continuité puisque perdurent éléments historiques que sont les bandes noires verticales et le ballon. Deuxième étape franchie en 2012 avec l’évolution des couleurs du club. Plus de place au vert, évidemment, pour coller davantage au projet. Un pas de côté par rapport aux traditionnelles tuniques Black and White esprit Newcastle (ou Foot Locker, selon les sensibilités), même si le noir reste bien présent.
Depuis cette date, Ecotricity s’affiche d’ailleurs sur le devant du maillot des Green Devils. Des symboles posant les bases du projet, accompagnés d’actes concrets. « La crise environnementale concerne tout le monde et rien ne sera possible si on ne sensibilise pas, si on ne montre pas l’urgence climatique et qu’on ne donne pas de solution aux personnes qui nous écoutent, insiste Dale Vince. L’idée au centre de notre projet, c’est de permettre une vie plus verte aux gens qui nous côtoient. Permettre des manières de vivre plus durables. Il existe de nombreuses options et technologies pour rendre son quotidien plus vert et on veut vraiment montrer aux gens que c’est possible. »
Exit les pesticides et les engrais chimiques, The New Lawn adopte une pelouse organique. Quelques 180 panneaux solaires sont installés sur le toit du stade fin 2011, fournissant 10% des besoins en électricité du lieu. La viande est bannie, les menus destinés aux membres du club comme aux supporters devenant totalement vegan. Loin d’être anodin quand l’on sait que l’élevage de bétail serait responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). « Ils servent la nourriture traditionnelle des stades, mais entièrement vegan : des burgers, des frites, des tartes… C’est vraiment bon, donc je saute le déjeuner les jours de match et je mange au stade à la place, explique Tim, supporter depuis quatre ans. Je suis vegan pendant 90 minutes toutes les deux semaines ! »
L’eau de pluie est aussi récoltée et recyclée, pour arroser la pelouse. Une bonne manière de préserver une ressource de plus en plus précieuse avec le réchauffement de la planète. Sans oublier les bornes pour voitures électriques sur le parking du stade, ou encore l’utilisation d’un robot tondeuse alimenté par l’énergie solaire. De quoi justifier le titre de champion du climat que Vince s’est vu décerner par l’ONU en 2019. « Il a révolutionné le club, tant sur le terrain qu’en dehors. Le bilan est très positif, le club est reconnu pour la qualité de son football et sa position sur les questions écologiques. Toutes les organisations ont leurs détracteurs et Forest Green ne fait pas tout bien, mais Dale Vince a été admirable dans ce qu’il a fait pour le club, qui était au bord de la faillite lorsqu’il a repris », appuie Phil, supporter depuis plus de 20 ans. Et l’aventure est loin d’être terminée.
.Vert l’infini et au-delà
La révolution des Rovers se poursuit, année après année. Green, c’est bien, mais greener, c’est mieux. Depuis 2019, les maillots sont constitués à 50% d’un mélange de bambou dans le but de réduire l’utilisation du plastique. Le club a également noué un partenariat privilégié avec Sea Sheperd, connu pour son engagement pour la préservation des océans. Alors que le logo de l’ONG apparaît sur les tenues de Forest Green depuis 2014, le club a rendu hommage à l’association l’an passé avec un troisième maillot inspiré par la peinture de camouflage du Steve Irwin, l’un de ses navires. Plus qu’un simple clin d’oeil puisque tous les bénéfices des ventes ont été reversés à Sea Shepherd. Aujourd’hui, le FGR est le seul club au monde à être certifié neutre en émissions carbone, puisqu’il a intégré un programme de l’ONU afin de compenser ses émissions, par exemple en finançant l’installation d’éoliennes.
Et le football dans tout ça ? Sur le terrain comme en dehors, la mayonnaise prend. En 2015, les Rovers atteignent pour la première fois les play-offs de la National League, où ils s’inclinent en demi-finale contre Bristol, futur promu. L’année suivante, ils terminent à la deuxième place du championnat mais tombent en finale face à Grimsby Town. Ils réussissent enfin à s’extirper de la cinquième division en 2017 en franchissant pour de bon l’obstacle des play-offs. S’ouvrent alors les portes de la League Two et de l’English Football League. Inédit dans l’histoire du club. Forest Green frôle la correctionnelle lors de sa première saison (21e du classement final avec seulement un point de plus que le premier relégué), puis tutoie les sommets durant la suivante. Cinquièmes, les Green Devils verront leur rêve d’accession s’évaporer en demi-finale des play-offs face à Tranmere.
Beaucoup d’étapes restent à franchir, mais l’objectif du Championship n’a rien d’une utopie. « Sur les trois promotions que l’on s’est fixées, nous en avons réussi une, il en reste maintenant encore deux. La prochaine étape est d’être promu en League One. On va avoir une bonne équipe cette année, on aura des chances », promet Dale Vince. « Nous avons manqué une belle occasion de monter en 2019 et nous avions bien commencé la saison passée en étant en tête au mois de novembre, souligne Tim. Après, on a connu une série de matchs très décevants et on a terminé au milieu du classement. Je pense que nous serons promus dans les prochaines saisons, et le Championship ne me paraît pas irréaliste. » L’équipe féminine peut elle aussi rêver de grimper l’échelle. Elle a réussi la performance d’accéder à la FA Women’s Premier League (troisième division) en 2015. Elle n’a toutefois évolué qu’une saison à ce niveau, bien qu’elle ait réussi à se maintenir sportivement – le club a décidé de se retirer du championnat à l’été 2016 en raison d’un grand nombre de départs dans l’effectif. Repartis trois échelons plus bas, les Rovers sont remontées d’un cran dès la saison suivante. Depuis 2017, elles évoluent ainsi en cinquième division.
Déterminé à pousser davantage la démarche eco-friendly, Dale Vince s’est mis en tête de faire construire un nouveau stade. Particularité : l’enceinte sera en bois, un matériau naturel et à faible empreinte carbone. « C’est une chance pour nous de repousser les frontières du développement durable. Construire un nouveau stade en bois, c’est prouver que l’on peut bâtir des édifices plus responsables », pointe-t-il. Les tractations ont duré, mais l’idée va finalement se matérialiser puisque le permis de construire vient d’être délivré. The Little Club on the Hill déménagera donc d’ici trois à quatre ans pour s’installer dans une enceinte de 5000 places à Eastington, à 10 kilomètres de Nailsworth, au cœur d’un Eco Park de 400 000 m².
Victime collatérale, The New Lawn sera détruit et remplacé par des logements à faible émission de carbone. Le projet divise chez les supporters. « Personnellement, j’y suis opposé. Le nouveau stade serait une grosse attraction pour les touristes et les nouveaux fans, cela créerait un intérêt supplémentaire, mais il éloignerait le club et ses fans de leur maison à Forest Green, explique Ollie, habitué à ces travées. The New Lawn n’a été construit qu’en 2005 et je trouve qu’il est toujours adapté. Si le stade actuel était utilisé au maximum de sa capacité chaque semaine, je comprendrais la nécessité d’un nouveau terrain, mais les matchs sont rarement complets et la capacité prévue est la même que celle de notre terrain actuel. »
Tim se félicite pour sa part « d’avoir un stade qui n’est pas comme les autres », tout en regrettant « qu’il ne puisse être construit à l’emplacement actuel du New Lawn ». Phil émet nettement moins de réserves : « C’est un magnifique projet qui s’inscrit dans le cadre d’un parc écologique. Je suis excité par cette perspective. Le nouveau stade est prévu dans un endroit bien mieux situé qu’actuellement, c’est gagnant-gagnant. En plus, l’ancien terrain sera utilisé pour des logements dont on a besoin et cela soulagera les riverains par rapport aux encombrements des jours de match ».
Unique dans l’univers du football, le club attire de nouveaux adeptes. « Nous sommes un nouveau type de club de foot, assure Dale Vince. Nous avons mélangé l’environnement et le football, et ça crée forcément un nouveau type de supporter. On veut toucher le maximum de personnes et leur faire changer la manière dont ils vivent. Nous avons des fans dans plus de 20 pays dans des groupes reliés au club, ce sont parfois des écolos, parfois des fans de football, parfois les deux, et parfois l’un devient l’autre. En tant que club de foot, nous essayons de toucher une audience assez large et différente d’un club traditionnel. On parle d’un “nouveau type” de supporters, un “nouveau type” de club de foot. »
Ian est un exemple de cette hybridation. Il a rejoint la Green Army au mois de mars : « J’ai lu quelques articles de journaux et regardé quelques clips sur YouTube sur la durabilité du club et son éthique verte, et j’ai été vraiment impressionné. J’ai décidé d’essayer quelques saisons avec eux sur Football Manager et je suis tombé amoureux ! J’aime le fait que ce soit un petit club, bien géré, avec une identité sur le terrain et en dehors. Le club a un esprit unique, différent de la culture traditionnelle du football. Forest Green n’est pas comme les autres clubs, et sa propre identité écologique est vraiment attrayante ». Ce tournant a également conduit des supporters historiques à changer leurs habitudes et à davantage s’interroger sur l’écologie.
« J’ai toujours veillé à y être sensible, mais les valeurs du club ont fait de moi quelqu’un de mieux informé et plus déterminé à faire tout mon possible pour sauvegarder notre planète, témoigne Phil. Je suis plus respectueux de la planète et j’encourage les autres à prendre conscience des menaces qui pèsent sur notre avenir. Je mange beaucoup moins de viande, seulement deux jours par semaine, nous avons suivi le mantra “réduire, réutiliser et recycler” et faisons nos courses presque entièrement localement. Le projet du FGR a certainement permis de sensibiliser les gens et a été bénéfique. Dale a très habilement utilisé le football pour faire connaître ses convictions écologiques. La plupart de fans n’ont pas de problème avec cela tant qu’il y a une attention suffisante portée au football. »
Une attention portée au football, oui, et l’attention du monde du football, aussi, comme le rappelle l’arrivée de l’Espagnol Hector Bellerin dans le capital du club le 8 septembre. Le latéral d’Arsenal est devenu le deuxième actionnaire des Rovers, un investissement logique pour le joueur, vegan depuis trois ans et très actif pour la cause environnementale. « Je suis heureux d’aider à faire avancer le football vers un futur durable. Forest Green prouve aux clubs qui disent “qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour être durables” que c’est possible, soulignait-il alors. Avec le nouveau stade, neutre en carbone et vegan, le club fait un travail époustouflant. Les gens ont un amour universel du football, donc il n’y a pas de meilleure industrie pour promouvoir la durabilité – et ce que nous pouvons faire en tant que supporters de football pour être plus attentifs à l’environnement. »
🤝 𝘽𝙀𝙇𝙇𝙀𝙍𝙄𝙉 𝙅𝙊𝙄𝙉𝙎 𝙁𝙂𝙍@Arsenal defender @HectorBellerin has become the second-largest shareholder at the club.
— Forest Green Rovers (@FGRFC_Official) September 8, 2020
Welcome to FGR, Hector!#WeAreFGR 💚
Un soutien de poids qui permet de mettre un peu plus en lumière le projet, et qui donnera peut-être des idées à d’autres entités. Dale Vince est d’ailleurs persuadé « que les clubs de Premier League pourraient avoir de plus grands succès » que le FGR : « Ce serait relativement facile pour eux. Selon moi, plus on joue à bas niveau, plus c’est difficile de rendre les choses plus durables et écologiques. Avec plus de moyens, on peut réaliser de plus grandes choses ».
Quentin Ballue et Martin Chabal