Brighton & Hove Albion affronte, ce samedi, une des belles surprises de Premier League, Leicester City. L’affiche du soir semble déséquilibrée entre l’actuel seizième qui reçoit le troisième. Pourtant, l’équipe de la côte sud anglaise fait beaucoup parler d’elle dans ce championnat notamment grâce à son entraineur. Deuxième plus jeune manager du championnat, Graham Potter tente de maintenir le club dans l’élite en se basant sur un jeu léché. C’est grâce à cette identité qu’il s’est fait connaitre du grand public lorsqu’il était à la tête du Östersunds FK.
Le nom de Graham Potter évoque instinctivement deux images pour les amoureux du club d’Östersund. L’entraineur est deux fois ivre de bonheur. Toujours accompagné par ses joueurs. Seulement, les deux lieux où se déroulent ces moments n’ont, en apparence, aucun lien. En juillet 2017, l’entraineur d’Östersunds FK est au centre du Türk Telekom Arena où, sautant dans les bras de ses hommes, il célèbre la qualification du club suédois pour le troisième tour préliminaire de Ligue Europa, au dépend de Galatasaray. Outre l’exploit réalisé, le tableau semble relativement normal : un entraineur de football se trouve sur un terrain de football après la rencontre de son équipe. Le second détonne davantage. Un an plus tôt, situé sur la scène de la petite salle de spectacle du Frösö Convention Centre, il s’écrie : “Mesdames et messieurs ! Ils jouent au football ! Ils sont aussi musiciens ! Je vous demande d’applaudir l’irrésistible et légendaire équipe de l’OFK !”. S’en suit alors un spectacle tout aussi iconique où les joueurs mais également des fonctionnaires du club et l’entraineur mettent leur créativité artistique à profit autour de danse et de chant. Le gala de charité servait à lever des fonds pour aider les réfugiés fuyant les pays en guerre. A la tête du club suédois, Graham Potter a réussi à mêler humanisme et ambitions sportives.
DE LA QUATRIÈME DIVISION À L’EUROPE
Après une modeste carrière de joueur passée majoritairement entre la deuxième et la quatrième division anglaise, Graham Potter décide de prendre sa retraite à 30 ans. Son objectif est de devenir entraineur mais il veut y accéder d’une manière moins singulière que ses pairs. Il décide d’aller étudier à l’Open University pour y suivre des cours de sciences sociales en plus du master en management et intelligence émotionnelle qu’il a déjà en poche. Il réalise une thèse sur l’importance de l’image véhiculée et de l’autonomie dans le développement individuel. Grâce à ces nombreux diplômes et accomplissements, il se voit offrir un poste d’enseignant du développement du football aux grandes universités de Hull et de Leeds. Afin de se concentrer au terrain, Potter devient coach de l’équipe universitaire d’Angleterre puis directeur technique de l’équipe féminine du Ghana. Ce parcours atypique ne semble guère attirer les clubs professionnels anglais et il se trouve obligé de migrer en Suède pour réaliser sa véritable première expérience en tant qu’entraineur de club.
En décembre 2010, Daniel Kindberg, tout nouveau président d’Österdunds FK, contacte Graham Potter afin de le faire venir dans le pays scandinave. Tout jeune père et mari d’une femme dont les affaires marchent à merveille en Grande-Bretagne, il n’hésite pourtant pas et commence à officier pour le club suédois dès janvier 2011. S’il est un grand adapte de l’audace et de la prise de risque sur le rectangle vert, cette décision montre qu’il s’applique, également, ce mode de pensée dans la vie. Surtout que la destination n’est pas tellement paradisiaque. Surnommée “Winter City” pour son rustre climat, la ville d’Östersund est davantage connue pour son amour du biathlon et la froideur de sa population. Ces habitants sont d’ailleurs critiques avec le club de football. Seulement fondé en 1996, l’Östersunds FK est en quatrième division lorsque Potter arrive en Suède. Une situation préoccupante qui inquiéta même son épouse Rachel. Il raconte dans les colonnes de la BBC que lorsqu’elle arrivait à la crèche et disait être la femme du nouvel entraineur du club local les réponses étaient sans appel : “Je rentrerais chez moi si j’étais vous“.
La défiance des habitants va cependant vite s’estomper devant le travail du technicien anglais. Alors qu’en 2011 le club végète en quatrième division, Graham Potter et ses joueurs réalisent deux promotions consécutives lors des deux premières saisons. Après deux nouvelles années à se maintenir largement en Superettan, l’Östersunds FK monte en Allvenskan soit le plus haut championnat professionnel du pays. Grâce à un jeu fait de mouvement perpétuels, le club et son coach impressionnent la Suède. Les habitants de “Winter City” se prêtent même au jeu faisant passer l’affluence moyenne de la Jämtkraft Arena de 800 à près de 6 000 entre 2011 et 2018. C’est d’ailleurs sous le mandat de Potter que le stade est passé d’une capacité d’accueil de 5 000 à 8 000. En plus des multiples –et soudaines- promotions, le club arriva à se maintenir facilement lors des deux premières saison en première division. Si la huitième place de la première année est encourageante, c’est notamment le sacre de la Svenska Cupen 2017 qui propulsa Östersund et Potter dans une autre dimension. Le titre en coupe national était également un billet vers le second tour préliminaire de Ligue Europa. Le tirage au sort n’est pas clément pour cette double confrontation puisque le modeste promu suédois doit affronter l’ogre turc du Galatasaray. Pourtant, Potter et son jeu de passes donnent le tournis aux favoris et s’imposent 3-1 sur l’ensemble des deux rencontres. Fou de joie il ne peut s’empêcher de participer à la liesse générale sur la pelouse du Türk Telekom Arena.
APPRENTISSAGE CULTUREL ET UNITÉ
Le troisième tour préliminaire sera abordé de la même manière malgré le statut du club luxembourgeois de Fola Esche. Sur le même score qu’au tour précédent, l’Östersunds FK se qualifie pour les barrages où l’expérimenté PAOK Salonique l’attend. Le score du match aller semble mettre fin à la première aventure européenne du club de Daniel Kindberg car les Grecs l’emportent trois buts à un. Seulement, ce but arraché à l’extérieur change tout car le match retour sera pleinement maitrisé de la part des joueurs de Potter et que la victoire 2-0 suffira à se qualifier pour une première phase finale de coupe d’Europe de ce jeune club. Il réussit même l’exploit d’éliminer l’Hertha Berlin pour sortir du groupe et s’octroyer le privilège d’affronter Arsenal. Le jeune entraineur anglais s’offre ensuite le luxe de battre les Gunners d’Arsène Wenger à l’Emirates Stadium pour sortir la tête haute de cette campagne européenne. Défaite logique de l’OFK mais cette épopée est la parfaite illustration du travail tout aussi parfait de l’entraineur. Arrivé en 2011 dans un club de quatrième division suédoise, Graham Potter se retrouve en février 2018 à jouer un seizième de finale de Ligue Europa avec cette même équipe. Une équipe qu’il aura façonné et un club qu’il aura révolutionné.
Avant qu’il ne pose ses valises à Östersund, le club local n’avait aucune identité propre notamment dû à sa naissance très récente et donc à l’absence de patrimoine existant. Ceci est un grand frein notamment dans le football globalisé où les clubs moins riches comme l’Ajax Amsterdam ou l’Athletic Bilbao peuvent s’en sortir grâce à leur culture. Graham Potter explique que “pendant les deux premières années, il était impossible de faire venir des gens du sud de la Suède parce qu’il n’y avait ni histoire, ni tradition, ni culture […] Nous devions donc fournir une identité, un style de football qui pouvait être intéressant pour les gens et sortait de la culture suédoise traditionnelle”. Nous verrons ce qu’il est de la culture du jeu grâce à son travail actuel avec Brighton -bien plus accessible que les matchs d’Östersunds FK- mais celui-ci semble presque secondaire par rapport à la véritable culture recherchée. Avant que Potter ne s’égosille sur la scène de la salle de spectacle, l’attaquant irakien de l’OFK avait lancé le gala de charité par cette phrase pleine de sens : “La solidarité, c’est un acte collectif dans lequel on prend ses responsabilités sans recevoir de contrepartie, pour le seul bienêtre du groupe“. La soirée se poursuivit avec l’interprétation de l’équipe première de la célèbre chanson We are the world et pris fin sous les confettis rouges et noirs. Les missions humanistes du club ne s’arrêtèrent pas là pour autant tout comme les activités culturelles.
Dès l’arrivée de Potter, le président Kindberg publia les valeurs “officielles” du club. Celles-ci étant l’ouverture d’esprit, les objectifs sur le long terme, la sincérité, l’honnêteté, la fiabilité et le professionnalisme. En ne se focalisant que sur les résultats et en adoptant une culture du blâme où les erreurs étaient sources de conséquences honteuses, l’Östersunds FK s’était enlisé dans les divisions inférieures du football suédois. Potter a changé cette philosophie en mettant notamment fin à cette culture du blâme. Grâce à ses études, le technicien britannique estime que le management des émotions est primordial. Ainsi la réponse aux erreurs commises est importante tandis que la peur n’est qu’un frein à la progression. En plus de cette ouverture d’esprit managériale, la paire Kindberg-Potter obtient l’aide de Karin Wahlen. Cette chargée de communication, nommée coach culturelle au sein du club, a un objectif clair : “Orienter les joueurs vers la culture fera augmenter leurs résultats. Ca les sortira de leur zone de confort pour les rendre plus audacieux sur et en dehors du terrain. Lorsqu’on est audacieux, on peut exploiter sa créativité sans avoir peur de l’inconnu”. C’est ainsi que les joueurs de l’OFK rencontrèrent des artistes, des écrivains ou encore des chanteurs.
Sa prise de fonction a permis un essor d’identité culturelle du club. Chaque année se ponctue par des projets culturels menaient tout au long de la saison en parallèle du football. Une représentation théâtrale eu lieu en 2012, l’Östersunds FK organisa une exposition artistique l’année suivante, le livre Mon itinéraire auquel tous les employés du club ont participé a été publié en 2014 tandis qu’en 2015 ils ont écrit et mis en scène un spectacle de danse. Le projet le plus prodigieux fut cependant abouti l’année de la montée en première division nationale. En effet, le club réalisa une interprétation moderne du Lac des cygnes au théâtre de la ville. Chaque répétition ressemblait à un entraînement de ballon rond où la nervosité laissa vite place à l’intrigue puis au plaisir. La représentation se passa très bien devant près de 500 spectateurs. Ben Lyttleton, dans son ouvrage Manager United, écrit à ce propos que “Potter exécuta un solo : allongé sur le ventre, les genoux pliés en angles droits, sur le sol de la scène recouvert de confettis dorés. Il releva doucement sa tête et son cou et se mit à regarder autour de lui. Ses mouvements étaient empreints d’une dignité et d’un immobilisme saisissants. C’était magnifique”. Grâce à ces exploits peu communs, le club se voit en Une des rubriques sportives mais également culturelles des journaux suédois. La montée de l’intérêt pour ces arts coïncide avec l’essor des résultats sportifs. L’apprentissage culturel s’est donc trouvé avec un poids quasi-identique à celui du sportif pourtant très performant sous les ordres de Graham Potter. C’est un travail collectif car cet enseignement ne se voyait pas que sur scène ou à travers un article mais à chaque fois que les joueurs foulaient la pelouse. Culture, audace et unité sont les concepts primordiaux de la tactique de l’entraineur anglais.
BRIGHTON : L’EXEMPLE DE L’IDENTITÉ DE JEU
Lors de sa seconde vie d’écolier, il était le seul sportif de sa classe quand les autres étaient issus de l’armée ou du monde médical. Il est maintenant un des emblèmes de la croissance de l’impact de la culture dans le football. Milieu pourtant corporatiste où l’intellectualisation n’est pas toujours la bienvenue. Fort de sa longue expérience à Östersund et après une saison contrastée avec Swansea en Championship, Graham Potter s’engagea avec Brighton & Hove Albion à l’aube de la saison 2019/20. Le club venait pourtant d’assurer deux maintiens en Premier League sous la houlette de Chris Hugton. Malgré ses bons résultats, il fut remplacé par le jeune technicien à la culture tactique bien moins froide et pragmatique. L’arrivée de Potter fit d’ailleurs venir quelques joueurs notables comme le Français Neal Maupay, l’ancien de Liverpool Adam Lallana ou encore l’arrivée récente de Moïses Caicedo qui était pourtant courtisé par Manchester United. Il explique que “J’aime beaucoup de choses à Brighton. J’ai vu que tout le monde était très uni. c’est un super club. J’aime la façon dont ils jouent et s’entraînent. C’est ce qui m’a convaincu de venir ici”. Potter cherchait à créer une identité de jeu pour pouvoir attirer joueur et public en Suède, il doit mettre les mêmes ingrédients sur la côte sud du Royaume.
Ce jeu attrayant démarre grâce à une relance courte. Ici, Ben White est essentiel et il sait exactement quoi faire puisque Marcelo Bielsa lui demandait un travail identique lorsqu’il était prêté à Leeds la saison passée. Si Brighton joue presque exclusivement avec une défense à trois où Lewis Dunk et Adam Webster accompagnent White, le reste des schémas varient en fonction de l’adversité. Ainsi, la malléabilité de Potter le pousse à le faire passer de schéma en 3-4-2-1 à des 4-4-2 ou des 3-5-2. L’important n’est pas sur la composition affichée à la télévision mais à l’activité visible sur le terrain. Celle-ci vient notamment par les pistons qui sont Solly March et Tariq Lamptey. Selon WhoScored, Brighton attaque 37% du temps dans le couloir gauche, 38% dans le droit et seulement 26% dans l’axe. En plus de ces débordements, les relais au milieu de terrain sont importants. Dans un rôle de meneur offensif assez libre, Alexis Mac Allister est le joueur idoine pour le style de jeu de Potter que cela soit par ses passes ou sa mobilité avec et sans ballon. Plus à l’aise avec la possession de balle, The Albion n’hésitent cependant pas à la laisser face aux plus grosses écuries pour procéder en transition.
Dans une Premier League aseptisée où le maintien se construit à coups de long ballons et de vice défensif, Brighton et son manager tentent de se faire une place autrement. Grâce à un effectif très jeune et à un jeu fait de mouvements et d’audace, the Seagulls détonnent mais ne décollent pas. La faute à une inefficacité chronique. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le club est seizième du championnat avec 26 points en marquant autant de but. En suivant la cruelle loi des expected goals, Brighton pourrait en réalité figurer à la cinquième place du championnat avec 41 réalisations… L’année 2021 semblait plutôt bien commencer avec une invincibilité de la dix-neuvième à la vingt-quatrième journée en signant des victoires face à Tottenham et Liverpool. C’était sans compter sur les deux derniers matchs et le retour de l’interminable running gag à propos de l’inefficacité de Brighton. L’imperturbable Roy Hodgson n’a eu que faire du total de 2,59 xG (contre ses 0,18) puisqu’il s’impose 1-2. De la même façon, Sam Allardyce, qu’on ne présente plus, se contenta d’une victoire sur le plus petit des scores quand les expected goals désignèrent 1,13 pour son West Bromwich contre 3,14 pour le Brighton de Potter qui loupa deux penaltys. Une inefficacité plus qu’agaçante qui ne doit pas faire oublier toutes les belles choses vues dans le jeu depuis sa prise de fonction.
Dire que Graham Potter est un homme de culture serait un euphémisme après avoir conté son parcours d’entraineur bâti sur cet apprentissage. Il est aujourd’hui l’un des entraineurs les plus en vogue du circuit anglais. Cette réputation a pu se faire grâce à son remarquable travail du côté de la Scandinavie mais également par le vent de fraicheur qu’il emmène dans les luttes de bas de classement de Premier League. La culture comme point de départ, l’audace pour la perpétrer sur le terrain et l’unité pour pouvoir réaliser de grande chose. Telle est la doctrine de Graham Potter.
Enzo Leanni