Jean-Paul Bertrand-Demanes : “Bob Marley était un dingue de foot. Et il savait jouer au ballon !” (2/2)
Bob Marley et son ballon, c’est une histoire d’amour légendaire. Des terrains vagues de Trenchtown à San Siro, sa passion pour le “sport-roi” l’aura suivi jusqu’en 1981. Certains diront, ironiquement, que le football l’a tué. Maudite blessure faite à Paris, en 1977… Mais la France, Bob n’y a pas que des souvenirs tragiques. Le 2 juillet 1980, le “Roi du reggae” se ramène à la Jonelière, centre d’entraînement du FC Nantes, en compagnie de toute son équipe. Les Canaris sont champions de France en titre… et Marley veut les affronter. Pour nous conter le récit de cette rencontre, l’un des joueurs présents ce jour-là : Jean-Paul Bertrand-Demanes, gardien de l’Equipe de France à la Coupe du Monde 1978, recordman de rencontres disputées avec le FC Nantes et grand ami d’Henri Michel, se souvient.
Monsieur Bertrand-Demanes, merci de nous accorder cette interview. Vous avez eu l’opportunité de taper la balle avec la légende Bob Marley. Comment un tel évènement a-t-il pu se produire ?
Je ne sais pas exactement comment ça s’est fait… Je me souviens, à l’époque, il n’y avait pas de zénith à Nantes, mais il y avait une personne qu’on connaissait qui s’occupait de tous les gros concerts de la ville. Vous savez, on a eu pas mal de concerts qui se faisaient, notamment au stade de la Beaujoire. Je pense que c’est lui qui a dû organiser la venue de Bob Marley à Nantes. Bob Marley était un dingue de foot. D’après ce qu’on m’a dit, ce serait lui qui aurait demandé s’il pouvait venir s’entraîner avec nous. Bien sûr que le club a accepté ! C’est arrivé quelques fois de nous entraîner avec un chanteur français, une personnalité… Enfin, s’entraîner… Souvent, ils arrivaient, et puis à la fin de l’entraînement, on passait 15-20 minutes à jouer. Il y a eu des journalistes, des chanteurs…
Donc je pense que c’est comme ça que c’est arrivé avec Bob Marley. On nous a demandé de rester un peu après l’entrainement pour jouer avec lui. On était quelques-uns, il devait y avoir Rampillon, Henri Michel [mais aussi Loïc Amisse, et Bruno Baronchelli]. On a fait un cinq contre cinq, pas vraiment un match de foot. Ce dont je me souviens, par contre, c’est que généralement, quand on fait des choses comme ça, avec des invités qui venaient pour jouer, pour échanger quelques balles avec nous, souvent, on s’apercevait vite que le foot n’était pas leur métier (rires).
Mais Bob Marley jouait très bien. Il était avec quelques musiciens, et il était très bon. Je ne sais plus si on a gagné, si on a perdu, le score importe peu [les joueurs nantais l’ont emporté 4 buts à 3]. Mais lui et ses quelques musiciens, ils avaient une très bonne équipe. Et je crois que sur le moment on ne s’est pas rendu compte qu’on venait de jouer au foot avec l’un des plus grands musiciens de l’Histoire, quelqu’un qui a marqué la musique de façon incroyable. Bob Marley était une star mondiale, c’est lui qui a fait découvrir le reggae. C’était un super souvenir.
Bob Marley et le football : “One Love”
BLANCVous vous souvenez bien du match ?
Non, car le match, enfin le petit jeu, c’était accessoire pour nous. Le plus important, c’était de jouer, de se faire plaisir, et aussi de lui faire plaisir. C’était de la détente, ce n’était pas un truc officiel.
BLANCVous m’avez dit qu’ils étaient bons. Certains journalistes ont déclaré que Bob Marley était un « joueur incroyable », quand d’autres ont expliqué qu’il n’était en réalité pas si doué. Vous qui avez joué avec lui, je vous laisse rétablir la vérité.
Il jouait très, très bien. Vous savez, dans le jargon, on disait que des « touristes » venaient parfois jouer avec nous. Souvent, ils aimaient le foot, mais ils avaient deux jambes en bois. Là, c’était un « touriste » qui jouait bien. Il savait jouer au ballon. Je pense qu’à l’époque, il avait facilement le niveau troisième division. Il avait un bon niveau, un très bon niveau. Il aurait pu jouer dans un bon club amateur. Il avait des qualités. Quitte à en faire un footballeur professionnel, je ne sais pas, mais il avait des qualités. Après, c’est vrai que s’il s’était entraîné depuis tout jeune, s’il avait eu une hygiène de vie compatible avec le foot…
BLANCVous qui aviez fait la Coupe du Monde et qui étiez champion de France en titre, vous voyez arriver Bob Marley : quelle est votre réaction ?
Je vais vous dire… J’ai eu l’occasion de rencontrer Bob Marley, j’ai aussi eu la possibilité de croiser Paul McCartney, à Saint-Barth. Il mangeait à la table à côté de la mienne. J’étais avec un ami qui habite Saint-Barth, et qui parle anglais couramment. Donc on a parlé un peu avec Paul McCartney. Quand on discute avec ces gens-là, on a l’impression qu’on parle à des surhommes, à des gens qui font des choses extraordinaires. Moi, même si j’ai fait la Coupe du Monde, je ne suis pas une star mondiale, je suis un bon footballeur, je suis une petite star nantaise on va dire.
BLANCVous avez quand même eu une sacrée carrière avec le FC Nantes…
Oui, oui, mais bon, quand vous comparez à des gens comme ça… Moi je les regardais comme on regarde des monstres ! Mais le problème, c’est que quand vous discutez avec eux, on a envie de parler de musique, de leur vie… Et eux, ils nous considèrent comme des surhommes ! À leurs yeux, c’est nous qui sommes des gens extraordinaires, parce qu’on tape mieux dans un ballon. Je l’ai remarqué pas mal de fois. J’ai fait des jubilés avec des joueurs du Variétés Club de France. J’ai discuté avec Tom Novembre, Richard Gotainer. Pour moi, ces gens-là, c’était des monstres sacrés. Et eux, ils disaient : « mais nous on ne fait rien, c’est vous qui êtes plus forts que tout ».
Bon, bien sûr chacun a son activité. Mais quand vous rencontrez Bob Marley ou Paul McCartney, vous savez que vous avez rencontré le summum du summum. C’est des gens qui ont marqué l’Histoire, et dont on parlera encore dans cinquante ans.
BLANCC’est là qu’on se rend compte aussi de la puissance du foot. Aux yeux de beaucoup, les footballeurs sont souvent vus comme des superstars…
Et en plus, c’était dans les années 80, c’était moins médiatisé que maintenant ! Mais le foot, c’est le sport mondial, tous les pays du monde jouent au foot. C’est comme ça. Mais vous savez, je suis ravi de parler de foot, de chanteurs, mais je pense qu’il y a aussi des personnes exceptionnelles : tout le monde médical, tout le personnel soignant. Aujourd’hui on s’en rend compte, et moi je m’en suis rendu compte quand j’ai été soigné pour mon cancer. Cette période nous montre qu’ils sont quand même beaucoup plus importants qu’un mec qui arrête mieux un ballon que la moyenne.
BLANCC’est sûr qu’en cette période, on se rend compte de l’importance de personnes, de fonctions qu’on ne voit pas forcément et qui sont pourtant essentielles.
Oui, comme je dis souvent, moi j’arrêtais mieux les ballons que d’autres personnes, mais je n’ai pas sauvé de gens. Il y a des choses beaucoup plus importantes qu’un match de football, qu’un match gagné ou perdu.
BLANCÀ l’époque, les footballeurs n’avaient pas même le statut qu’aujourd’hui. Avant de vous rencontrer, Bob Marley vous connaissait-il ?
Je ne me souviens pas, mais je ne pense pas. A l’époque, le football n’était pas médiatisé. Même si on était champion de France, ce n’était pas comme aujourd’hui. Aujourd’hui, Mbappé, il fait trois matchs en Coupe du Monde, tout le monde le connaît. A l’époque, au niveau national, il n’y avait qu’un match télévisé dans la saison, c’était la finale de la Coupe de France. Donc Marley devait sans doute connaitre des joueurs, comme Maradona. Mais nous, je suis sûr que non.
BLANCAprès, il a quand même fait la démarche de jouer contre vous…
Vous savez, je pense que comme c’était un amoureux du foot, il faisait la démarche partout où il allait. S’il allait faire un concert à Londres par exemple, peut-être qu’il demandait à s’entrainer avec Arsenal, Chelsea. Sans doute qu’on lui a dit, quand il est venu faire ce concert à Nantes, qu’il y avait une très bonne équipe de foot. Comme certains chanteurs aiment par exemple faire un footing, lui aimait jouer au foot avant chaque concert. Il n’a pas demandé de jouer au foot spécifiquement parce qu’il était à Nantes, juste parce qu’il voulait jouer au foot.
BLANCTous ses musiciens jouaient au foot ?
Non, pas tous. Car je me souviens aussi qu’après l’entrainement, on avait été dans le bus des Wailers, un grand car, avec des musiciens, des techniciens… On nous avait offert un disque dédicacé de Bob Marley. Dans le car, il y avait des musiciens qui ne jouaient pas au foot, mais qui étaient en train de fumer des pétards, je ne vous dis pas un peu ce que c’était (rires). Vers 11-12h, quand je suis rentré chez moi, j’ai dit à ma femme : « je crois que je suis soûl ». Parce que moi je n’ai jamais fumé, je n’ai jamais pris de drogue… Ça sentait, ça sentait ! Et ils avaient des gros pétards, des gros cônes, c’était vraiment le sketch !
BLANCLe soir, êtes-vous allé à son concert ?
Oui, j’y suis allé. A l’époque, à Nantes, dès qu’il y avait un concert, j’allais au concert, sauf s’il y avait un match, mais généralement, il n’y avait pas de match le jour des concerts (rires). J’ai été voir U2, Pink Floyd, Dire Straits, Bob Marley, Supertramp.
BLANCA l’époque, vous écoutiez du reggae ?
Pas plus que ça. Mais après j’en ai écouté beaucoup, car mon fils ainé, qui malheureusement est décédé, était un dingue de Bob Marley. Avec lui, dans la maison, il y avait souvent du Bob Marley. Moi j’aime bien la musique et j’en écoute volontiers. S’il y a un morceau de rap je zappe, s’il un morceau de reggae j’écoute.
BLANCEst-ce qu’il y a d’autres joueurs, d’autres personnalités que vous avez rencontrées, qui vous ont fait une aussi forte impression que Bob Marley ?
J’aimerais vous parler de Claude Lemesle. Il était très ami avec Henri Michel et il adorait Nantes. Il venait nous voir à tous les matchs. Lemesle, je ne sais pas si vous connaissez, mais il a écrit pour Joe Dassin, pour Julio Iglésias, pour Gilbert Bécaud… C’était un très grand parolier.
Un jour, on allait jouer à Reims. A l’époque, on voyageait en train et on devait d’abord rejoindre Paris. Ensuite, pour faire Paris-Reims en train, il fallait quoi, une heure et demie. Il était avec nous, il est monté dans le train et il s’est assis. Il nous a dit : « j’ai un truc à faire ». Une heure et demie après, il avait écrit une chanson ! Je trouve ça assez incroyable, en une heure et demie, le mec a écrit une chanson.
BLANCVous savez si elle est sortie ?
Sans doute que oui (rires). Les personnes comme lui sont des gens qui ont un talent extraordinaire. Moi j’adore la musique, j’aime bien écouter de la musique, mais je suis incapable de faire ce qu’ils font. J’ai fait un peu de piano, mais à leur niveau, c’est incroyable. Ils ont un don. Et les gens qui maitrisent très bien un truc, ils vous disent toujours que ce n’est pas compliqué (rires). C’est comme moi, les gens me disent « jouer au foot, mais c’est incroyable… ». Mais pour moi, ce n’est pas compliqué, parce que j’avais un don au départ et qu’après je me suis entraîné.
C’est comme ça, c’est la vie. J’ai toujours pensé que dans la vie, tout le monde a des dons. Il y a une petite fée qui se penche sur le berceau et qui dit « toi tu auras des dons un peu supérieurs pour jouer au foot, pour faire de la musique, pour faire du dessin ». Et après, il y a le travail. Bob Marley, lui, avait le chromosome de la musique, mais aussi le chromosome du sport.
Propos recueillis par Léon Geoni