En 1968, une jeunesse scandalisée et outrée sortait pancartes, banderoles et blousons de cuir pour scander l’indémodable slogan : « il est interdit d’interdire ! » 53 ans plus tard, c’est d’un pas de « moonwalk » assuré que le progrès recule, alors que certains de ces ex-révoltés sont devenus « boomers » et qu’une autre jeunesse à qui l’on a tout interdit, suffoque seule devant son écran.
Pendant de longs instants, longs comme plusieurs semaines, les écoliers ont cessé de jouer aux billes, et les cartes Pokemon n’étaient guère plus échangées qu’après avoir été gracieusement garnies de gel hydroalcoolique. Les cours de récré, les stades ou les gymnases, n’étaient occupés que par de scrupuleux concierges et l’on ne jouait plus au foot que sur FIFA. Comme toutes les autres, cette génération que certains osent appeler sacrifiée, s’est adaptée à l’exceptionnalité du moment. C’est rude à l’âge où les sens sont supposés s’éveiller dans une géniale « passion pour l’inutile. » Mais ce ne serait que dommageable, si à cette existence livide ne s’était ajoutée une inacceptable précarité. Beaucoup d’étudiants, dépossédés de leurs « à-côtés » mensuels, se sont appauvris, loyers après loyers, jusqu’à ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins.
Le football fut un autre de ces « à-côtés » manquants. Pas d’entrainement la semaine, ni de match le samedi, pas de sacs-à-dos maladroitement alignés pour confectionner deux buts. Si le simple footballeur de plaisance s’y est résolu comme il le pouvait, celles et ceux qui aspirent à l’élite ont compté les secondes, espérant enfin pouvoir faire valoir leurs talents. Ce ne fut qu’un modeste sacrifice pour sauver des vies. Mais le football est moins un constructeur de carrière qu’un bâtisseur social pour l’individu comme pour le groupe. Si le sacrifice était nécessaire, il n’en fut pas moins douloureux voire destructeur.
Heureusement, l’été arrive et le vent se lève à mesure que les conditions sanitaires s’améliorent dans notre pays. Nul doute que cette éclaircie profitera à la jeunesse et que l’anticyclone « football » aura son rôle à jouer.
D’ici-là, rappelons au ballon rond qu’il manque à sa jeunesse.
V.F
Illustration : Romane Beaudouin