Des transferts sur mineurs, sponsorisés de plus en plus jeunes, et encadrés par des agents obnubilés par l’argent… Voilà comment résumer l’attrait du foot-business sur les joueurs de moins de 18 ans. Le cadre légal posé par les institutions ne suffit plus à les protéger.
Comment ne pas prendre peur face à l’ampleur du phénomène ? En décembre 2018, Michal Zuk, signe un contrat de sponsoring avec Adidas. Le joueur du FC Barcelone vient à peine d’avoir 9 ans. Toujours en 2018, l’AS Monaco est accusé, dans l’épisode des Football Leaks, de rémunérer des joueurs de moins de 15 ans via des primes anticipées et des emplois proposés aux parents. Ces mêmes révélations de l’European Investigative Collaborations pointent du doigt Arsenal ou le FC Porto. Ces clubs sont accusés de rémunérer des agents à hauteur de 20 000 euros par contrat signé avec des joueurs mineurs. Des affaires qui révèlent les failles du système de la FIFA. Les règles protégeant les joueurs de moins de 18 ans semblent inefficaces. Pourtant, la plus grande institution du football en a bien conscience dans son règlement : « Les jeunes footballeurs peuvent être vulnérables (exploitation et abus) lorsqu’ils se trouvent dans un pays étranger sans mesures de contrôle appropriées. ». Transferts, contrats, sponsors, agents… Caviar Magazine détaille, pour vous, comment les joueurs mineurs restent les proies des acteurs du foot-business.
Le contrat, un cadre strict qui n’empêche pas la spéculation
Première étape de la vie d’un footballeur : la signature du premier contrat. Pour les joueurs mineurs, c’est l’occasion de s’assurer un revenu minimum, mais surtout de continuer leur insertion dans leur club et de valider leur sortie du centre de formation. En France, les règles sont strictes : pas de rémunérations avant 15 ans. Le joueur peut seulement signer un « accord de non-sollicitation » ou une « convention » qui l’incite à rester dans son club formateur pendant au moins 3 ans. 15 ans passés, le joueur peut désormais être rémunéré en fonction du contrat qu’il signe. Contrat-aspirant, apprenti, stagiaire, élite… Plusieurs formes de contrats = plusieurs manières d’être payés. La rémunération reste strictement encadrée par un barème de la Ligue de Football Professionnel en fonction du centre de formation (L1, L2 ou Nationale) et de l’année de formation (1ère, 2ème ou 3ème année). A l’issue de sa formation, le joueur pourra devenir professionnel en signant un contrat pro. L’article 500 sur le statut du joueur professionnel précise : « Un joueur ne peut signer un premier contrat professionnel qu’après avoir satisfait aux obligations du joueur aspirant, apprenti ou stagiaire, à l’exception du joueur issu directement des rangs amateurs et âgé de 20 ans au moins au 31 décembre de la première saison au cours de laquelle le contrat s’exécute. »
Pourtant, la règlementation autour du contrat reste peu contraignante. Ce cadre légal ne permet pas de contrôler les spéculations autour des joueurs. Si le barème de la Ligue de Football Professionnel admet une rémunération minimum, aucune mesure n’est mise en place pour réguler l’inflation des salaires proposés à des joueurs de 17 ou 18 ans. Résultat, les plus grands clubs se lancent à la recherche des pépites pour leur offrir des contrats dorés. « Les clubs essaient d’attirer les joueurs financièrement et vont bien au-delà des salaires de référence émis par la LFP. Le PSG n’hésite pas à donner aux familles 200 000 euros pour s’attacher les services de leur enfant, » rapporte Bernard Collignon, agent de joueur, dans les colonnes de Foot Mercato. Quel problème à rémunérer un joueur si jeune ? Les mineurs sont attirés dans les filets de clubs partout en Europe, pour des salaires très élevés pour leur âge, sans aucune assurance de percer au plus haut niveau. Leurs protections, en dehors de leurs salaires (formation, éducation, logement…) ne sont plus forcément assurées. La FIFA reconnaît le problème : « certains mineurs dont les performances n’ont pas répondu aux attentes des clubs concernés se sont pratiquement retrouvés dans la rue, loin de chez eux. Souvent, dans de tels cas, les joueurs mineurs n’ont aucun moyen de regagner leur pays d’origine. » Un problème que la régulation des contrats ne permet pas encore de contrer. « C’est un phénomène durable malheureusement. Les joueurs mineurs restent des placements peu couteux à forte rentabilité. Il y a donc une forte concurrence pour se les accaparer », rappelle Nathan Granier, auteur de Footonomics : Comprendre l’économie grâce au football.
L’influence grandissante des agents
Signer un contrat, c’est souvent signer avec un agent de joueur. Là encore, les autorités du football professionnel semblent claires sur la question : impossible pour un agent de se rémunérer sur un joueur de moins de 18 ans. Un intermédiaire pour signer un contrat n’est pas censé pouvoir gagner d’argent en travaillant pour un adolescent. « Tout paiement effectué à des intermédiaires agissant au nom de joueurs mineurs est strictement interdit », indique le règlement officiel de la FIFA. Un point ajouté seulement en mars 2014, qui était pourtant déjà en vigueur dans plusieurs pays comme le Royaume-Uni ou la France. La raison : protéger le joueur mineur de l’influence grandissante des agents qui peuvent faire pression sur la signature des contrats. Cette interdiction de rémunération n’est pas vraiment respectée. Une faille dans laquelle se sont engouffrés de nombreux clubs pour développer leurs activités de scouting, c’est-à-dire leurs recherches de nouveaux talents aux quatre coins du monde. Ces activités sont régulièrement déléguées à des agences de recrutement, chargées de dénicher les futurs grands joueurs. C’est là que le problème se pose. Les clubs professionnels, via ces agences de recrutement, paient des agents uniquement en fonction de la signature ou non du contrat. Une prime au résultat qui pousse ces intermédiaires à influencer le choix des joueurs mineurs. Une pratique déjà courante chez les joueurs professionnels mais qui pour des joueurs encore adolescents posent de sérieux doutes sur la relation de domination entre agent et joueur.
Les révélations de Football Leaks évoquent même des footballeurs tombés dans les mains de « mercenaires ». Quant à elle, la FIFA pointe bien du doigt « les méthodes utilisées pour faire venir les mineurs dans les clubs ». Jérôme Valcke, son ancien secrétaire général, parle même d’un « esclavage moderne » où le joueur peut être envoyé travailler partout dans le monde, contre son gré. Platinum One, Doyen, Ramp… plusieurs agences de recrutement sont citées (ndlr ; ces agences possèdent une part de la valeur du joueur, même mineur) et tous sont en relation directe avec de grosses écuries européennes comme Arsenal, Porto ou Manchester United. Si les Football Leaks ont permis de condamner plusieurs personnalités ou clubs pour de l’évasion fiscale, aucune décision pour ces faits n’a été actée. « Avec les techniques d’entraînements et de formations d’aujourd’hui, on voit beaucoup plus vite si un joueur est capable d’être performant, et donc de le repérer rapidement. Il y a une concurrence qui a vocation à s’accentuer, autant chez les clubs que chez les agents, pour attirer les plus jeunes joueurs, détaille Nathan Granier, auteur de Footonomics, Et avec la mondialisation et la financiarisation du football comme par exemple avec la multiplication du nombre de transferts, le rôle de l’agent se développe encore et encore.»
Transferts de mineurs, la chasse à la pépite
Pourquoi former un jeune joueur quand on peut l’acheter? C’est peut-être le plus gros point du problème : le transfert de joueurs mineurs. Un principe normalement interdit par le règlement de la FIFA avec toujours pour but de protéger le joueur mineur dans sa formation : « En principe, le transfert international d’un joueur n’est autorisé que si le joueur est âgé d’au moins 18 ans. » Des exceptions existent notamment si le transfert a lieu au sein de l’Union Européenne (autorisé à partir de 16 ans) ou si le joueur vit tout au plus à 100 km du club. Une autre exception à cette règle crée une nouvelle faille dans le système. Un transfert de mineur est acceptable si « les parents du joueur s’installent dans le pays du nouveau club pour des raisons étrangères au football ». A la recherche des futures pépites, les clubs peuvent donc faire en sorte d’attirer d’abord les parents dans le pays avec un nouvel emploi par exemple. C’est la ruse qu’avait utilisé l’AS Monaco, révélée une nouvelle fois par Football Leaks. Le club monégasque aurait proposé des emplois aux parents de joueurs, ainsi que des aides aux logements et à la scolarité pour les inciter à emménager sur le Rocher. Une pratique interdite. Même type d’exemple pour le Real Madrid et l’Atletico Madrid. Les deux clubs ont écopé d’une amende respective de 328 000 et 821 000 euros ainsi que d’une interdiction de recrutement pendant un an. D’autres clubs comme Chelsea, Manchester City ou le FC Barcelone ont été visé pour ce genre de pratiques. En septembre 2020, la FIFA a même tenté de publier un guide des bonnes pratiques à destination des clubs et des institutions pour protéger les joueurs.
Un phénomène de grande ampleur. En 2018, selon Mediapart, la FIFA a « enregistré 3 300 demandes d’enregistrements de transferts concernant des joueurs de moins de 18 ans », par le biais de sa plate-forme Transfer Matching System. Pour 16533 mouvements de joueurs cette année-là, les transferts de joueurs mineurs pourraient concerner près de 20% des cas. Une véritable mine d’or. Avec la crise sanitaire, le recrutement de joueurs, de plus en plus jeunes, pourrait servir de valeur refuge pour les clubs afin de s’assurer des revenus de transferts futurs. Un mineur dans le football ressemble de plus en plus à une proie difficile à attraper. Une proie qui a surtout vocation à devenir une valeur marchande, plus qu’un joueur qu’on cherche véritablement à former. Pour certains clubs, posséder des jeunes joueurs est devenu une spécialité. En 2018, Chelsea avait 84 joueurs sous contrat, pour seulement 23 joueurs à mettre sur la feuille de match. Certains jeunes n’ont jamais porté le maillot du club, et se sont retrouvés à être prêté à de très nombreuses reprises, aux quatre coins du monde. « L’opération est simple. Dans l’hypothèse où un joueur d’un centre de formation peut être transféré pour 200 000 ou 300 000 euros… Si on multiplie l’opération à de plusieurs reprises, il suffit qu’un seul joueur réussisse au plus haut niveau pour que cela soit rentable », explique Nathan Granier. Une situation qui va clairement contre l’intérêt des joueurs, et seulement pour l’intérêt économique du club.
Le sponsoring, l’absence totale de règles
Dernière étape du business de joueurs mineurs : les sponsors. Si les règles qui entourent le sponsoring pour les clubs et les fédérations sont nombreuses, les joueurs mineurs sont laissés à l’abandon. Seuls face aux grandes marques, avares de nouvelles pépites qui pourraient leur rapporter gros. L’exemple de Michal Zuk, 9 ans à peine, et déjà en partenariat avec Adidas est criant. D’autres joueurs plus connus sont passés par là. Neymar vient de rompre son contrat avec Nike, avec qui il avait signé à l’âge de 13 ans. « On est sur une réflexion assez proche de celle des clubs. Une fois qu’un sponsor arrive à faire signer un jeune, il a de grandes chances de conserver ses faveurs même au plus haut niveau. Il y a aussi une question d’attractivité, pour viser un public jeune. Un Camavinga vend peut-être plus du rêve qu’un joueur de classe mondial de 35 ans… », rappelle l’auteur de Footonomics. Pourtant, comme l’agent, le sponsor peut exercer une très forte pression sur les décisions du joueur ou même sur son image. La seule règle, comme n’importe quel autre contrat juridique, est simple : un mineur ne peut pas signer de contrat sans l’accord de ses parents. Encore faut-il penser que l’intérêt des parents concorde avec l’intérêt du mineur. Pour le reste, la porte reste ouverte pour n’importe quel type de contrat de sponsoring, à n’importe quel montant.
Un paradoxe au vu des règles que la FIFA exige des fédérations. Dans le championnat espagnol, le joueur du FC Barcelone Ansu Fati n’avait pas pu recevoir le trophée d’homme du match. La raison : le joueur était encore mineur et le sponsor vendait de l’alcool. Par contre, aucune règle existe pour empêcher Nike ou Adidas de presser des joueurs de moins de 12 ans à signer un contrat extrêmement contraignant. « Il faudrait développer un cadre légal propre au sponsoring, au moins pour des cas extrêmes, des joueurs de moins de 13 ans par exemple. Ce sont des questions très épineuses, de plus en plus éloignées de la réalité du terrain de football », déplore Nathan Granier. Le symbole d’un foot-business qui a besoin de ses pépites pour fonctionner.
Illustration : Romane Beaudouin