De laboratoire footballistique à véritable école de la vie, la Masia incarne parfaitement les valeurs d’un club catalan au centre de formation auréolé. Institution qui place le jeu au-dessus de tout, et porté par des décennies de philosophie idéaliste, le centre barcelonais est aujourd’hui devenu le symbole d’un football qu’il défend ardemment. Pourtant, si les générations dorées du passé ont marqué au fer rouge le football mondial tant par leur succès que par leur style de jeu, la Masia cherche toujours les dignes héritiers du trio mythique Xavi-Iniesta-Messi. Alors la Masia est-elle en crise ? Verra-t-on demain un nouveau roi catalan ? Les valeurs des Blaugranas sont-elles compatibles avec le football moderne ? Tentative d’analyse…
Le Special One des centres de formations
Erigé en 1702, le bâtiment de la première Masia symbolise parfaitement ce que sera l’enseignement à la catalane, dispensé dans son enceinte. Johan Cruyff, désireux de laisser un héritage aussi bien footballistique que philosophique, décide en effet au tournant des années 1980 de transformer l’ancien siège social du Barça en un dortoir pour les jeunes pousses du club. L’objectif est clair : le maître à penser néerlandais souhaite que l’ensemble de la formation des futurs talents soit influencé et façonné par les professionnels que le club engage.
Inspiré par son premier modèle en tant que joueur et entraineur, Cruyff connait, grâce à l’académie de l’Ajax, l’importance d’une éducation précoce et orientée pour promouvoir un jeu léché aux allures de football total qui a fait la gloire du Barça. Le tournant des années 2000-2010 marque ainsi l’apogée d’une Masia au style emblématique, qui capable de renverser quelques vieux records. En 2010, le trio de tête du Ballon d’Or est composé de Xavi, Messi et Iniesta, soit trois des pépites du centre de formation catalan, tandis que Tito Vilanova aligne la saison suivante un 11 entièrement formé au Barça, incarnant la réussite spectaculaire d’une Masia renversante.
Et, malgré la récente abandon du centre originel, les valeurs des Blaugranas subsistent plus que jamais dans la formation catalane. Au sein d’une Masia à l’allure moderne et ambitieuse, la possession, le pressing et la position, qui ont tout trois fait la grandeur des équipes de Guardiola, Michels et Cruyff, sont immortels. Transmises de génération en génération en guise d’héritage sacré, les valeurs du football barcelonais visent avant tout à former une véritable organisation collective, favorisant le contrôle, le mouvement et la recherche continue d’espaces. Dans cet optique, et depuis que la Masia a vu le jour, le culte de la passe est roi en Catalogne.
Enfin, parce que porter le maillot du Barça implique d’immenses responsabilités, les formateurs de la Masia enseignent également à leurs protégés les valeurs qui font le cœur du « Més Que Un Club ». L’humilité de chaque futur grand est ainsi exigée, au même titre que le respect des autres et de l’institution, et surtout l’ambition, prérequis de tout progrès et de toute ascension. L’accompagnement et le mode de conduite proposés par la Masia peuvent donc logiquement être qualifiés de particuliers voire stricts, mais les résultats du centre de formation catalan sont incontestables. Ou du moins l’étaient…
Un modèle proche de l’effondrement ?
Depuis presque dix ans maintenant, les promotions arrivées à maturation déçoivent et restent en marge de l’équipe première. Entre 2011 et 2018, seul le bourreau du PSG Sergi Roberto s’est fait une place dans le 11 du Barça aux dépens de Nelson Semedo notamment. Alors la Masia connait-elle une crise passagère ou bien est-ce son modèle qui est remis en cause ?
Le club défend ardemment son centre de formation en justifiant les nombreuses recrues préventives de 2014, coûteuses aussi bien financièrement que philosophiquement, par l’interdiction de transfert prononcée par la Fifa et mise en application courant 2015. L’effet pervers des arrivées des Rakitic, Suarez, Rafinha fut donc, selon cette logique, de provoquer un exode massif des diplômés de la Masia. Parallèlement, les futures pépites du Barça furent privées de toute forme de rencontre compétitive avec les jeunes car considérées comme mal acquises par les instances du football mondial. De quoi freiner le l’éclosion d’une nouvelle génération comme le souligne avec virulence Josip Maria Bartomeu, mais ce n’est pas suffisant pour expliquer un tel effondrement des résultats de la Masia.
En effet, si la menace réglementaire est absente aujourd’hui, les recrues continuent d’affluer depuis plusieurs saisons. Avec les arrivées de Coutinho, en provenance de Liverpool pour 130 millions d’euros, Dembélé, arraché à Dortmund pour 115 millions, mais aussi Paulinho, Arthur ou encore Malcom, le Barça se veut plus dépensier que jamais pour résister à la concurrence étrangère du PSG, de City ou de Liverpool. Une concurrence étrangère que Bartomeu souhaite également imposer dans ses rangs depuis le recrutement surprenant d’Arturo Vidal en août 2018…
Alors, face à une concurrence qu’Ernesto Valverde se plait à exacerber au sein de l’effectif catalan, comment les jeunes de la Masia peuvent-ils se faire une place dans le 11 du Barça ? Car, si la Masia est actuellement en crise de résultats, c’est aussi dû à un cru décevant, que l’on tente d’évacuer dans les plus brefs délais. Ainsi, les Denis Suarez, Deulofeu, et Rafinha ne trouveront probablement jamais la solution pour s’imposer durablement sous le maillot Blaugrana tant l’entraineur catalan prend goût à les voir cirer le banc de touche. Le football moderne exigeant un niveau de performance littéralement exceptionnel, cette génération semble incapable de porter les valeurs de la Masia jusqu’aux sommets européens. La philosophie Barcelonaise reniée par Valverde, et les diplômés de la Masia poussés en dehors des frontières espagnoles, on peut s’interroger sur l’avenir du fond de jeu catalan…
Quel avenir pour le fond de jeu catalan ?
Si les récentes saisons ont fait planer le doute sur la viabilité de la philosophie catalane au sein du football moderne, une nouvelle génération made in Masia incarne très probablement la relève. En 2018-2019 dans une Youth League toujours aussi disputée, les jeunes diplômés du Barça ont écarté le Sporting Portugal, la Juve et l’Olympiacos pour ensuite éliminer successivement le PSG, l’Atletico, City et Chelsea, et s’octroyer ainsi un titre européen au prestige croissant. Le symbole d’une Masia encore capable de défendre la philosophie Blaugrana.
Parallèlement certaines pépites, dont la formation a révélé une vision du jeu typiquement catalane, sont prêtes à crever l’écran en 2019-2020. Abel Ruiz, Carles Aleñá ou encore Riqui Puig incarnent en effet cette nouvelle génération qui attire les cadors européens à la porte de la Masia, affamés à l’idée de recruter les jeunes talents du Barça. Alors, dans cette optique, l’avenir du football masculin en Catalogne a bel avenir…
Mais la Masia n’est pas uniquement un centre de formation pour les jeunes garçons de la région Catalane. Le Barça féminin est effectivement la source d’inspiration de nombreuses jeunes filles désireuses de percer en tant que professionnelles sous les couleurs Blaugrana. Et, en matière de formation féminine, la Masia fait partie des précurseurs. Depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, les formateurs catalans s’emploient à faire du centre de formation une véritable fabrique d’excellence aux valeurs identiques à celles enseignées aux hommes, afin d’amener le Barça sur le toit de l’Europe et ainsi détrôner un certain Jean-Michel Aulas… Alors, quand on parle d’avenir du football catalan, comment ne pas faire un détour sur l’avenir du football féminin ?
Enfin, dernière interrogation majeure au sein de notre analyse, les choix tactiques d’Ernesto Valverde sont la principale problématique qui plane sur la pérennité du style catalan. L’ère Guardiola se fait lointaine en ce début de saison bien terne, et la philosophie de jeu barcelonaise semble presque oubliée. Particulièrement dépendant du rendement de Lionel Messi en championnat comme en Ligue des Champions, le Barça déçoit depuis l’arrivée du technicien espagnol en Catalogne. Pratiquant un football peu ambitieux, voire très prudent, reposant sur une notion douteuse de l’équilibre, le fond de jeu de Valverde est aussi illisible que les résultats des Blaugranas sont ridicules depuis la reprise de la Liga.
Incapable de mettre à profit l’historique utilisation du 4-3-3 par les barcelonais, Valverde s’enferme dans des dispositifs qui ne conviennent pas à ses joueurs offensifs. Après avoir massacré Philippe Coutinho, pourtant considéré comme un véritable magicien à Liverpool, puis géré de manière tout aussi hasardeuse le cas Dembelé, il s’est également attaché à n’offrir aucune chance au talentueux Malcom dont le destin ressemble étrangement à celui de Deulofeu. Bien trop conservateur dans ses choix autant que dans sa gestion, le Mister s’est mis à dos l’immense majorité du public catalan, joliment rejoint par le vestiaire du Barça, et surtout par les jeunes de la Masia qui voient en lui un obstacle à leur succès sous le maillot Blaugrana. Alors, si l’avenir du fond de jeu catalan promet de faire rayonner la Masia, celui d’Ernesto s’obscurcit de jour en jour…
Jules Grange-Gastinel