Laurent Lachand : “Canal veut améliorer l’expérience du match et la Air Cam s’inscrit dans cet ADN”
Depuis plus de vingt ans, Laurent Lachand, dans son car-régie, réalise une grande partie des matchs de notre chère Ligue 1. Le 7 novembre 2020, il a été le maître de la Air Cam, nouvelle révolution de Canal+ où les plans larges sont en mouvement. Caviar vous emmène à la rencontre de ce routier de la télévision qui aime parler de l’évolution du métier de réalisateur TV par rapport aux aléas de la société et du football.
Laurent Lachand, en pleine crise sanitaire, le réalisateur TV, doit comme les autres acteurs du football mondial s’adapter. Comment se gère actuellement la réalisation d’un match ?
C’est une période particulière pour l’ensemble du pays et pour le sport. Au mois de mars, les matchs se sont arrêtés et à la reprise du championnat, on s’est interrogé à Canal sur les conséquences qu’avaient les matchs à huis-clos, les matchs fermés, l’intérêt des supporters pour les rencontres, le fait de ne plus aller au stade. On peut être moins passionné à cause de cette distance. Cela nous a posé une problématique : la crise sanitaire créait des complications qu’on a donc parées en réfléchissant de quelle manière on allait, nous, adapter nos retransmissions. Comment on gère un stade vide ? Est-ce qu’on reconstitue les choses comme elles sont ? Ce qui reviendrait à entendre tous les bruits parasites présents dans l’enceinte. Ou est-ce qu’on rajoute une ambiance artificielle pour recréer une impression d’univers habituel ?
En travaillant sur le son, on a décliné plusieurs formats. Si le match est à huis-clos on rajoute une ambiance en travaillant avec un ingénieur du son. S’il y a 5 000 personnes dans le stade, comme en début de saison, la répartition permet une ambiance naturelle. On a été sollicité par l’Olympique de Marseille car André Villas-Boas voulait un son de supporter dans le Vélodrome. On a donc eu une troisième situation dans laquelle c’est le club qui fait appel à un ingénieur du son.
En outre, on a travaillé sur le fait de continuer à être en immersion avec les joueurs dans des moments particuliers qui précèdent la sortie sur le terrain, les dernières minutes entre les vestiaires et ce terrain. D’habitude on met des cameramen avec leurs caméras portables mais là, on a choisi d’installer deux caméras remote robotiques qui nous permettent d’être toujours au cœur de ces moments qui font bien souvent le sens des matchs. On travaille sur les outils nous permettant de faire évoluer la réalisation des matchs toujours au service de la justesse dans la perception de la rencontre.
.C’est donc de là que vous est venue l’idée de la Air Cam testée pour la première lors du PSG-Stade Rennais du 7 novembre dernier ?
L’idée est venue de la rédaction des sports de Canal+. Cela avait été vu lors d’un match de football en MLS et a été utilisé très récemment lors de la rencontre entre Everton et Liverpool, en Premier League, en octobre. On a réfléchi à quel était l’usage de cette caméra. On a vu la possibilité d’utiliser un plan large en mouvement. Pas pour faire un effet cinématographique. Ce n’est pas une « caméra Woaw » comme la SpiderCam peut l’être. Cette Air Cam est un plan large traditionnel avec une valeur ajoutée car elle peut se déplacer en parallèle du terrain pour être à hauteur des lignes de jeu. Elle se situe dans un travail de longue haleine qu’on perpétue avec la chaine dans lequel on peut ajouter la mise à l’antenne d’un nouveau système de statistiques avec les premières données de tracking physiques sur les données et sur les joueurs.
.A froid comment considérez-vous cet essai grandeur nature ?
On l’a utilisé sur PSG-Rennes en partant de ce postulat : c’est un plan large en mouvement. La Air Cam a montré ce que personne n’avait encore eu l’occasion de voir. Depuis toujours, la base de la captation est un plan au centre, en hauteur, qui panote artificiellement en zoomant depuis un plan fixe. Nous, nous avons simplement rajouté cette notion de mouvement. Je pense que des gens ont pu être perturbés et je le comprends. En même temps, on a aussi vu qu’il y a énormément de situations de jeu où on est mieux positionnés. Le plan large est important car les fans de football les apprécient pour mieux percevoir les situations tactiques dans leur ensemble.
La Air Cam permet de glisser dans le système tactique en étant toujours à bonne hauteur de ligne. La perception du hors-jeu, par exemple, est plus facile car on est mieux situé. C’est une habitude à prendre pour tout le monde et pour moi aussi. C’est un postulat partagé avec les Etats-Unis et l’Angleterre et qui a quelques similitudes avec les plans d’un certain jeu vidéo que nos abonnés connaissent. Néanmoins, le public plus traditionnel a été surpris par ce plan là et mettra probablement du temps à s’y habituer. Quand on met un outil, quel qu’il soit, comme la loupe ou le révélateur sur le hors-jeu, ce n’est pas au premier jour qu’on est au résultat optimum. Même sur le match entre Paris et Rennes, notre méthode a évolué. Au début, on se déplaçait en fonction du jeu systématiquement. A la fin du match, on met un plan large traditionnel quand le jeu est au centre du terrain et quand l’action démarre réellement on l’accompagne pour ne pas faire des allers-retours incessants.
Cette caméra sera-t-elle réutilisée pour un match de Ligue 1 ?
On va faire un nouveau match avec, sans doute dans les prochaines semaines. Cela sera sûrement une nouvelle fois au Parc des Princes. On veut continuer à travailler sur cet outil car on pense qu’il a un potentiel.
.Goodison Park et le Parc des Princes étaient à huis clos, est-ce possible d’utiliser cette caméra dans un stade plein ?
Evidemment qu’on a pu installer ce système très facilement car, malheureusement, on est dans une période de matchs à huis-clos. En même temps, si ce système démontre sa pertinence, son intérêt… Je ne sais pas et je ne pense pas qu’il puisse être installé, du jour au lendemain sur tous les stades de France et pour tous les matchs de Ligue 1. C’est un outil spécifique, qui n’existe pas en nombre très important et il y a des contraintes d’installation. Canal veut améliorer l’expérience du match de football et la Air Cam s’inscrit dans cet ADN.
.Pour en revenir à l’aspect tactique, elle est intéressante pour les phases de contre-attaques ou l’évolution des systèmes mis en place par les entraineurs au même titre que les plans larges traditionnels. Quelles sont les différences notables entre la Air Cam et le plan large ?
Je crois que la différence notable est que la Air Cam permet de joindre la valeur d’un plan large, qui est de voir une situation tactique, avec la possibilité d’être à la hauteur du jeu en fonction d’où celui-ci se trouve. Sur un corner ou un coup-franc, on est au niveau du jeu. L’effet mouvement est un bonus qui permet de restituer l’un des aspects les plus importants du jeu : la vitesse. Comme dans un Grand Prix de Formule 1 où on ne perçoit pas la vitesse d’une voiture lorsqu’on est devant sa télévision. Il faut avoir vécu l’expérience d’être au bord d’une piste pour se rendre compte de l’incroyable exploit des pilotes. C’est également difficile dans le football, par une caméra qui a tendance à écraser les choses, de restituer la vitesse de l’exécution d’une action.
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En améliorant la perception de vitesse, la Air Cam s’inscrit-elle dans l’évolution de ce sport toujours plus friand de rapidité ?
De toute façon, la réalisation ne doit pas camper sur ses positions et doit toujours être en évolution, à la recherche de nouveaux outils pour restituer au mieux l’événement que cela soit un combat de boxe, une course de voiture ou un match de football. La Air Cam participe à cela.
.Les réalisateurs français sont souvent critiqués par rapports aux plans larges jugés trop peu fréquents ou trop courts. Comment jugez-vous cette utilisation des plans larges ?
(Il cherche ses mots) Je pense que ce débat n’est pas pertinent. Quand on regarde un match de foot, on veut partager un moment de passion. Notre rôle est de restituer le jeu tel qu’il est. Je pense par contre que la valeur ajoutée de le regarder sur une tablette où à la télévision, c’est d’avoir à accompagnement qu’on n’aurait pas au stade. Au stade on vit un moment, devant son poste, et ce moment est mis en perspective. Il y a tout d’abord la phase où l’on perçoit le jeu grâce au plan large. Puis, la phase explicative : qui a fait quoi ? Enfin, il y a le comment, traduit par des ralentis. L’utilisation de statistiques ou d’outils virtuels permet également une certaine mise en perspective.
Vous nous dévoiliez dans une interview accordée à RFI que le réalisateur français cherche « la bonne histoire à raconter à l’intérieur du match ». Les nombreux plans visages visibles à l’écran rejoignent-ils cette quête des émotions ?
Ce qui est intéressant, c’est de rechercher les points de communications ou d’oppositions entre les joueurs sur le terrain. Par exemple, que se passe-t-il lorsque Di Maria lance Mbappé en profondeur et que celui-ci rate sa frappe ? Il va, après l’action, y avoir une interaction entre eux. L’intérêt de recueillir de tels plans est de construire cette relation indirecte par des images. Si l’on y prête attention, il y a toujours des interactions et ce n’est pas pour le plaisir de faire des gros plans avec la tête des joueurs.
.Les matchs plus spectaculaires, opposant des équipes plus protagonistes dans leur approche, sont-ils plus plaisants à réaliser ?
Il n’y a pas de bons ou de mauvais matchs. Chaque rencontre a son histoire, son fil, ses tenants, ses aboutissants, ses moments forts, ses moments faibles. C’est par la restitution de cette réalité que le match est attractif. Dans des matchs où le jeu est moins intense, le point d’intérêt peut être ailleurs. En allant au bout de ce raisonnement, lors des matchs ennuyeux, le rôle de la réalisation n’est pas de le transformer en match attractif. On le restitue dans sa réalité pour accompagner cet ennui en sachant profiter des temps longs car ils font également partie intégrante de ce qu’est le football.
.En vingt ans de carrière, quel est le match que vous avez pris le plus de plaisir à réaliser ?
Je prends du plaisir à réaliser tous les matchs. Ce métier d’équipe est un métier d’émotions fortes. J’ai la chance de le pratiquer au sein d’une chaîne qui fait de la restitution des événements sportifs qu’elle produit un modèle d’exigence. Je crois que je prends du plaisir à quasiment tous les matchs même si certains nous donnent plus de souvenirs que d’autres.
.Lesquels ?
Islande-Angleterre à l’Euro 2016 car justement il joignait tout. La petite Islande contre les Anglais, avec tout cela d’inscrit dans le stade, avec le comportement des joueurs avec leurs supporters, leurs familles. Et puis il y a l’exploit. A partit de l’instant où l’exploit est là… il a d’abord son temps durant le jeu et en le restituant on a une émotion sensiblement forte. Tout cela donnait de l’épaisseur au moment. Et laisse de beaux souvenirs.
Les matchs de l’Equipe de France également. Pourtant, on réalise un match de football avant de réaliser un match de l’Equipe de France. C’est juste un honneur de réaliser une rencontre de son équipe nationale. Il faut traiter cela avec de la distance car, avec mon équipe, nous ne sommes pas au stade pour en tant que supporter mais bien pour que des gens puissent le regarder, débattre, échanger… bref prendre du plaisir !