À l’heure de la génération Z, la consommation du football par les jeunes adultes (16-24 ans) se transforme. Le fruit d’offres inadaptées, d’une multiplication de diffuseurs parfois inaccessibles et d’un nouveau supportérisme à distance. Alors que les dirigeants du football européen tentent de le révolutionner, cette évolution porte les enjeux sociaux, culturels et économiques du sport le plus populaire au monde.
« Penser que le football a l’exclusivité de l’intérêt, c’est utopique aujourd’hui. » Lorsqu’il évoque les retours de ses étudiants, Jean-Baptiste Guégan, enseignant et intervenant à l’ESJ Paris (Ecole Supérieure du Journalisme), spécialiste en géopolitique du sport, dresse un constat lucide. Le football, sport dominant de notre société, ne suscite plus une passion aussi débordante pour la génération Z que ce qu’il a connu avec les plus anciennes. Selon une étude de l’Association Européenne des Clubs (ECA), parue fin 2020, seulement 28% des jeunes de 16 à 24 ans seraient « fans de football », contre 35% des adultes. « Aujourd’hui, je prends beaucoup moins de plaisir à regarder du football qu’avant, il y a beaucoup de matchs où l’on s’ennuie, témoigne Lucas, 22 ans, responsable de la vie scolaire dans un lycée. Donc c’est : téléphone et réseaux sociaux en même temps. »
De la retransmission télévisuelle unique au développement du troisième écran, la passion de ces jeunes s’amenuise face à la multiplication des sollicitations : « L’enjeu n’est pas de réussir à capter leur attention pendant une heure et demi mais de créer un lien, une relation profonde dans l’intérêt que ce type de public porte au football » souligne Wulfran Devauchelle, co-fondateur de l’Observatoire du Sport Business.
L’essouflement d’une politique
Mais comment faire naître cette fidélité, lorsque l’accessibilité est déjà réduite ? Pour le plus grand nombre, il faut s’adapter : « La plupart des abonnements sont au nom de mon père. Seul, c’est impossible de m’engager avec tous les diffuseurs, j’aurais dû choisir. » admet William, 21 ans, employé dans une grande surface en parallèle de ses études, et licencié au FC Marcoussis Nozay.Avec l’acquisition de la Ligue 1 et de la Ligue 2 pour plus d’un milliard d’euros, la chaine Téléfoot du groupe Médiapro avait ainsi misé sur 3,5 millions d’abonnements pour être à l’équilibre. Le manque de visibilité dû aux accords tardifs passés avec les distributeurs et l’offre fixée à 25 euros par mois n’ont finalement attiré que 600 000 contributeurs.
« S’afficher sur des plateformes uniquement payantes, comme c’est le cas en France, d’une certaine façon, c’est se couper de ce public qui n’a pas les moyens de se rendre sur ces médias, explique Wulfran Devauchelle. Là où dans leur environnement général ils ont un accès extrêmement large à d’autres univers, sur des plateformes de streaming, de musique, etc. »
En effet, une étude du groupe Amaury Média affirme que le sport est devenu la troisième distraction favorite de la génération Z, au même niveau que la musique ou regarder des vidéos. Face à cette diversité des supports, soumettant le football à une concurrence accrue, le prix d’accessibilité représente une barrière d’entrée significative pour cette génération, avec à terme le risque d’une perte d’intérêt pour l’activité.
« Le meilleur exemple c’est la Formule 1, constate l’historien. Ne pas donner l’accès aux courses aux jeunes, c’est empêcher la passation entre le grand-père, le père et le fils. » Un sport et une compétition diffusés il y a plus d’une décennie sur le service public, avant d’être transférés sur des services payants et remis au goût du jour par la série « Formula One », produite par Netflix en 2019. Et négliger cette transmission générationnelle, c’est déjà rayer une partie de la popularité du sport : « Je suis supporter de l’AJ Auxerre parce que mon père l’était. C’est le premier stade que j’ai découvert. Et même maintenant, je continue de les suivre en étant loin », raconte William. Alors que Lucas renchérit : « Mon amour pour Marseille, c’est mon père qui me l’a transmis ».
Cette offre inadaptée au nouveau public n’est pas une spécificité française. Les institutions sportives mondiales peinent aussi à répondre à ces nouveaux modes de consommation.
Dans cette course insatiable guidée par le prisme économique, les dirigeants tentent de réformer les compétitions pour accroître les bénéfices. Au détriment des nombreuses prises de paroles d’acteurs essoufflés mettant en péril leur santé dans des rencontres dépourvues d’intérêt sportif pour le spectateur. « Vous pouvez essayer d’augmenter vos revenus de cette manière mais à un moment donné, vous serez dans une courbe avec un impact négatif sur le moyen ou le long terme », alerte Wulfran Devauchelle. « On nous gave de matchs mais aujourd’hui, devant une rencontre où il ne se passe rien, on perd le spectateur. Les jeunes ne regardent plus un match de football de la même façon. Au delà de quinze minutes, ils décrochent », poursuit Jean-Baptiste Guégan. « Il y a trop de temps morts avec la VAR, trop de rencontres donc le rythme est souvent lent, on attend, mais il ne se passe rien », nous explique Lucas.
Une offre adaptée pour fidéliser la génération
Une érosion des audiences, symbole d’un point de rupture entre l’offre et la demande de cette génération. Hormis pour un spectacle tel qu’un quart de finale de ligue des Champions entre le Bayern et le PSG, mobiliser l’attention de ces jeunes pendant 90 minutes semble un combat perdu d’avance. Toujours selon Amaury Média, 66% des jeunes prétendent suivre le sport dans les médias, principalement sur leur téléphone portable. Un moyen de s’informer, qui, par définition, est affilié à sa rapidité. « Il y a un travail à faire des détenteurs de droits pour s’adapter au goût de cette génération », analyse l’économiste.
Au cours de l’appel d’offre de 2018, devenu le plus gros accident industriel français, un opérateur a tenté de prendre la tangente. Avec l’acquisition du lot 6 pour moins de 50 millions d’euros par saison, Free dispose de 100% des matchs de la Ligue 1 Uber Eats, sous forme d’extraits vidéo dans des contenus divers, disponible sur tous les supports et notamment les réseaux sociaux. Une offre complémentaire dont la valeur est reconsidérée aujourd’hui. « Dans mon entourage, tout le monde supporte une grande équipe. Mais beaucoup ne regardent pas les matchs, ils se contentent de visionner les highlights le lendemain », reconnaît William.
De l’autre côté de l’Atlantique, la NBA est novatrice dans ce domaine. La ligue américaine ayant déjà pris en compte la préférence de la génération Z à regarder des highlights plutôt qu’une émission sportive. « La NBA a compartimenté son offre. Vous pouvez payer pour voir les 6 dernières minutes du match par exemple ou le NBA league pass vous permet de choisir quel club (franchise) suivre. C’est ce que la génération souhaite », insiste Jean-Baptiste Guégan.
Évidemment, le format de jeu du basket semble plus approprié à ce type de contenus, avec des sports où l’incertitude est maximisée. Mais cette préférence pour le « money time », le suivi d’une équipe ou d’un joueur s’étend également au football. « La culture du supportérisme de l’époque est terminée. Désormais, il se fait à distance. Ce n’est plus la même approche, les réseaux sociaux créent une dynamique. Il y a un côté communautaire, où l’on échange quand on veut », s’accordent les deux spécialistes.
Des communautés nouvelles donc, où les supporters visent avant tout une proximité virtuelle dans laquelle ils peuvent se sentir actifs. Un mode d’interaction vers lequel les clubs s’orientent. Jacques-Henri Eyraud, lors de sa présidence à l’Olympique de Marseille avait, par exemple, créé une chaine Twitch diffusant des matchs amicaux de l’intersaison. Sa seule réussite pour Jean-Baptiste Guégan : « Tout le monde s’est dit ensuite qu’il n’avait pas tort. Car si tu n’es pas positionné sur les nouveaux médias, tu n’auras plus de fan base dans 5 ou 10 ans. »
Avec NBA Extra la quotidienne NBA, plus ancienne émission du groupe BeIn Sports, la fidélité des téléspectateurs dépeint cette tendance. Des échanges sur les réseaux naissent des analyses. Les joueurs, les journalistes ou les clubs se prêtent régulièrement au jeu avec les internautes. « C’est la meilleure émission de sport en France, avance l’historien. Elle est à la fois grand public, divertissante, professionnelle et exigeante. La proximité avec les joueurs, les échanges avec la communauté, cela donne une émulation que l’on ne voit pas au football. Pourquoi, dans la continuité d’un Philippe Doucet, ne voit-on pas plus de journalistes comme Julien Momont ? La culture tactique s’est développée, on veut avoir des clés de lecture. »
Preuve que l’attrait pour le sport et le football n’est pas mort mais qu’il se transforme au gré de cette génération, jusqu’à devenir exigeant, pour mériter sa fidélité. « Ce qu’on recherche désormais en regardant, c’est comprendre. Et on comprend plus de choses sur les réseaux que les plateaux TV ou dans les stratégies des club. Le problème est là, plus le temps passe, plus on zappe parce qu’on ne s’y retrouve pas », conclut William. À la lumière des stratégies mises en place par les tout puissants actuellement, difficile de dire que les acteurs le conçoivent en accord avec la réalité. Au risque de le faire chuter définitivement de son trône ou pire, de le dénaturer.
Maxence Besson