Le soulagement d’un maintien assuré pour le Paris FC, 17ème de Ligue 2 lors de l’arrêt officiel du championnat, à la 28ème journée. Depuis, pas de fête ni d’entraînement collectif. Mais du côté de l’encadrement, on s’adapte en essayant de garder contact avec les joueurs. Le regard déjà tourné vers la saison prochaine.
Des fils de laine multicolores, des balles de tennis, un ballon de football et des jouets pour enfant. Ici, pas de garderie, mais un « centre » d’entraînement maison : le jardin de Vincent Demarconnay, gardien numéro un du Paris FC, en banlieue parisienne. Pour garder la forme en période de confinement, il y a aménagé de multiples exercices. « J’accroche des fils de laine, de différentes couleurs, de l’arbre à la maison. Ma femme lance un ballon en l’air et je dois annoncer la couleur du fil le plus proche de l’emplacement où je récupère le ballon. Je travaille ainsi la prise d’information, explique le portier. Pour entretenir les appuis et le temps de réaction , il réquisitionne…. ses enfants. Des jumeaux de trois ans. Je lance des balles de tennis à mes fils qui, raquette en main, les expédient de façon complètement aléatoire. Alors, je me fixe des objectifs : attraper la balle sans rebond, avec un rebond, de la main gauche, jouer avec les distances. Et quand ses chérubins font une sieste, Vincent Demarconnay emprunte leurs jouets. Ils étaient positionnés dans le jardin à différents points entre ma femme et moi. Elle m’annonçait l’endroit où je devais récupérer le ballon, puis le lançait au sol. Je devais appréhender sa vitesse pour le saisir au niveau du bon jouet », décrit-il.
Une réappropriation de l’espace et du temps
Confinés, les joueurs du Paris FC restructurent leur environnement quotidien pour y aménager un espace de travail. « Ils n’ont pas simplement changé leur façon de faire, ils se sont réapproprié l’espace et le temps. Certains se sont retrouvés du jour au lendemain avec leurs frères et soeurs, leurs parents, leurs grands- parents… Il a fallu partager des espaces communs, parfois étroits, où chacun a dû travailler, où les écrans ont dû être partagés. C’est une déstructuration complète de la vie quotidienne, personnelle et professionnelle », développe Ludovic Seifert, enseignant chercheur en neurosciences comportementales à l’université de Rouen et consultant pour le club parisien. « Les grands joueurs de Ligue 1 ont tous de belles maisons, voire des salles de sport chez eux. Nous, en Ligue 2, beaucoup sont en appartement, parfois sans extérieur, et certains ont été cloîtrés deux mois dans 30m2 », ajoute Vincent Demarconnay. Son coéquipier Samuel Yohou, défenseur du club, enchaîne les exercices dans son 50m2 à Rosny-sous-Bois, en banlieue parisienne. « Je travaille majoritairement dans mon salon, avec mon fils de deux ans et demi. Et quand j’ai besoin d’espace, je vais dans mon parking. J’ai pu emprunter le matériel du club : un vélo de course, des poids et une corde à sauter », raconte-t-il.
Un programme d’entretien physique limité
Les joueurs reçoivent tous le même programme d’entraînement. « Le staff nous envoie, semaine après semaine, parfois la veille au soir, les exercices à faire. Du cardio : footing à jeun le matin, du fractionné et du renforcement musculaire : travail d’appuis, abdos, gainage », détaille Vincent Demarconnay. « Le plus important est de ne pas perdre de masse musculaire, de renforcer les mollets, les chevilles, les tendons, les abdominaux et les muscles autour du genou », abonde Samuel Yohou. Un programme d’entretien physique, davantage que de réathlétisation . « La priorité est de limiter la prise de poids, car, en confinement, les joueurs gardent les mêmes habitudes alimentaires qu’en période d’activité. Or, ils ont moins de dépenses énergétiques et prennent de la graisse, ce qui est problématique aux niveaux musculaire et tendineux », explique Nicolas Girard, préparateur physique du Paris FC. « Pour nous maintenir en Ligue 2, on avait le devoir d’être en forme dès la reprise. Je me disais : je ne veux pas arriver à la reprise avec des kilos en trop ! À la maison, on mange beaucoup, on dort, on n’a pas le droit de sortir, ça monte vite, les kilos… Mais j’ai réussi à limiter la casse », précise Samuel Yohou. Peu de pertes musculaires, donc, mais « davantage de problèmes de dos, causés par des postures assises et allongées », prévient Alexandre Marles, ancien directeur de la performance du Paris Saint Germain et de l’Olympique lyonnais. « Si l’on devait reprendre maintenant, on aurait une hécatombe de blessés ».
Selon lui, un programme d’entraînement non individualisé s’apparente à « du bricolage ». « Les préparateurs physiques ne peuvent pas prendre en compte les besoins de trente joueurs, alors, ils donnent un programme vague et peu qualitatif ». Pendant le confinement, Alexandre Marles s’occupe de footballeurs qui se sentent « abandonnés par leur club ». Une histoire de confiance et d’envie. « Si des athlètes me sollicitent, c’est qu’ils ont besoin de s’entraîner. Forcément, je préfère les rencontrer plutôt que travailler avec eux à distance. En amont, je demande donc leurs tests physiques et médicaux, je les interroge sur leur forme du moment. Puis, lors de la séance en visio, je corrige des postures, j’ajuste les exercices en fonction du programme de leur club, même si certains ne le suivent plus car ils en ont marre de faire la même chose pendant six semaines. » Au Paris FC, seuls les joueurs blessés ou qui ont des antécédents de blessure, « notamment aux ischios-jambiers, aux chevilles et aux mollets », ont un programme adapté. Les autres « se prennent en charge, sont davantage à l’écoute de leur corps. C’est peut être un mal pour un bien », justifie Nicolas Girard. Un manque de contrôle et de régulation, problématique dans le processus d’entraînement. « Ce qui fonde le principe même de l’apprentissage, ce n’est pas simplement communiquer des consignes aux sportifs, c’est aussi leur donner des retours d’informations. S’ils font mal, on ne peut pas les corriger, sauf si l’exercice est filmé et réalisé de manière synchrone. L’entraîneur doit montrer l’exemple derrière son écran. Dès lors qu’on confie à quelqu’un la responsabilité de faire les choses par lui même, il dévie autant que possible, de leur propre chef ou contre leur gré », signale Ludovic Seifert.
Une communauté d’acharnés
Dans ce contexte, deux joueurs demandent du rab. Samuel Yohou et Ousmane Kanté, défenseur du club lui aussi, suivent un entraînement supplémentaire par visioconférence. De l’autre côté de l’écran, Florian Silmont, coach sportif et beau-frère d’Ousmane Kanté. Quand Emmanuel Macron annonce le confinement, le 17 mars, Florian Silmont doit fermer son centre de remise en forme et de bien être, le Loft Body Concept, à Nogent-sur-Marne. Mais il décide de poursuivre son activité, à distance. Il crée une chaîne youtube et donne des cours de fitness en direct à son domicile, tous les matins, à 10h. Samuel Yohou et Ousmane Kanté y participent. « Je me suis dit “tiens, pourquoi pas organiser un entraînement spécifique pour footeux, à la maison” », raconte le coach sportif. Il invite alors plusieurs athlètes dans un groupe WhatsApp et leur propose un entraînement quotidien par visioconférence. Ils sont une quinzaine à se retrouver chaque soir, à 19h. Parmi eux, Mickaël Tacalfred, Claudio Beauvue, ou encore Loïc Rémy. Au programme, des exercices de rapidité et d’explosivité, avec et sans ballon, du renforcement musculaire, de la proprioception et des jeux d’équilibre. Les participants adhèrent au concept, se motivent ensemble et créént une petite
communauté de professionnels. « Je retrouve dans cette méthode de travail les valeurs du football. S’entraîner en groupe, se faire coacher, recevoir des encouragements… C’est ce qui m’a fait tenir. Sinon, la motivation serait vite partie », admet Ousmane Kanté. Une stimulation collective qui permet un certain rythme. « C’était le rendez-vous pour garder la forme », lance Samuel Yohou. « On n’avait aucune visibilité sur le long terme, donc c’est assez louable que des joueurs se soient regroupés pour travailler ensemble », reconnaît Nicolas Girard. Un besoin d’encadrement pour sortir de sa zone de confort. « J’ai noté leur professionnalisme et leur investissement. Chaque jour, à 19h, ils m’envoyaient des messages “alors, training aujourd’hui ? Training ou pas ?” Ils étaient même prêts à s’entraîner davantage. C’était à moi de leur dire “les gars, il faut quand même un peu récupérer” », confie Florian Silmont.
Une horloge biologigue déréglée
Une récupération trop souvent altérée par une mauvaise qualité de sommeil. « Certains se couchent trop tard, entre 2h et 4h, et ne se lèvent pas avant midi. Ils s’entraînent 1h au réveil, alors qu’ils devraient le faire plus tard dans la journée, pour influer sur les hormones. L’horloge biologique est complètement déréglée. Paradoxalement, beaucoup de joueurs me disent être dans un état de fatigue constant », explique Alexandre Marles. Samuel Yohou reconnaît avoir passé « une ou deux nuits blanches ». La raison ? « Je me suis retrouvé une âme de geek », déclare le défenseur. Son coéquipier Ousmane Kanté a, quant à lui, passé des heures devant Football Manager, un jeu vidéo de gestion axé sur la simulation. « J’en suis à la saison 2025, avec le Paris FC, bien sûr. On a terminé quatrième du dernier championnat de Ligue 1 », proclame-t-il. Un temps d’écran qui empêche un sommeil récupérateur. « Les écrans stimulent l’activité cérébrale. Quand on passe deux heures derrière un écran, au moment de se coucher, le cerveau est encore en état d’activité. Les sportifs diront peut-être qu’ils se couchent à minuit, mais en réalité, ils se couchent deux heures plus tard. Forcément, la qualité de leur sommeil est mauvaise et la quantité en est réduite » , avertit Ludovic Seifert.
Un risque de blessure accentué
Quand le corps se déshabitue de l’effort, il faut redoubler d’attention. « On ne peut pas leur donner la même charge de travail au fil du temps. Plus la période d’inactivité est longue, plus les risques de blessures sont importants ». Or, les footballeurs du Paris FC n’ont plus joué de match depuis le 6 mars, à Troyes (1-1). « Avant la reprise de la Ligue 2, prévue le 22 août, on va prendre une marge beaucoup plus conséquente que sur une période de pause estivale classique. Soit huit à neuf semaines contre cinq à six en période estivale », annonce le préparateur physique. Objectif : « être le plus progressif possible et éviter une reprise brutale, comme c’est le cas dans d’autres championnats européens, où surviennent de graves blessures ». Le défenseur argentin de Villarreal, Ramiro Funes Mori, souffre notamment d’une rupture complète du tendon de la cuisse droite et sera éloigné des terrains plusieurs mois. « La grosse blessure, c’est ce qui me fait le plus peur », concède Samuel Yohou. « Je fais super attention et je privilégie le renforcement de mes chevilles, mes genoux, mes ischios, mes cuisses, mes quadriceps. J’essaie de garder un rythme régulier avec quatre séances d’entraînement par semaine. » Ousmane Kanté, lui, envisage un programme personnel pour être fin prêt le 22 août. « Je vais contacter les différents coaches sportifs que je connais, et surtout, privilégier la course de fond pour avoir une bonne endurance lors de la reprise », admet le défenseur. Au-delà de l’aspect sportif, le lien social devra être renoué et la confiance rétablie au sein de l’effectif. « Il est primordial de recréer un cadre où les humains se parlent, où la régulation de l’entraînement se fait par des humains. Accepter le regard de l’autre, regagner la confiance de l’entraîneur qui imposera à nouveau des exercices et retrouvera un droit de regard sur ses joueurs », soutient Ludovic Seifert. L’occasion pour les joueurs, surtout, de se retrouver et de goûter à nouveau, ensemble, à leur passion. « Le football me manque énormément, la compétition, le vestiaire, l’ambiance de groupe… On est vraiment une bande de potes, ça me fait bizarre de ne pas être avec eux. Je suis resté en contact avec Ousmane (Kanté), Vincent (Demarconnay), Jérémy (Ménez), Cyril (Mandouki). Heureusement qu’on a les réseaux sociaux ! Si on avait été confinés 15-20 ans en arrière, ça aurait été compliqué ! », conclut Samuel Yohou.
Le digestif du Cav’ : Les gardiens du PFC, un confinement qui n’est pas de tout repos…
Dès la suspension du championnat, à la 28ème journée, Mickaël Boully, entraîneur des gardiens du Paris FC, adapte les séances de travail quotidiennes au confinement. Il fait appel à Basile More-Chevalier, doctorant en neuroscience de la vision à l’Université de Montréal et spécialiste de l’entraînement perceptivo-cognitif (l’aptitude du cerveau humain à extraire l’information contextuelle d’une scène visuelle dynamique) des athlètes de haut-niveau. Sa mission : proposer des exercices visuels à distance pour que les gardiens entretiennent leur temps de réaction. Il crée alors une application que les gardiens téléchargent sur leur ordinateur pour entretenir leur système perception-action. « C’est un exercice psychophysique effectué en vision monoculaire et binoculaire », explique l’expert. Objectif : stimuler la concentration et le temps de réaction, des facteurs fondamentaux dans la prise de décision des gardiens de but. « Au départ, ils fixent une cible centrale, puis un stimulus apparaît dans l’un des quatre méridiens, décrit-il. Le gardien réagit à ce stimulus en discriminant son orientation, et il appuie sur la flèche de son clavier qui correspond à l’orientation de la cible. » Les portiers doivent également analyser des séquences de match afin de se « sensibiliser à l’importance du gardien de but dans le collectif », note l’entraîneur. Ainsi, Vincent Demarconnay, gardien numéro un du club, décrypte le jeu de quatre références au poste : Alisson Becker (Liverpool), Ederson Santana de Moraes (Manchester City), Marc-André ter Stegen (FC Barcelone) et André Onana (Ajax Amsterdam). « Cela permet d’approfondir la réflexion que l’on a sur notre poste et son évolution ces dernières années, précise-t-il. Le gardien est davantage utilisé aujourd’hui pour ressortir les ballons. À notre niveau, on peut s’en inspirer ». Une fois l’exercice terminé, les gardiens expriment leur ressenti sur le support de leur choix. Une copie qu’ils déposent sur le bureau de leur entraîneur, qui l’utilise pour adapter ses futurs entraînements.
Solenne BERTRAND et Matthieu DEVEZE