Après une année blanche en 2020 – une première depuis sa création en 1990 – le stage annuel de l’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels) réservé aux joueurs sans contrat a repris cet été. Une bonne nouvelle pour ses bénéficiaires qui ont pu profiter d’une préparation complète et de matchs amicaux contre des clubs professionnels. Mais toujours dans l’incertitude de reprendre le fil de leur carrière.
Entre sa fin de contrat à Barcelone le 1er juillet et sa signature au PSG le 10 août, Lionel Messi était probablement la personne au chômage la plus célèbre de la planète. Le terme prête à sourire lorsqu’il est adossé à un sportif aussi fortuné. Son usage serait de toute façon inapproprié vu les revenus publicitaires touchés par l’Argentin durant sa période sans club. Mais il demeure une possibilité concrète au cours de la carrière d’un footballeur. Sur environ 1100 joueurs professionnels évoluant en France recensés par le syndicat UNFP, environ un quart sont en fin de contrat au 30 juin chaque saison. La moitié d’entre eux ne retrouvent pas un club dès la fin de leur bail précédent.
Pascal Bollini, avant de rejoindre l’UNFP et de se spécialiser dans la question, a dû faire face à cette situation difficile en tant que joueur professionnel. « Je n’étais pas préparé à être confronté à une fin de contrat, à être au chômage. On ne pense pas à ça. Quand on joue, on espère jouer le plus longtemps possible. Mais il y a tellement de paramètres qui font que vous vous retrouvez à ne plus jouer, et en fin contrat, à 20, 22 ou 25 ans. Pour des gamins qui sont plein d’espoir, c’est difficile. Parce que signer le contrat pro, c’est pas le plus dur. Le plus dur c’est de confirmer. » développe-t-il.
L’attaquant Idrissa Ba, passé par Pau, Bourg-en-Bresse ou Dunkerque, s’est retrouvé dans cette situation à plusieurs reprises – sans pour autant traverser de longues périodes sans club – et confirme. « Se retrouver à s’inscrire au Pôle emploi, c’est pas facile à gérer, surtout pour des jeunes qui pensaient trouver un club facilement ».
Comme une petite trentaine de joueurs dans son cas, Idrissa Ba a participé cet été au stage UNFP, structure créée en 1990 par René Charrier pour répondre à la demande de ces joueurs sans contrat. Aujourd’hui dirigé par Pascal Bollini, ce dispositif offre à chaque intersaison un moyen à ces joueurs de se préparer dans de bonnes conditions, et de se mettre en valeur pour retrouver un emploi en jouant notamment des matchs amicaux contre des clubs professionnels.
« On est même mieux servis que dans certains clubs »
Annulé par la pandémie en 2020, « l’UNFP FC » a retrouvé les terrains en juillet dernier, dans le cadre somptueux de Clairefontaine. Et ce, sur une durée de trois semaines contre six à sept habituellement, le lieu étant réquisitionné par les Bleus pour l’Euro jusqu’à la mi-juillet. Cette équipe particulière de « chômeurs du foot » a pu profiter d’un staff complet et expérimenté. « On est même mieux servis que dans certains clubs » souligne Idrissa Ba, qui a par exemple été coaché cet été par Jean-Luc Vasseur, 31 matchs de L1 sur le banc de Reims et vainqueur de la Ligue des Champions 2020 avec l’OL féminin.
Pour Pascal Bollini, avant même d’espérer attirer les recruteurs, l’objectif premier de la structure est de préparer les joueurs physiquement, tactiquement et techniquement comme s’ils étaient dans un club. « L’idée c’est de pouvoir faire une bonne préparation physique, puis de les mettre en confrontation avec des clubs de L1 ou L2, cette année Metz, Clermont et le Red Star. Le résultat n’est pas important, le but est que les garçons aient des repères sur le terrain, à leur poste. Chacun aura fait au moins une mi-temps. » Ainsi, si une opportunité se présente, les chances de la saisir seront optimisées. « Les joueurs sont prêts pour faire un essai ou pour signer. Quand vous faites un essai, et que vous n’avez pas joué pendant 2 mois, c’est vrai que c’est un peu perturbant, et on peut se poser des questions, se demander si on est à la hauteur physiquement, si on est bien positionné » poursuit Pascal Bollini. Idrissa Ba complète : « J’ai vraiment fait le stage dans l’optique d’avoir un entraînement rythmé, de reprendre vite, parce que s’entrainer tout seul quand tous les autres ont déjà repris en club ce n’est pas forcément évident. »
Une forte solidarité
Au-delà de cette préparation similaire à celle d’un club, la situation particulière des joueurs créé une forte solidarité, malgré « un panel assez large de joueurs, de jeunes de 19 ans qui sortent de centre de formation, à des anciens joueurs de L1 ou L2 de 32 ans » constate Pascal Bollini.
Si chaque joueur a une expérience différente, tous sont dans la même situation et partagent le même objectif : retrouver un contrat. Ce qui leur permet de s’aider mutuellement, comme l’explique Barkley Miguel Panzo, passé lui aussi par le stage cet été : « On est tous dans le même sac. Dans un club on est ensemble mais chacun a besoin de réaliser ses objectifs personnels, il y a un esprit de concurrence. Là il y a de tout mais on est tous pareil. Personne ne dit moi j’ai fait ci, moi j’ai fait ça. Au contraire celui qui a fait le plus de trucs, il va venir aider les petits. » L’arrière droit de 29 ans, passé par l’Angleterre, la Suède, Malte ou encore la Lituanie, prend l’exemple de ses particularités personnelles. « Mon parcours à l’étranger je l’ai expliqué, et s’ils reçoivent des offres à l’étranger ils peuvent m’appeler. »
Cette cohésion a paradoxalement été renforcée par la crise sanitaire, qui a une nouvelle fois affecté le déroulement du stage. Pour éviter un cluster, et donc handicaper les joueurs dans leur préparation, le syndicat a fait le choix de confiner l’équipe pendant trois semaines, là où une rotation s’opère habituellement. « Si un joueur signait dans un club, il y a un nouveau qui arrivait. Ça veut dire qu’on avait 50-60 joueurs qui passaient au stage sur une période de six à sept semaines. » explique Pascal Bollini.
Si cette mise sous cloche a donc potentiellement privé des joueurs sans contrat de rejoindre le stage, elle a renforcé les liens entre la petite trentaine de participants comme en témoigne Barkley Miguel Panzo : « 3 semaines enfermés, pendant lesquelles on dort, on joue, on se dépasse, on fait tout ensemble, ça nous rapproche vachement. On a vraiment créé une bande de potes. » Une bande de potes en attente d’un projet pour rebondir.
Retrouver un contrat en temps de crise
Les impacts négatifs du Covid-19 sur le football professionnel sont multiples, et la pandémie, en affectant les finances des clubs a eu, par ricochet, un impact sur les joueurs en recherche de contrat. Même si ces derniers sont libres et que les clubs cherchent à faire des affaires, les effectifs sont moins extensibles, et moins susceptibles de leur laisser une place que par le passé. « Même au niveau L1 ou L2, il faut d’abord se séparer de joueurs pour en prendre d’autres, alors qu’avant les clubs prenaient plus de joueurs, même s’ils ne jouaient pas tous. Certains clubs même ne sont pas encore complets au niveau des effectifs mais n’ont pas de quoi recruter » regrette Pascal Bollini.
Une situation difficile pour les joueurs sans contrat, parfois en contact avancés avec des clubs en incapacité de leur proposer une offre avant de dégraisser. De quoi mettre encore davantage sous tension des individus déjà dans une situation d’incertitude. « Je n’ai pas eu peur de ne pas retrouver de contrat, mais de ne pas trouver de projet qui me plaise, et de signer par dépit » révèle Idrissa Ba malgré sa solide expérience des terrains de L2 et de National.
Malgré ça, Pascal Bollini révèle qu’environ la moitié des joueurs du cru 2021 ont aujourd’hui trouvé crampons à leur pied, en décrochant un contrat soit professionnel, soit fédéral (un contrat de travail à temps-plein dans un club amateur en tant que joueur). C’est le cas d’Idrissa Ba, nouvel attaquant de Bastia-Borgo en National. « On est largement dans les temps » se félicite le directeur du stage, alors qu’en moyenne, 60 à 70% des joueurs du stage retrouvent un contrat avant la fin du mercato d’hiver suivant. Ce qui pose tout de même question pour les 30 ou 40% restants. Barkley Miguel Panzo en fait pour l’instant partie, même si l’arrière droit ne désespère pas de retrouver un club cet hiver, et s’entraîne de son côté en attendant. Bien que le stage facilite les contacts avec les clubs, il ne garantit évidemment pas un contrat. Surtout que les recruteurs qui observent les matchs de l’UNFP FC ne sont pas dans une optique de découverte de talents cachés. « Les joueurs qui viennent au stage, les clubs les connaissent. Il n’y a pas de surprise, les recruteurs viennent pour confirmer qu’ils sont bien. » clarifie Pascal Bollini. Pour ces « inactifs du foot » qui ne retrouvent pas rapidement un projet, la perspective de poursuivre une carrière professionnelle s’assombrit jour après jour.
« C’est dur de savoir ce qu’on peut avoir après le foot »
Après le stage, ces joueurs ne sont toutefois pas laissés sur la touche par l’UNFP. Pascal Bollini fait un point tous les mois avec eux, et le syndicat continue de les suivre s’ils n’ont toujours pas trouvé de club après le 30 janvier. Mais cette situation particulière de « footballeur au chômage » déstabilise leur vocation, comme l’a montré le sociologue Julien Bertrand. Dans un article de 2009 paru dans la revue Sociologie du travail, le chercheur explique que la socialisation footballistique dote symboliquement les joueurs du sentiment « d’être fait pour ça », et que l’engagement dans une carrière est vécu sur le registre de la vocation. Ainsi, tout déclassement sportif, dans le cas présent une fin de contrat, est en décalage avec les attentes placées dans la carrière sportive, ce qui est douloureux à vivre pour les joueurs.
Barkley Miguel Panzo a récemment pris conscience de cette extrême instabilité, et ainsi commencé à plancher sur sa reconversion : « Quand on joue c’est dur de savoir ce qu’on peut avoir après le foot. Il y a un an j’aurais pas su. Je suis quelqu’un qui communique vachement sur les réseaux, et à partir de là m’est venue l’idée d’ouvrir mon agence de communication d’image. » L’UNFP accompagne d’ailleurs les joueurs dans leur projet de reconversion, via un service intitulé Europ Sports Reconversion. Mais seulement si cela part d’une volonté du joueur, loin d’être évidente pour ceux qui rêvent de prolonger une carrière professionnelle. Barkley Miguel Panzo pointe également les différences entre le monde du travail et celui du foot professionnel, ce qui peut créer un décalage. « Le football, ça ne ressemble pas du tout au monde du travail, dans les mentalités, ou dans le quotidien. Nous on va à l’entrainement, et on se déplace pour les matchs, on ne raisonne pas en termes d’heures de travail. Quand on te dit d’aller travailler dans un magasin ou un bureau, c’est un autre monde » avance-t-il.
Si ces problématiques dépassent le cadre du stage UNFP, la structure permet de sensibiliser les joueurs à la possibilité d’une vie autre que celle de joueur pro. Tout en faisant le maximum pour leur permettre de poursuivre leur carrière en retrouvant un projet intéressant. Pascal Bollini se veut positif et cite les « beaux parcours » de ces joueurs qui ont eu « l’envie de réussir », quitte à rebondir dans le monde amateur pour finir sur les pelouses de L1. Dans les rangs de la promotion 2021 figuraient donc peut-être les futurs Romain Thomas (Angers), Arnaud Souquet (Montpellier) ou encore Akim Zedadka (Clermont), tous passés par le stage UNFP ces dernières années et désormais titulaires dans des clubs de L1. Mais aussi des joueurs à l’avenir plus incertain, mal préparés à se retrouver dans une telle situation, et sans garantie d’en sortir.
Pierre Lechat