« Dieu est mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! », s’évertuait à dire Nietzsche dans le Gai Savoir. C’était en 1882 et il aura donc fallu attendre 2020 pour que la prophétie se réalise. Maradona était le Dieu de notre religion, et il est mort. Maradona n’est pas mort d’une crise cardiaque, il est mort de la vie. Son savoir, l’art d’éviter, de feinter, de donner, de marquer des buts surhumains et d’amuser de facéties. Comme lors de ce soir de Coupe d’Europe à Munich en 1989 où il danse au rythme de « Life is live » tout en jonglant. Maradona était le surhomme de Nietzsche. Dans sa dimension divine, il voulait sauver le football de la laideur et de la vulgarité avec sa gueule d’ange, lui donner ce ton tragique si propre au surhomme, jouer comme un pro avec l’esprit d’un amateur, et rendre fiers ceux qui n’avaient jamais gagné. Les Napolitains et les Argentins ont cela de commun qu’ils n’avaient jamais gagné. Les uns parce qu’historiquement dans l’ombre des Milanesi et des Juventini du Nord de l’Italie, les autres car on leur avait volé la Coupe du Monde en 1978.
L’Argentine pleure son génie, mais le monde entier est en deuil. Le volcanique San Paolo semble endormi, la Bombonera bien silencieuse et tes fidèles hagards. Culotté est certainement l’un des mots qui définirait le mieux soixante saisons d’une vie ô combien diverse, faite de succès mondiaux probants, de défenses sur le flanc, d’un ange aux pieds d’or et mains d’argent. Mille phrases ne sauraient encore résumer ce génie à l’état pur, transformant tout ballon de cuir et de fil en un joyau, une œuvre indélébile.
Le visionnage de toutes les rencontres de Diego ne suffirait pas à comprendre l’œuvre de sa vie. Sous le maillot de Boca, du Napoli ou de l’Albiceleste, il était le seul que l’on apercevait sur la pelouse. Seul et léger comme une plume dans le ciel. Un ciel qu’il rejoint justement, et qui semble le seul endroit à sa hauteur. Diego Maradona, c’était la conjugaison du talent et du caractère. Un petit feu follet capable de coups de génie comme de coups de sang. Capable d’être haï en Catalogne et adulé en Campanie. Peuple décrié, attaqué, dénigré, esseulé, que Diego chérissait autant que celui-ci l’admirait. Peuple qu’il a guidé vers la lumière, qu’il n’a jamais abandonné et qu’il n’abandonnera jamais. La Campanie se souvient. Et elle se souviendra, pour toujours.
Il y a un mois, France Football publiait une interview du Pibe de Oro. Huit semaines de négociation pour une dizaine de minutes de conversation avec le maître. Insaisissable Diego, presque inatteignable. Pourtant, il s’est finalement confié. Avec malice et génie, comme lorsqu’il dansait balle au pied sur la pelouse brûlante du stade Azteca. Pour ceux n’ayant pas eu la chance d’observer ton élégance sur les terrains, une vidéo ou un récit ont suffi pour prendre conscience de l’immense source d’inspiration qu’il a représenté, qu’il représente, et qu’il représentera. Regarder, enfants, Diego sur des vieux DVD empruntés au paternel. Voir l’un des meilleurs joueurs de l’Histoire. Puis grandir, et comprendre qu’il était bien plus que ça : le plus grand. L’ultime mélange du dieu et de l’humain.
La rencontre du sublime de son football avec cet idéal de justice offrit l’un des matchs les plus iconiques de l’histoire du football. Ce 22 juin 1986, sous la chaleur étouffante de Mexico, celle qui mettait en danger l’intégrité des joueurs comme il l’avait bien souligné, cette main de Dieu et ce slalom incroyable servirent à laver l’honneur des Argentins humiliés par Thatcher aux Malouines. Diego, au grand homme le football et le peuple reconnaissants. Maradona, c’était aussi l’art de porter le maillot. Personne n’a jamais aussi bien porté le maillot des Xeneizes de Boca qu’ El Pibe de Oro quand, déjà, il impressionnait le monde de ses dribbles chaloupés et offrait des gourmandises à qui venait le voir dans l’antre de la «boîte à bonbons» – la Bombonera. A lui seul, l’enfant des quartiers de Lanus était un courant d’art, sa vie une œuvre, il était pur comme une pointe de Maïa Plissetskaïa, il était un classique à lui seul comme Basquiat qui peint sur Tchaïkovsky.
Diego, tu étais le foot. Et I’incarnation de la rue, là où la misère te broie ou te force à devenir génial. Pour survivre, pour exister, pour t’extraire de ces démons qui ne t’abandonnent finalement jamais. Mi-génie, mi-voyou, les Français t’imaginent en Gavroche, les Argentins te voient en Malandro. Le personnage que l’on admire parce qu’il brille de mille feux en gardant les pieds dans la merde. Celui que l’on idolâtre car il fait la nique aux grands de ce monde avec son sourire espiègle. Celui que l’on pardonne de tous ses excès car il nous fait rêver. Pour te dire, nous sommes même prêts à te pardonner ta défaite face au TFC en 1986.
Diego, tu étais un drapeau, celui d’un football comblé par l’allégresse et l’insouciance de tes gestes. Ce football d’antan, celui des icônes et des grandes épopées, éloigné des affres du temps et de la médiatisation à outrance. Ce football romantique continuera de vivre dans nos songes. Une place de choix t’étant gardée dans notre imaginaire, celui façonnant notre amour pour ce sport que tu as tant choyé. Là est toute la définition de l’astre que tu fus, une lueur pour tous, même pour ceux qui ne purent te voir danser avec la balle comme tu savais si bien le faire. Tu ne touchais plus le ballon depuis quelques temps déjà. Pourtant, tu étais toujours là. Toi, tes souliers argentés, ta main levée, tes lignes blanchies, tes shorts serrés, tes cheveux bouclés. Tu vas nous manquer. Mais tu ne disparais pas. Ce jour n’est qu’une étape de plus de ton règne sur notre paradis. Celui de la passion. Celui de l’émotion.
Diego, on te croyait immortel. À vrai dire, on ne te croyait même pas humain. Tu étais au-delà de ça, tu étais le football dans ce qu’il a de plus beau, de plus fin, de plus dramatique, mais surtout de plus fou. Après tant d’années à danser avec la vie, elle aura fini par te cueillir. Comme un dernier pied de nez à tous ceux qui pourraient encore en douter, imaginons Diego balle au pied, dribblant Saint-Pierre dans le temps additionnel, marquant une ultime fois de son empreinte si spéciale la Terre comme le Ciel pour toujours. Le cerf volant cosmique s’est finalement envolé à jamais, nous laissant orphelins ici-bas. Si les hommes s’en vont, les actions restent quant à elles gravées dans les mémoires, tant que d’autres peuvent les raconter. Nul doute que la légende Maradonienne se perpétuera des années durant jusqu’à atteindre l’éternité; puisque du Beautiful Game, la personnification tu resteras. Tu étais la passion. Tu étais l’Argentine. Tu étais le football. Tu étais plus grand que la vie. Tu seras plus grand que la mort.
Léna, Léon, Tristan, Blaise, Cyprien, Pierre-Louis, Thibaut, Pierre, Guillaume, Hugo, Jules, Marwen, Lucas, Enzo.
PS: Maintenant que tu es là-haut, profites-en pour rendre sa main à Dieu.