Malo Le Boubennec : ” Le but est de mettre en place des écoles de foot dans des zones reculées”
Comme tous les étudiants de 23 ans, Malo se réveille le matin pour travailler. S’il a choisi STAPS comme formation universitaire, c’est pour développer un projet qui a commencé il y a déjà quelques années. Car, quand il rentre de l’université, Malo doit gérer à distance une quarantaine de jeunes joueurs sénégalais qui sont inscrits dans son école de football. Caviar vous emmène à la découverte de ce jeune président d’école de football qui nous en dit plus sur la progression de son projet.
En 2014, Malo n’est qu’un simple lycéen dans une institution catholique du Xème arrondissement de Paris. C’est alors un élève très moyen, qui n’a pas vraiment d’ambition même s’il sait déjà qu’il veut travailler dans le monde du ballon rond. Il rejoint alors “Yes Akademia”, un projet citoyen qui réunit des jeunes de tous horizons au sein d’une communauté d’entraide. Ces étudiants participent ensuite à un parcours innovant qui leur permet de réaliser à terme un projet audacieux. Il y trouve alors la motivation et les possibilités de concilier football et actions solidaires, en partant de rien. A la suite de ce programme, en 2015, il fonde une association qui a pour objectif d’encourager le développement du football à l’international, et qui sera à l’origine de la première école de football dans la ville de Mbourokh, au Sénégal, qui continue de grandir d’années en années. Entretien avec Malo Le Boubennec.
Bonjour Malo, pouvez-vous présenter votre parcours et vos projets brièvement ?
Je suis en Master 1 de STAPS à l’université Paris Saclay, spécialisé en management de Sport. J’ai fondé l’United Football Africa il y a cinq ans dans le but de récolter des fonds afin de mettre en place des écoles de foot dans des zones reculées, dans des zones où le football est présent mais où il n’y a pas de professionnalisation ni de structure pour encadrer sa pratique chez les plus jeunes. Et donc on a fondé l’école de football dans la ville de Mbourokh au Sénégal, appelée le Planet Foot de Mbourokh avec l’association il y a quatre ans.
Le processus a commencé lorsque j’avais 18 ans, quand j’ai participé au programme Yes Akademia en immersion en échange culturel pour développer des micro-projets. Mon projet à moi a ainsi été de développer une école de football dans ce village. J’ai fondé administrativement l’association à 18 ans lorsque j’étais en classe de première à la suite de mon redoublement afin de faciliter la mise en place de l’école, que j’ai fondée à 19 ans.
Comment avez-vous créé l’association United Football Africa et l’école Planet Football à Mbourokh ?
Le plus simple, c’est de créer une association. Je suis allé faire les démarches sur les sites administratifs pour créer une association loi de 1901, et cela m’a pris deux ou trois mois environs. Il faut créer des statuts, faire des réunions avec le comité directeur même si nous ne sommes que deux. Et après pour créer l’école de foot ça a été un peu plus long. Lorsque le projet a démarré, je ne savais pas encore comment m’y prendre, et finalement ça m’a pris environs six mois de bien définir ce que je voulais faire. Au début on a commencé sans existence officielle, en s’organisant « à la sauvage », juste avec quelqu’un qui organisait les entrainements sur place, et un directeur censé gérer l’argent qui est envoyé afin d’acheter du matériel. Au début c’était de simples inscriptions avec les noms des enfants. Et dès la deuxième année on a eu une existence officielle, on a fait les démarches sur place. Cela s’est donc créée en deux temps.
Quelles ont été tes plus grosses difficultés ?
La principale difficulté c’est de mobiliser des gens dans le projet. Loin de l’école de foot pendant l’année universitaire, je suis obligé de faire entièrement confiance à des gens pour remplir leur rôle et faire les choses à ma place. Le plus dur c’est de faire en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. L’entraineur, le directeur et moi devons être alignés alors que nous sommes très éloignés géographiquement. Nous pouvons seulement se parler par WhatsApp, et dans le processus de création, c’est ça le plus compliqué.
Dans l’organisation de tous les jours et dans le développement de la structure, le moins évident c’est de faire des demandes de don. C’est fastidieux, il faut beaucoup demander, relancer, et moi qui suis timide ce n’est pas forcément évident au départ. J’ai mis pas mal de temps à comprendre que si je voulais que l’école progresse, il fallait que je démarche les gens un à un. Après il y a des petites embuches sur le chemin, des fois des gens qui semblent très attachés au projet mais qui ne le sont pas réellement. Ils s’en vont sans dire pourquoi. C’est dur à gérer, ça fait mal de voir des gens se désintéresser aussi rapidement, je me suis ensuite retrouvé seul face à un tas de responsabilités.
Est-ce que certaines personnes ou communautés sur place ont tenté de freiner ou d’empêcher ce projet ?
C’est un risque fort. Il y a plusieurs choses qui rentrent en compte. Déjà, il y a le syndrome du « Français qui veut aider le Sénégal», et le lien entre le Sénégal et la France est fort en raison de leur passif. Et donc on ne veut pas passer pour le néo-colonisateur qui arrive avec ses idées toutes faites et qui les applique le village. Heureusement pour moi, ça n’a pas été le cas car quand je suis parti la première fois, je suis parti avec l’association sans avoir d’idée de ce que je voulais faire, je me suis juste incrusté dans le quotidien du village et ça s’est très bien passé. J’ai été très bien accueilli et là-bas j’ai beaucoup parlé aux gens. Une fois que j’ai eu l’idée de mon projet, j’ai beaucoup consulté, j’ai appelé beaucoup de gens pour savoir ce qu’ils en pensaient, et j’y suis retourné une deuxième fois tout seul pour les concerter et lancer le projet. Je suis arrivé avec des papiers et on a fait des schémas. Et j’ai surtout fait de l’information dans le village, on a fabriqué des prospectus qu’on a distribué dans toutes les maisons pour faire en sorte que ce soit vraiment accepté. Car l’une de mes craintes, quand t’es investi dans un projet à distance comme ça avec une population qui a d’autres soucis dans la vie que l’école de football, des soucis plus importants à régler, c’est que toi tu sois motivé, mais pas eux. Là, n’y avait pas d’intention de prendre de l’argent aux gens, du coup ça a été bien accueilli. Et c’est en rapport avec le football c’est toujours un peu plus simple à mettre en place. Je n’ai pas eu de résistance, personne ne m’a dit non, mais c’est un risque que j’ai vraiment pris au sérieux.
Pourrais-tu décrire l’évolution de l’école Planet Foot ?
L’évolution est assez linéaire. Plus on a de dons, plus on professionnalise.
D’abord on a décidé des priorités de développement. Première étape c’est le matériel, c’est primordial pour une équipe de foot. C’est primordial, comme en France, sans un minimum de ballons, coupelles ou chasubles, c’est impensable. Et aussi du matériel médical, on s’est vite rendu compte qu’il y allait en avoir besoin en cas de blessure. Puis, une fois qu’on a eu les reins solides sur ces points là on a commencé à rémunérer l’entraineur. Au départ, il était bénévole. Il n’est pas salarié à proprement parler, mais on a décidé de le dédommager pour le temps qu’il prend hors de son travail pour organiser des entrainements. Puis les étapes d’après, ce qu’on fait actuellement, c’est commencer à payer des déplacements pour les équipes afin qu’elles puissent partir jouer des matchs de compétition locale.
Quelles sont les ambitions de l’école désormais ?
Nous ambitionnons de devenir autonome sur le plan financier. Sauf que nous sommes dans un village pauvre, ce n’est pas le plus pauvre du Sénégal mais ce sont des gens qui ont peu de moyen. Je ne voulais pas qu’on fonctionne sur le système de l’inscription onéreuse. Je ne voulais pas refuser l’accès à l’école à des enfants parce que leurs parents n’ont pas de quoi payer. Du coup, on est obligé d’avoir d’autres sources de financement. Et dans les prochaines étapes de développement, il faut essayer de trouver de nouvelles sources de revenu, différentes des dons. On a des pistes, des idées comme ça peut se faire au Sénégal, comme investir dans un bus et le proposer à la location. Ça permettrait aux équipes de se déplacer, et cela ferait une ressource supplémentaire qui amortirait l’achat du bus. Ensuite, c’est d’être plus professionnel, d’avoir plus d’enfants et de catégories d’âge.
Est-il possible qu’une pépite de l’école devienne professionnelle ? Est-ce que c’est un objectif ?
C’est une question qu’on s’est posée. Car il y a des talents, comme partout. On en a discuté pour savoir comment on ferait, on a réfléchi à mettre en place une sorte de protocole, afin de le présenter a des structures reconnues en terre nationale, pour accéder à un football de plus haut niveau, et j’espère que ça va arriver, mais on ne peut pas se fixer ça comme objectif, c’est assez compliqué à atteindre. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut prévoir, qu’on peut même façonner réellement. On peut mettre en place des choses pour le faciliter, mais ça nous tombera dessus, ou non.
Quels sont les acteurs qui participent au projet sur place ?
Déjà, il y a le directeur de l’école qui est un ancien arbitre professionnel. Il arbitrait des matchs de l’équipe nationale. Son expérience est cruciale car il connait les instances du pays, les organisations des compétitions. Et il connait des gens dans différents endroits, c’est pas Big Brother, mais il a un petit réseau. Surtout, il apporte de la sécurité, car il a déjà dirigé des écoles des foot dans la ville d’à côté, où il habite. Il a un regard important car il sait ce que ça peut donner une école de foot au Sénégal. Moi je sais ce que ça peut donner une école de foot en France. Donc on se complète bien, on est sur la même longueur d’onde, on peut s’apporter des points de vue différents. Au-delà de lui, on forme une triade. C’est-à-dire qu’il y a moi qui organise du point de vue de la France, Younous Diallo directeur de l’école qui connait l’organisation et le fonctionnement du football au Sénégal, et Ibou Cissé le coach qui est à plein temps boutiquier. Et qui, de par son travail de boutiquier, connait quasiment tous les enfants du village, toutes les familles, il connaît même les situations financières des familles. Il est capable d’évaluer ce qu’on peut demander ou pas aux gens du village, car c’est l’un des potentiels soucis. Younous et moi, on ne connait pas les difficultés quotidiennes du village. On les effleure seulement quand on y va. Lorsqu’on veut mettre en place une petite nouveauté, il faut qu’on puisse savoir ce qu’on peut demander raisonnablement aux parents des enfants afin de ne pas leur imposer des participations financières trop importante. Et donc Ibou sert à ça – en plus de ses capacités managériales – il connait les familles du village qui peuvent mettre tel ou tel prix, et les familles qui n’ont pas les moyens.
Pour conclure, que penses-tu du potentiel du football africain ?
C’est un potentiel fort mais différent des autres continents. Le football africain est organisé sur le modèle français, il y a une reproduction de ce modèle d’organisation du football dans les pays anciennement francophones. Le football africain a une bonne formation de par le nombre de joueurs qu’on voit etre formé en Afrique pour ensuite partir en France et en Europe. Mais c’est un football qui n’a pas du tout atteint son potentiel maximal, comparé à l’Europe, où on est à un niveau de production de joueurs qui est très fort. En France, lorsqu’il y a un bon joueur de foot, on finit toujours par lui donner sa chance. Alors qu’en Afrique, il y a encore des joueurs qui passent entre les mailles du filet. Notamment dans les zones un peu reculées, et c’est pour ça que je mets en place ce projet, c’est profondément lié, meme si je ne réponds pas aux besoins de toute l’Afrique.