Tribunes de l'Etihad Stadium le 30 octobre dernier lors de Manchester City- Crystal Palace (Photo by Naomi Baker/Getty Images)
Football

« Nous voulions créer une application de football qui ne ressemble pas aux autres »

Lancée il y a dix ans, l’application Futbology permet à ses utilisateurs d’enregistrer les matchs qu’ils vont voir, de les partager avec leurs amis et de repérer ceux à venir autour d’eux. Geir Florhaug et Lars Erik Bolstad, les deux Norvégiens créateurs de l’application, nous ont accordé une interview pour discuter de l’avenir de leur projet. Croissance, football féminin et tourisme, l’occasion de faire le point sur le rôle de l’application dans le football post-Covid.

  1. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette application?

Lars Erik Bolstad : Nous avons créé la première version de l’application il y a dix ans. A la base, elle s’appelait Groundhopper (un groundhopper est un adepte du groundhopping, une pratique qui consiste à voyager pour visiter des stades en assistant à des rencontres, NDLR). Cela faisait plusieurs années qu’on voyageait à travers l’Europe pour voir du football. On a pensé qu’il serait sympa d’avoir une application dans laquelle on pourrait enregistrer nos matchs et avoir des statistiques. On a cherché une application de ce genre et on s’est rendu compte qu’il n’y en avait pas, alors on a décidé d’en faire une. A l’origine, l’application servait simplement à enregistrer les stades. Au fil des années, on a ajouté des fonctionnalités jusqu’au changement de nom récemment. On voulait faire savoir que l’application n’était pas destinée qu’à un petit nombre d’initiés au groundhopping, que ça ne soit pas uniquement une application pour ceux qui collectionnent les stades mais qu’elle soit intéressante pour tous les fans de football. Nous avons créé l’application comme une application qu’on aimerait utiliser. Les fonctionnalités sont celles que nous voulons avoir. Nous sommes parmi les utilisateurs les plus actifs de l’application. 

  1. Vous aviez l’impression que le premier nom de l’application pouvait être une limite à son développement ?

Lars Erik Bolstad : Il y a deux choses: nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de retours des fans plus “classiques” qui se rendaient à beaucoup de matchs de football mais qui n’utilisaient pas l’application car ils ne se considèrent pas comme des groundhoppers. L’autre problème avec le nom, c’est qu’en dehors de l’Europe du Nord, le terme groundhopper est complètement inconnu. Par exemple, l’application ne fonctionnait pas du tout en Amérique du Sud et en Europe du Sud comme en Espagne, au Portugal ou en Italie, là où il n’y a pas vraiment de culture du groundhopping. Voilà les deux raisons qui nous ont poussées à changer le nom ; affirmer que ce n’était pas seulement une application pour le groundhopping et la rendre plus accessible dans d’autres régions du monde.

Lars Erik Bolstad (gauche) et Geir Florhaug (droite ) devant le Stade Olympique de Londres pour la rencontre West Ham – Manchester United. Crédit: Twitter/Futbology.
  1.  Comment les utilisateurs contribuent-ils à alimenter l’application ?

Geir Florhaug : Ce sont les utilisateurs qui nous aident à construire cette base de données assez unique qu’est l’application, qui nous permettent de couvrir autant de stades, de savoir quel club y joue dans quel stade et de mettre sur la carte. On a des contacts dans presque tous les pays qui nous aident avec des détails et nous préviennent quand il y a des changements de noms ou de logo, on ne peut que les remercier. Ça serait impossible pour nous de tout vérifier tout le temps mais ils nous disent lorsqu’il faut faire des changements. Nous voulions créer une application qui ne ressemble pas aux autres applications de football. Il y en a plein, la plupart ont les matchs, les résultats et de très bons articles mais très peu d’entre elles vous disent où auront lieu les matchs. Nous, on à même la dixième division anglaise ! La fonctionnalité la plus utilisée de l’application est celle qui vous permet de voir les matchs à proximité de vous. C’est très pratique pour organiser vos voyages.

  1. Savez-vous combien de championnats et de stades sont disponibles dans la base de données ?

Lars Erik Bolstad : On a dépassé les 60 000 stades, et pour le nombre de compétitions, entre les championnats et les coupes, on approche le millier. On continue d’en ajouter tout le temps. Dans certains, pays ça descend très loin dans les divisions inférieures et dans les autres, c’est parfois juste la première division.

  1. Quelle est la place du football féminin dans l’application ?

Lars Erik Bolstad : Depuis un an, nous avons ajouté beaucoup de ligues féminines, en tout cas dans les principaux championnats. Les compétitions féminines sont sur un pied d’égalité avec le football masculin sur l’application. Mais, la place du football féminin est très différente selon les pays, il y a des endroits où il n’attire que très peu de visiteurs et d’autres où il est très populaire.

  1. Êtes-vous en contact avec des clubs ou des instances du football ?

Geir Florhaug : Oui nous en avons, on a une fonctionnalité à travers laquelle les clubs peuvent créer des badges pour leurs supporters et donner envie aux gens de voir plus de matchs et de gagner des prix. On aimerait aider les clubs à attirer plus de public. Notre cible n’est pas les gros clubs qui jouent la Ligue des Champions. Nous voulons aider les clubs de plus petite envergure  à attirer plus de spectateurs. Je pense qu’il y a une grande opportunité pour découvrir à nouveau le football par les petits clubs alors qu’il devient de plus en plus un jeu d’argent et que les grands clubs s’éloignent de leurs supporters.

  1. Comment comptez-vous vous développer ? Avez-vous réussi à progresser malgré la pandémie et les stades fermés?

Lars Erik Bolstad : La gestion du projet nous occupe sur notre temps libre, à côté de notre travail, mais on pourrait être amené à y consacrer plus de temps. Il y a deux versions de l’application. Elle est gratuite de base, mais il y a aussi des options payantes. Ça nous apporte des revenus, mais il y a forcément des frais pour faire fonctionner l’application. Dans les années qui précédaient la pandémie de Covid-19, nous avions une très bonne croissance, alors nous en avions parlé : si ça continue sur ce rythme alors pourquoi pas y consacrer plus de temps. Puis la pandémie a frappé, la plupart des championnats ont été mis à l’arrêt, et quand ils ont repris c’était dans des stades vides. On a traversé une période de stagnation mais la croissance revient. Nous avons actuellement notre plus forte progression. De nouveaux utilisateurs nous rejoignent chaque jour. Je pense qu’il y a aussi beaucoup d’utilisateurs qui ne s’étaient pas servis de l’application depuis longtemps et qui y retournent. Aujourd’hui, Futbology a été téléchargée presque 200 000 fois.

  1. Quels changements expliquent cette période de forte croissance ?

Lars Erik Bolstad : Pendant la pandémie, on a développé des nouvelles fonctionnalités tournées vers l’historique, ce qui a attiré de nouveaux utilisateurs. Vous pouvez ajouter ou créer des badges pour les matchs que vous avez vu dans le passé, ce genre de choses. On a aussi ajouté une notification qui vous rappelle que vous étiez à un match ce jour-là il y a quelques années, pour avoir des souvenirs.

  1. Quelles ont été les réactions des utilisateurs pendant cette période ralentie, est-ce que beaucoup d’entre eux ont mis fin à leur abonnement ?

Lars Erik Bolstad : On a perdu des abonnés avec la pandémie, c’était une première pour nous. Je pense que 10 % des utilisateurs ont mis fin à leur abonnement. Heureusement, certains utilisateurs anticipaient la fin des restrictions, ils demandaient par exemple que des nouveaux stades soient ajoutés.

  1. Dans certains stades, les groundhoppers sont critiqués pour prendre les places de supporters locaux. Votre application a-t-elle été pointée du doigt?

Lars Erik Bolstad : Nous avons entendu ces inquiétudes. Je ne vois pas pourquoi ça serait un problème que quelqu’un vienne et paye un billet pour voir une rencontre. Nous recevons beaucoup d’intérêt de la part de petits clubs dont le souhait principal est de voir plus de monde venir à leurs matchs.

Geir Florhaug : La question des touristes est seulement mentionnée quand on parle des grands clubs. Là où les supporteurs historiques n’ont plus les moyens de voir leurs clubs parce que les touristes sont prêts à payer le double.

Lars Erik Bolstad : Si vous regardez au-delà de la poignée des grands clubs, tous les autres clubs aimeraient avoir plus de public dans leurs stades. 99 % des clubs de football du monde veulent attirer plus de monde.

  1. D’un point de vue personnel, quelle est votre relation avec le football, qui supportez-vous ?

Geir Florhaug : Nous sommes allés à l’école ensemble, Eric et moi, on supporte le club norvégien de Ham-Kam (premier de deuxième division, NDLR). On est aussi fan de Manchester United. Il faut être passionné par le football pour faire vivre cette application. Mais ce n’est pas quelque chose que l’on met beaucoup en avant. On ne veut pas participer à une guerre entre supporters. Dans ce projet, on se doit de rester neutre.

  1. Quel est votre meilleur souvenir vécu dans un stade ?

Lars Erik Bolstad : Je pense que le mien, et sûrement celui de Geir aussi, c’est lorsque que nous sommes allé à Marseille pour la Coupe du Monde 1998 et que nous avons vu la Norvège battre le Brésil. Sur le contenu du match et au niveau de l’excitation, c’est le numéro un sur notre liste.

Geir Florhaug : Tous ceux qui suivaient la Norvège à cette époque se souviennent de l’endroit où ils étaient à ce moment-là, tous vous parleront des gens qui dansaient dans la rue. Mais seulement une poignée d’entre nous peut dire qu’ils étaient là. Je me souviens du regard des gens qui disaient “est ce que ça vient vraiment d’arriver?” Impossible de ne pas mentionner ce souvenir.

Propos recueillis par Corentin Mittet

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