Olivier Rouyer: ” Je ne mets plus les pieds dans un stade de football “
Olivier Rouyer reste encore à ce jour le seul joueur professionnel français à avoir révélé publiquement son homosexualité. Un coming-out tout aussi logique que libérateur pour l’ancien joueur passé par Lyon, Strasbourg et Nancy. C’est d’ailleurs à l’ASNL que le petit ailier surnommé ” la flèche ” se fait un nom à côté d’un autre très grand nom du football français, Michel Platini. Une carrière dans le foot terminée en eau de boudin en 1994 après avoir perdu son poste d’entraineur à cause de son homosexualité, selon ses mots. Un épisode rageant qui a renforcé sa volonté de combattre l’homophobie dans le football. Se qualifiant d’indépendant, il dit “travailler main dans la main avec la Ligue de Football Professionnel par amitié sincère pour son extraordinaire présidente Nathalie Boy de la Tour”. Olivier Rouyer s’est confié pour Caviar, et le moins qu’on puisse dire c’est que “la Rouille” n’a pas sa langue dans sa poche… On refait le match.
Coup d’envoi.
Bonjour Olivier Rouyer ! Avant toute chose, merci d’avoir accepté notre invitation. Commençons par un bref retour sur votre carrière de joueur. Comment se déroule votre carrière vis-à-vis de votre homosexualité ? L’assumiez-vous déjà dans les vestiaires ?
“Non, non, non du tout… Enfin oui je l’assumais mais je ne l’avais pas dévoilé aux autres joueurs que je côtoyais. Il faut re-situer les choses dans leur contexte. Comme vous l’avez dit à juste titre moi j’étais footeux de 68 à 90, quelque chose comme ça. Et à cette période, ce n’était pas un sujet dont on avait l’habitude de parler. Donc c’était un peu plus difficile à cette époque. D’ailleurs je n’ai fait mon coming-out qu’aux alentours de mes 50 ans – plus précisément en 2008 dans le journal L’Équipe – car c’était le bon moment, selon moi.”
Le cas tragique de Justin Fashuanu – jeune prodige qui s’est suicidé après avoir fait son coming-out dans les années 90 – correspond à cette difficile période pour l’homosexualité dans la société et particulièrement dans le football…
“C’est terrible. Mais, parce que vous pensez que l’homosexualité est accepté de nos jours ? L’exemple est flagrant. Les commentaires homophobes suite à l’actualisation du logo de Football Manager aux couleurs LGBT est l’illustration parfaite du fait que l’homosexualité pose encore problème de nos jours à une frange de la population. Les mentalités ont vraiment du mal à évoluer dans le bon sens.”
Pour revenir sur votre carrière, vous n’aviez pas révélé votre homosexualité à l’époque par peur de conséquences négatives sur votre carrière ?
“Non, il n’était pas question d’avoir peur ou pas. Simplement, ce n’était pas le moment, je n’y pensais pas du tout. Il faut toujours garder à l’esprit qu’on ne parlait pas d’homosexualité dans les années 80/90 comme maintenant. L’homosexualité on en a parlé malheureusement avec l’arrivée du SIDA et à partir de ce moment là on a commencé à aborder le sujet.”
En parlant de conséquences négatives, vous dites avoir perdu votre place d’entraîneur en 1994 à cause de votre homosexualité, en êtes vous convaincu ?
“Ah oui ! J’en reste persuadé ! On vous dira que c’est pas vrai mais je suis sûr que le nouveau président qui avait été nommé à ce moment-là a subi des pressions. D’ailleurs, je continue à dire que je n’ai pas retrouvé de travail dans le foot car certains présidents s’étaient renseignés. On leur avait dit faites attention, enfin voilà quoi…”
“Je continue à dire que si je n’ai pas retrouvé de métiers dans le football, c’est à cause de mon homosexualité.”
Olivier Rouyer
Tacle les deux pieds décollés… carton rouge !
Quand on prend la multitude d’acteurs impliqués dans le monde du football, selon vous, de qui doit venir l’impulsion dans la lutte contre l’homophobie ?
“C’est un ensemble. Je pense que la LFP fait un travail formidable. La seule chose qui est dommage c’est qu’elle ne soit pas aidée par la Fédération Française de Football. De toute façon, à sa tête il y a un président qui est tout à fait sénile et qui refuse de voir la réalité en face. Donc de ce point de vue là, nous ne sommes absolument pas soutenus, ce qui est dramatique. Après je pense que le Ministère des Sports fait bien son job. J’aurais aimé que le Président Macron soit plus seyant, plus virulent vis à vis des propos de Noel Le Graet en septembre dernier. C’est un tout je pense. Il y a deux femmes formidables qui sont à fond avec nous : R.Maracineau et Nathalie Boy de la Tour. Tant que ces deux personnages seront à leur poste, on aura de bons soutiens. Par contre, si ce sont des Noel Le Graet qui récupèrent ces postes, nous sommes foutus !”
” Noël Le Graet est un président sénile qui refuse de voir la réalité en face “
Olivier Rouyer
Que font la FIFA et l’UEFA contre l’homophobie comme elles peuvent le faire contre le racisme ?
“Oh bah rien ! Il n’y a rien qui est fait ! “Respect”, respect de quoi ? Trop peu est fait pour lutter contre les discriminations. Quand on voit les réactions que suscite le racisme en Italie par exemple, je me dis que le combat contre l’homophobie est encore long… Le football et le sport sont des modèles d’intégration, inclusion, de tolérance et de solidarité. Les institutions doivent être avant tout exemplaires pour que tout le monde suive derrière.”
En 2008, une charte à l’origine de l’association du Paris Foot Gay, été signée par seulement huit clubs professionnels et appuyée par la LFP, pour lutter contre l’homophobie dans le football était porteuse d’espoir. Douze ans plus tard, quel regard portez vous sur l’évolution du combat ?
“Y a pas d’évolution… Si on fait un sondage, vous verrez qu’il y a toujours les mêmes problèmes. J’exagère un peu car le combat a avancé, notamment dans les centres de formation mais quand on voit l’attitude de certains capitaines qui avaient refusé de porter le brassard aux couleurs LGBT, c’est très coincé, très renfermé, c’est même un monde de faux-culs.”
Justement, en septembre dernier, Noël Le Graet se distinguait en annonçant ne pas vouloir suspendre les matchs de foot perturbés par des actes homophobes au contraire des actes racistes, ne plaçant pas sur le même pied d’égalité la lutte contre le racisme et contre l’homophobie, aviez vous pris position dans les médias et aviez vous eu l’occasion de vous entretenir avec lui par la suite ?
“Non non, je ne me suis jamais entretenu avec lui. Bien sûr que j’avais eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet. Mais je confirme ce que je disais à propos de Noel Le Graet. Je ne comprends pas comment on peut avoir ce genre de discours et de comportements. C’est totalement irréaliste et même insupportable. Alors j’entends que c’est parce qu’il est d’une vieille génération mais on ne peut pas dire ça quand on est président de la plus grosse fédération de sport en France. C’est tout bonnement scandaleux.”
Quelle tactique adopter ?
Est-ce une bonne idée selon vous d’interrompre les matchs de foot au cours desquels des propos homophobes sont proférés ?
“Bien sûr ! Je trouve ça très bien. Je pense qu’il faudrait arrêter le match à chaque fois et au bout de la 3 ème fois dans une même rencontre, match perdu pour l’équipe dont les supporters profèrent les chants homophobes. Et quand à la fin il manquera 3 points à leur équipe pour se qualifier en Coupe d’Europe, peut-être qu’ils comprendront enfin.”
Si ce sont des insultes qui ne viennent pas d’un virage mais d’un spectateur isolé, comment faire ?
“À ce moment là je pense qu’on a tout ce qu’il faut dans des stades de foot pour juguler tout ça. Il y a même, j’aime pas trop ça, la délation. On a tout ce qu’il faut pour régler le problème. Encore faut-il que les présidents aient envie de régler le problème, ce que je ne pense pas. Ils ne veulent pas que ce soit leur décision, ils préfèrent que ce soit une décision institutionnelle pour être couverts vis à vis des supporters. Mais ils s’en foutent et peut être que dans leur for intérieur, ils n’aiment pas beaucoup les homosexuels.”
“Encore faut-il que les présidents aient envie de régler le problème, ce que je ne pense pas. Mais ils s’en foutent et peut-être même que dans leur for intérieur, ils n’aiment pas beaucoup les homosexuels.”
Olivier Rouyer
Les sanctions contre les actes homophobes sont-elles la solution pour endiguer l’homophobie dans les stades de foot ? Sont-elles aujourd’hui trop clémentes ? La vraie solution ne se trouve-elle pas plutôt du côté de l’éducation et de la prévention ?
“Évidemment, pour moi, la meilleure des actions reste la pédagogie. Après quand face à nous, on a des individus qui ne veulent rien entendre, il faut être plus radical. Je ne suis pas pour les sanctions mais au bout d’un moment il faut dire stop face à de tels agissements.”
Comment former les éducateurs ? De nos jours, sont-ils assez armés pour lutter contre l’homophobie ?
“Ça c’est un gros travail, c’est pour cela qu’un travail est effectué avec les associations au niveau des centres de formation. C’est une très bonne chose et c’est sûr qu’il serait bien que, lors des stages d’entraineurs, soit mis en place l’intervention d’une personne pour parler du problème sans tabou et pour sensibiliser. Je pense également qu’il serait bien de faire un travail psychologique avec les éducateurs afin de mieux les préparer.”
Le 17 mai est communément admis comme étant la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie. La LFP a décidé l’année dernière de la dédier entièrement à la lutte contre l’homophobie en Ligue 1 et Ligue 2. Est ce qu’une date clé comme celle-ci n’est pas le meilleur moyen de « routiniser » et « d’ancrer dans les mémoires » le combat ?
“Ce que réalise la LFP en collaboration avec les associations, durant cette journée, est génial. Moi je dis: “allons-y !”. Il faut y aller avec des slogans forts, faut être présent. Et peut être qu’un jour ça libérera la parole d’un joueur, ce qui serait une très bonne chose.”
Quelle part de responsabilité ont les groupes de supporters dans la montée de l’homophobie dans les stades ?
“Quand tu vas les voir, ils te disent qu’ils ne sont pas homophobes mais ce sont les premiers à traiter tout le monde de « pédés et enculés ». Mais bien sûr que s’ils participaient à la lutte, ça serait génial, on aurait tout gagné. Alors, ils te diront que cela fait partie du folklore mais c’est quelque chose que j’ai beau tourné dans tous les sens, je ne comprends toujours pas.”
Pensez vous que les joueurs professionnels sont réellement impliqués et comprennent l’intérêt d’un tel combat ?
“Il y en a des très impliqués. Il suffit de prendre les exemples d’Olivier Giroud ou d’Antoine Griezmann qui n’ont pas peur d’en parler et dont j’ai beaucoup apprécié les discours. Par contre j’ai pas aimé le discours d’Hugo Lloris quand il disait qu’il soutenait son Président. Ça m’a terriblement déçu de sa part. Plus globalement, bien sûr que les joueurs professionnels ont un rôle important beaucoup plus important à jouer qu’ils ne le pensent. Ils sont plus que de simples footeux qui tapent dans un ballon de foot.”
Temps additionnel.
Une question un peu plus personnelle, prenez vous toujours du plaisir à aller dans un stade de football ?
“Non, je ne mets plus les pieds dans un stade de football et tant que le problème perdurera, je n’irai plus. Que ce soit à Marcel Picot – le stade de l’AS Nancy Lorraine – ou ailleurs. Il y a longtemps que j’ai pas été dans un stade de football. Mais je continue à regarder les matchs à la TV.”
N’envisagez-vous pas de vous impliquer encore plus dans le combat en ambitionnant la tête d’une grosse institution du football ou la création d’une association ?
“Non non non ! Moi je suis seulement là pour aider comme je fais avec la LFP. Si on a besoin de moi j’y vais. Récemment, je suis, par exemple, allé dans un lycée pour rencontrer 150 élèves pour parler de l’homophobie, ça ça m’intéresse. Mais c’est vrai que je ne suis pas dans le mouvement associatif.”
Je vais encore plus loin, mais si demain vous devenez Président de la FFF, est ce que les choses ne bougeraient pas beaucoup plus vite que c’est le cas actuellement ?
“Ah bah c’est évident que je ferais en sorte que les choses bougent rapidement et j’arriverais à convaincre le monde du football d’avoir une attitude plus cohérente et beaucoup plus tolérante.”
Comment voyez vous l’avenir de la cause ?
“Bah je l’espère positivement et sereinement mais je suis encore dans le doute.”
Perplexe ?
“Oui…”
Perplexe oui, mais pas pour autant résigné. Olivier Rouyer continue de se battre au quotidien pour vaincre le tabou de l’homosexualité dans le football français. Par son action et celle de tous les acteurs qui oeuvrent pour lutter contre l’homophobie, Olivier Rouyer espère qu’un jour son histoire deviendra celle de nombreux joueurs professionnels.
FORQUES Hugo