La grande Histoire du football est faite de petits souvenirs et de grands moments. Du talon, du cou du pied, en l’air ou au sol, certains ont gravé leur empreinte cramponnée dans les livres et les mémoires, d’une inspiration géniale. Dans cette série, Caviar Magazine se penche sur ces gestes uniques, parfois devenus des marques de fabrique, qui ont fait se lever les foules du monde entier. De Boulogne-sur-Mer à Milan en passant par Marseille, revenons ensemble sur la “papinade” de la légende JPP.
“Tous les joueurs rêvent de marquer des buts. Avec Jean-Pierre, nous allons voir que ce rêve peut devenir une réalité, si l’entraînement est adapté et acharné“. La douce voix de Gérard Houllier introduit un documentaire pour le moins original. En 1992, Jean-Pierre Papin est au sommet de son art. Il a reçu le Ballon d’or l’année précédente et en profite pour accroître sa palette de compétences. JPP aime surprendre et sort un DVD. Son titre paraît sobre, mais il claque : Mes secrets pour marquer. Pendant 45 minutes, le spectateur reçoit une leçon de football, au sens propre du terme. En plusieurs étapes, JPP, seul sur le terrain face au gardien Alain Casanova, nous fait découvrir les “petits trucs” qui font de lui l’un des meilleurs strikers du moment. Le tout, commenté par Houllier, est savamment structuré : après le “face-à-face” suivent le “jeu de tête”, les “coups-francs”, les “penalties”, et pour couronner l’ensemble, les “reprises de volée”.
Alors que l’on s’extasie devant la qualité du pied et de l’équilibre de Papin, Houllier poursuit le cours magistral. “La reprise de volée est un geste technique difficile, mais spectaculaire et très efficace quand il est bien réussi. Il s’acquiert à force d’application et de répétition à l’entraînement“.
Où sont donc passées la spontanéité et la “magie” qui faisaient hurler de plaisir les supporters de l’OM, du Milan et du Bayern ? Les “papinades”, fantastiques reprises sans contrôle inscrites dans toutes les positions par le numéro 9 français, seraient-elles simplement le produit fini d’un entraînement sans relâche ? Oui, dans la “papinade” se reflète d’abord et avant tout le travail du joueur. Mais, au contraire, cela n’enlève rien à la beauté du mouvement, et aux inspirations géniales du buteur de Boulogne-sur-Mer. Houllier le résume parfaitement en une phrase : Jean-Pierre “répète tellement le geste qu’il en vient à le façonner pour lui“. D’où cet aspect fantastique des buts signés JPP. L’instinct du buteur, cumulé à un travail acharné, amène la légende de l’OM à ne plus se poser de questions. Quand la balle arrive, Papin frappe. Les filets tremblent. Et très souvent, le public reste bouche bée. Car des pions magnifiques, le Boulonnais de naissance en a inscrit tout au long de sa riche carrière.
De Marseille à Niort, les premières «papinades»
L’histoire commence sur les terrains du nord de la France, où le jeune buteur fait ses armes. En 1983, il rejoint l’Institut National du Football de Vichy. À partir de là, tout s’enchaîne très vite pour l’attaquant. Après un passage à Valenciennes, il signe à Bruges, chez le voisin belge. Papin commence à se faire un nom, mais pas encore un prénom : dans un reportage de l’époque, Téléfoot suit le jeune joueur en région flamande et titre : “Papin, à toute vapeur“. Mais Jean-Pierre le footballeur dépassera rapidement Denis l’inventeur en termes de notoriété. Le 26 février 1986, il connaît sa première cape en Équipe de France. Dans la foulée, il est propulsé titulaire lors de la Coupe du monde 1986, qui se déroule en Argentine.
L’homme, encore jeune, connaît pendant plusieurs mois des difficultés devant le but. Devenu remplaçant avec la sélection nationale, Papin marque treize buts en championnat avec l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie, venu l’arracher aux sirènes monégasques. Il termine meilleur buteur du club en Division 1 lors de ce cru 1986-1987. Mais le public phocéen ne laisse rien passer. Car oui, Jean-Pierre marque, mais Jean-Pierre loupe, beaucoup. L’intéressé l’admet, et évoque, dans une interview au club olympien, son premier surnom : “Le premier JPP, ça a été j’en peux plus“.
Cette saison, Papin réalise pourtant un coup d’éclat. Le 17 décembre 1986, beaucoup parleront d’abord d’un coup de chance. Mais quelques années plus tard, après que le numéro 9 ait multiplié les frappes de grande classe, les fans se rappeleront avec émotion de “la première papinade”. Ce jour-là, l’OM affronte le Racing Club de France au Vélodrome. Dans une équipe où évoluent les futurs coaches Thierry Laurey et Franck Passi, Jean-Louis Zanon est à la baguette. Depuis le côté gauche, il envoie une transversale en direction de Papin. Comme à l’entraînement, JPP ne se pose pas de questions et réveille les araignées endormies dans la lunette de Pascal Olmeta. Celui-ci n’esquisse pas de mouvement, sauf pour applaudir son futur coéquipier.
Mais c’est surtout la deuxième “papinade” qui va marquer les esprits. Le 6 mai 1988, l’OM joue la 34e journée d’un championnat dont il terminera finalement 6e. Si la réussite collective n’est pas au rendez-vous, Papin, lui, a pris conscience en 1987 de la marge de progression dont il disposait. Le jeune homme travaille sans relâche et multiplie les exercices devant le but. Ce vendredi-là contre Niort, la balle arrive de la gauche du terrain. L’attaquant marseillais ne la quitte pas une seconde des yeux. Le défenseur, à deux mètres, ne peut rien. Le geste de l’attaquant semble si facile qu’il en devient magnifique. Parfaitement relâché, il catapulte le cuir au fond des filets. Là encore, le gardien n’a pas bougé.
Alain Pécheral, alors journaliste pour La Provence, prend la plume. De son article naît un terme à jamais associé à la carrière de celui qui fut l’un des plus grands joueurs de l’OM : la “papinade”. Pécheral s’explique, dans son livre La Grande histoire de l’OM : c’est “la répétition de ce geste magique“, contre Niort, qui fit “jaillir l’expression sous ma plume. Sans que je puisse expliquer pourquoi. C’était sorti, spontanément, de manière aussi impromptue que le geste lui-même. Il se trouve que, Papin prenant soudain une toute autre dimension, l’expression fit fortune“.
Si ce n’est pas la première, Papin lui-même reconnaît que dans sa frappe contre Niort réside le point de départ de quelque chose de plus grand. Mais là encore, ce but somptueux ne doit rien au hasard. L’intéressé lui-même l’affirme, dans une interview pour l’OM : “Pour moi, ce n’est que du travail. Ce jour-là, je ne me suis pas posé la question de savoir s’il fallait que je la contrôle ou pas. J’ai fait comme à l’entraînement. Je l’ai prise comme elle venait, et elle est partie dans les filets“. Simple, basique. Houllier explique la façon de faire de l’artiste : “L’une de ses recettes consiste à vite photographier la position du gardien de but puis, en fixant la balle pendant sa trajectoire, il se concentre pour la placer diamétralement opposé, hors de portée du gardien”. Basique, simple. Sauf qu’on ne peut s’empêcher de se repasser le but en boucle, et de s’émerveiller devant la maîtrise et la tranquillité du numéro 9 marseillais. Pécheral, encore lui, sait trouver les mots justes pour l’expliquer : “Dans une papinade, il y a de la magie, de l’irréel, mais surtout une somme de travail d’acquis, d’observation se surajoutant [sic] à un physique détonnant et à un mental de granit“.
JPP, Ballon d’or et de volée
Les années suivantes sont celles de la gloire de Jean-Pierre Papin. Lors de la finale de la Coupe de France 1989 face à l’AS Monaco, JPP inscrit un triplé et claque la bise au président Mitterrand. En championnat, le Boulonnais termine cinq fois d’affilée meilleur buteur, avec une pointe à 30 caramels lors de la saison 1989-1990. Cela faisait plus de vingt ans qu’un joueur français n’avait pas inscrit ce total en championnat. Tel le jardinier du Vélodrome, Papin plante de partout. Il enchaîne dribbles sur le gardien, buts de renard et coups de casque en lucarne. Sans oublier ce qui devient alors sa marque de fabrique : les reprises de volée.
En septembre 1989, c’est cette fois de la droite que le ballon arrive. Ce jour-là, l’OM joue le club danois de Brondby, en Coupe d’Europe. Dans les bois, une future référence du poste : Peter Schmeichel. Pour Papin, se trouver face au portier de Niort ou face à l’un des meilleurs gardiens de l’histoire ne change rien. Le fait que le centre soit doublement dévié non plus. En toute simplicité, JPP envoie un ciseau horizontal dans le petit filet gauche du Scandinave, et continue d’écrire sa légende. Il diversifie par la même occasion son geste iconique. Jean-Pierre ne se “limite” plus à envoyer des reprises du droit après un centre venu de la gauche, mais enchaîne les buts acrobatiques dans différentes positions. Toujours sans contrôle, toujours de volée.
En France, l’OM enchaîne quatre titres de champion. Mais sur la scène continentale, la Coupe aux grandes oreilles échappe au club de Tapie. En 1990, les Olympiens passent à quelques poteaux et une main de Vata d’atteindre la finale. En 1991, le “Graal” se rapproche encore, mais l’Etoile Rouge de Belgrade pulvérise le rêve phocéen. Foutus penalties…
Cette année-là, Papin excelle, et obtient la récompense individuelle ultime, le Ballon d’Or. Ce nouveau trophée, il le dédie à Alain Casanova. Car celui qu’on connaît aujourd’hui comme l’ex-entraîneur de Toulouse a d’abord passé de longues heures à tenter d’arrêter les tirs de son coéquipier, lorsque les deux hommes jouaient pour l’OM. JPP raconte, en interview pour France Football (1991) : “Deux super gardiens m’ont aidé : Gaëtan Huard et, surtout, Alain Casanova. Accepter de se faire canarder comme ça aussi longtemps et en jouant le jeu… […] Bien sûr, ils le font pour eux, ils parfont leur technique. Mais ils le font surtout pour moi. (Il serre le poing et martèle l’accoudoir.) Et Alain, chaque fois, chaque fois il est d’accord. Sans lui, rien ne serait possible, parce qu’il se donne à fond, et qu’il me pousse“. Souvent avec Casanova, parfois sans lui, Papin travaille sans relâche. Il répète ses gammes après chaque entraînement, prolongeant le plaisir au centre d’entraînement de Luminy.
Sur le terrain, l’effort paye, que ce soit avec l’OM ou avec l’Équipe de France. Papin s’illustre une nouvelle fois lors des Éliminatoires de l’Euro 1992, que la France écrase – 8 matchs, 8 victoires. Face à l’Espagne, Manuel Amoros prend la balle sur le côté droit, lève la tête vers la surface et centre. Le ballon est contré mais qu’importe. JPP, trop fort pour l’adversaire, ne réfléchit pas. Le Nordiste envoie une reprise / retournée / volée acrobatique, au choix, qui vient se loger dans la cage d’un Andoni Zubizarreta qui ne prend même pas la peine de plonger.
En 1992, l’OM remporte le championnat. Son numéro 9 trône une nouvelle fois au sommet du classement des buteurs. Mais ce sera sa dernière saison avec le club phocéen, qu’il quitte avec 185 buts au compteur. Soit le deuxième plus haut total de l’histoire du club, après Gunnar Andersson.
Avant de rejoindre le grand Milan AC, JPP dispute l’Euro avec la France. Mais la réussite n’est pas au rendez-vous : après des éliminatoires flamboyants, les Bleus prennent la porte dès les poules, malgré deux pions de leur attaquant vedette.
Papinades Sans Frontières
Avec l’OM, les Bleus, le Milan AC ou le Bayern, l’homme du Nord n’oublie jamais, chaque saison, d’inscrire l’un des buts de l’année. En 1992, avec l’Équipe de France, il abat la Belgique d’une reprise acrobatique, main au sol, après un débordement fou de Basile Boli. Plus tard, un Papin dithyrambique s’exprimera à propos de ce but : “Dans ma carrière, j’ai marqué beaucoup de jolis buts dans les matchs importants. Mais celui-là était, sur le papier, le plus impossible à inscrire”.
En 1993, JPP porte cette fois le maillot rouge et noir du Milan. Face à Porto, le 3 mars, le score est de 0-0, lorsque Marco Simone remise de la tête vers l’entrée de la surface. Devant un Ruud Gullit aux premières loges, le Français balance une reprise du droit aux 16 mètres, sans contrôle évidemment. Milan efface Porto et file vers la Ligue des champions, la première d’un JPP qui l’attendait depuis des années.
Après avoir posé ses valises dans la Botte pendant deux saisons, Jean-Pierre enfile ses crampons en Bavière, chez le Rekordmeister. Il n’y marquera que 6 buts en deux saisons, la faute à des blessures et à un âge qui commence à se faire sentir. Mais l’artiste n’en oublie pas pour autant de marquer les esprits. Le 30 août 1995, le Bayern affronte le KFC Uerdingen, aujourd’hui tombé dans les bas-fonds du football allemand. On joue la 27e minute de jeu quand Markus Babbel centre au niveau du point de penalty. Libre de tout marquage, Papin prend de la hauteur et claque un magnifique ciseau acrobatique. Dès le mois d’août, le Boulonnais vient de tuer tout suspens dans la course au but de l’année en Bundesliga.
Des “papinades”, il y en a bien d’autres. La plus belle ? Au spectateur de se faire son opinion. Certains penchent pour celle contre Niort, la plus “relâchée”, quand d’autres préfèrent son bijou allemand. Les Luxembourgeois, eux, se souviennent sans doute d’une autre. En Coupe d’Europe, le 18 septembre 1991, l’OM se rend sur la pelouse du Grand-Duché. Sur un corner tiré depuis la gauche du terrain, Papin est à l’extérieur de la surface. Première étape : il fixe le ballon et ne le lâche plus des yeux. Deuxième étape : quelques petits pas d’ajustement, à reculons. Troisième étape : JPP rentre dans le ballon comme Schumacher dans Battiston et fracasse la lucarne luxembourgeoise. Son plus beau but avec l’OM, du propre aveu de l’intéressé.
Après l’Allemagne, l’artiste retourne en France. Il y terminera sa carrière professionnelle à Guingamp, après un passage de deux ans par Bordeaux. Mais Papin aime trop le ballon pour arrêter complètement. L’homme revient alors aux premières amours de beaucoup de professionnels : le football amateur. Il écume les terrains de la Réunion, avec la JS Saint-Pierroise, puis ceux de la Gironde sous le maillot de l’US Lège-Cap Ferret. En 2004, il raccroche définitivement les crampons… et enfile la casquette d’entraîneur, puis de consultant. Une manière de rester près du ballon qu’il aime tant.
En ce mois de juin 2020, JPP se rappelle au bon souvenir de la France du football, en signant un nouveau contrat d’entraîneur avec le C’Chartres Football, club de National. Et si sa carrière de coach est pour l’instant assez mitigée, personne n’a oublié le joueur, si efficace, si décisif. Le terme “papinade”, lui, ne rencontre que peu d’écho chez les jeunes générations. Mais le geste perdure. Alors, souvent imité, jamais égalé, JPP ?
Ces dernières années, nombre de reprises de volée venues de l’espace ou autres retournées acrobatiques stellaires ont fait le tour des réseaux sociaux. Certains se rappellent de la volée lunaire de Hamit Altintop face au Kazakhstan, en 2010, très justement récompensée du prix Puskás. Ou encore de la patate de forain de Tim Cahill. Les plus marquantes ? Elles sont sans doute l’oeuvre de Wayne Rooney en 2011 contre Manchester City et de Cristiano Ronaldo face à la Juve, en quarts de finale de la Ligue des champions 2017-2018. Interrogé par le journal Sud-Ouest, le maître JPP en a profité pour féliciter le natif de Madère : “Cette “Papinade”, je la valide sans problèmes (rires). Il n’y a rien à dire, juste bravo. L’action est confuse mais Ronaldo se replace tout de suite dans l’idée de recevoir le centre, c’est ce qui fait la beauté de son geste. Il est très haut, à 2,30 m, mais c’est le seul moyen de marquer, en rabattant le ballon. C’est le genre de geste qu’on travaille à l’entraînement, même si on ne commence pas une séance de reprises devant le but par ça”.
Selon JPP lui-même, des “papinades”, “on en voit de moins en moins”. Ce constat mérite d’être contesté, car une flopée de reprises de volée sont inscrites chaque année aux quatre coins du globe. Cependant, personne n’aura maîtrisé à ce point ce geste si technique et qui semble purement instinctif. Par l’entraînement, Jean-Pierre Papin a fait des reprises de volée sa marque de fabrique. Par la combinaison du travail et de l’instinct, il a inscrit son nom dans le riche lexique du football. Pour la beauté du geste.
Léon Geoni