À deux semaines de la reprise du championnat de National 1, les travaux du mythique Stade Bauer du Red Star FC ont enfin débuté. S’ils viennent mettre fin à des décennies d’attente pour les supporters, il se pourrait que leur combat soit loin d’être fini. Identité menacée, voire dénaturée, l’inquiétude et la colère gagnent les rues de la banlieue rouge, bien que le maire de la ville Karim Bouamrane se veuille rassurant.
Dans la région parisienne demeure un petit club populaire, à la peine sportivement, mais grand par son histoire. Champion de France en 1911, quintuple vainqueur de la Coupe de France, le Red Star s’est un temps imposé comme l’un des principaux clubs parisiens de par ses performances. Désormais loin de l’ogre aux milliards d’euros de Nasser Al-Khelaïfi, la forte identité de l’Etoile Rouge lui permet pourtant de demeurer parmi les équipes les plus populaires de l’agglomération, tout un symbole, et son stade n’y est pas pour rien.
Impossible aujourd’hui d’évoquer le Red Star, dont l’histoire s’est construite autour du communisme et du mouvement ouvrier, sans le Stade Bauer. Âme du club, antre des supporters, ce dernier abrite les Audoniens depuis 1909. Stade rectangulaire, tribunes proches des terrains, briques, son architecture « à l’anglaise » et son ambiance le rendent unique, mais son piteux état l’a fait tomber bien bas. Le non-respect des normes de la LFP et de la FFF a même contraint le club à délocaliser ses matchs à Beauvais ou encore au Stade Jean-Bouin lorsqu’il évoluait en Ligue 2.
Depuis plus de 20 ans, les projets se succèdent pour le club mais en vain. Dans les années 90 tout d’abord, il est question de résider au Stade de France. Le club se porte candidat mais le dossier est rapidement retoqué par la DNCG par manque de garanties financières. En 2006, naît le projet de création d’un tout nouveau stade aux Docks d’une capacité de 20 000 places. Toutefois, le Collectif Red Star Bauer se veut formel : « Le Red Star c’est à Bauer et nulle part ailleurs ».
Plus qu’un nouveau stade, un lieu de vie
Désireux d’évoluer dans une enceinte à la hauteur de son projet sportif, le club doit finalement attendre 2019 et la seconde édition de « Inventons la Métropole du Grand Paris » pour voir le Stade Bauer désigné parmi les lauréats de l’appel à projets, aidé par la perspective des Jeux Olympiques de Paris 2024. Un véritable projet de reconstruction est lancé. Vainqueur du concours, le Groupe Réalités rachète le Stade Bauer en mai 2021, signant alors la privatisation de ce dernier avec tout ce que cela implique en termes de rentabilité.
La destruction du stade s’impose dès lors comme inévitable. Une idée à laquelle les supporters finissent par se résigner, eux qui, après des décennies de combat, entrevoient enfin la lumière avec la concrétisation de ce projet. Le Groupe Réalités prévoient la reconstruction totale de l’enceinte – dont la livraison est prévue pour 2024, et plus encore d’un véritable complexe qui l’entourera. Adossée à un stade de 10 000 places censé conserver la ferveur et l’ambiance qui font le charme de l’antre du Red Star, la « Box Bauer » de 30 000 m2 aura pour mission de dynamiser l’activité économique. Cette box – au nom particulièrement cocasse – renfermera des restaurants, des commerces, des bureaux – dont le nouveau siège de Réalités, ainsi qu’une école de commerce. Cet espace commercial devra notamment permettre de rentabiliser un projet qui s’annonce aussi audacieux que coûteux. Comptez 200 millions d’euros pour le réaliser, dont environ 35 pour le stade.
🏖️ SAINT-OUEN PLAGE 🏖️
— Collectif RS Bauer (@stadebauer) June 4, 2021
Pour oublier la grisaille ! 🌩️🌦️ pic.twitter.com/MbcQQfuiFg
Prémices d’une identité populaire menacée, les premiers jets de présentation du projet entraînent la méfiance des supporters du club, bien que la rénovation du stade soit la bienvenue. Une rencontre a alors lieu en mairie le 20 novembre 2020, au cours de laquelle le Collectif Red Star Bauer restitue une consultation menée auprès des supporters et mettant en avant cinq revendications principales recevant toutes l’approbation du maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane – comme le Collectif le rappelle dans son communiqué en date du 7 juillet 2021. Il est alors bien entendu question de préservation de l’identité populaire du stade, et de son architecture qui le caractérise si bien. Le Collectif se livre à un bon nombre de concessions, dont l’acceptation de la construction de la « Box Bauer » adossée à son antre, mais il ne flanchera pas devant les symboles et caractéristiques historiques du club.
Le projet laisse place à l’époque à des échanges constructifs entre le maire, le Groupe Réalités, le club et le collectif des supporters. Tous semblent partager le même objectif commun, à savoir, moderniser le stade tout en préservant son identité. Tel est le discours de chacune des parties.
Retour à la Réalité(s)
Rebondissement le 29 juin 2021, deux membres du bureau du Collectif Red Star Bauer quittent le comité de pilotage (COPIL), organisé entre les différents acteurs afin d’acter la rénovation du stade, suite à des désaccords majeurs. Le 7 juillet, le projet architectural du Stade Bauer est présenté publiquement lors d’une conférence de presse réunissant Yoann Choin-Joubert (Président de Réalités), Patrice Haddad (Président du Red Star), Patrick Ollier (Président de la Métropole du Grand Paris), ainsi que Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen.
S’en suit alors un communiqué de presse de la part du Collectif Red Star Bauer. « L’heure est grave pour nous, amoureux de longue date et fidèles supporters du Red Star ». Vincent Chutet-Mezence, Président du Collectif, nous explique. « On est extrêmement en colère. Ils étaient d’accord avec nous en novembre », débute-t-il. Trois éléments ont suscité la surprise et le mécontentement des supporters. Le premier d’entre eux n’est autre que la présence d’un restaurant au dernier rang de la tribune Nord – soit au-dessus du kop – séparé des gradins par de simples baies vitrées, et qui détonne complètement avec l’identité populaire du Red Star. Toujours sur cette même tribune ayant vocation à accueillir le kop, la capacité se limiterait à environ 1 200 places, là où Luc Belot, directeur du projet, avait évoqué la possibilité d’augmenter la capacité d’accueil de cette tribune à 1 800 places. Enfin, le collectif remet en cause l’architecture du stade et notamment de sa tribune Ouest qui ne préserve pas, selon lui, la forte identité visuelle du stade.
19h55. L’entrée des joueurs sur le terrain sur un You’ll never walk alone électroacoustique. Audacieux mais le speaker a l’air satisfait de ce nouveau partenariat. Prochain match à Huis clos pour les VIP pour usage d’engins pyrotechniques. #NoPyroNoParty pic.twitter.com/baD8siWh6Q
— À Ton Étoile (@A__Ton__Etoile) July 9, 2021
Plus encore que les éléments du projet remis en cause, Vincent Chutet-Mezance dénonce les méthodes employées par le Groupe Réalités : « La méthodologie du promoteur n’a pas été assez carrée. Nous les avons sollicités de multiples fois (en vain), et ce n’est qu’une vingtaine de jours avant le dépôt des permis de construire qu’ils ont fini par nous montrer à quoi allait ressembler le stade. Or, ça ne nous va pas du tout. On a le sentiment que le stade a été bâclé, que le promoteur a traité le sujet comme il traiterait une résidence quelconque en banlieue », nous confie-t-il. Ce dernier exprime une grande frustration quant aux éléments de réponses et à la manière dont sont traitées les solutions alternatives proposées par le Collectif Red Star Bauer. « Nous sommes lucides, si on nous prouve que c’est impossible, on veut bien l’entendre et trouver une solution alternative. On sait qu’il y a des contraintes et on les accepte, mais nous aurions aimé en être informés en amont pour en discuter ensemble, et non pas en prendre connaissance trois semaines avant le dépôt des permis de construire », affirme-t-il, en faisant notamment référence à la disparition des poteaux qui caractérisent aujourd’hui la tribune Ouest. Leur suppression, obligatoire pour se conformer aux normes de rediffusion TV selon les dires des architectes et du promoteur, n’avait en effet jamais été évoquée auparavant et ne s’appuie sur aucun fondement ou élément objectif.
Il dénonce entre autres « la paresse » du promoteur et des architectes, qui ne cherchent pas à étudier les propositions du collectif et qui ne sont plus du tout dans une démarche de dialogue constructif. Interrogé sur d’éventuels retours du Groupe Réalités suite aux désaccords exprimés par le collectif de supporters – le groupe n’ayant pas donné suite à nos sollicitations, Vincent Chutet-Mezence nous avance que le promoteur se défend en mettant en avant la liberté créative des architectes. « Le promoteur ne joue pas son rôle avec les architectes. Puisqu’ils étaient d’accord avec les supporters sur l’architecture de la tribune Ouest à l’anglaise, la toiture en double pente, les briques, pourquoi ils ne l’imposent pas directement aux architectes ? », se questionne-il.
À propos des éléments qui menacent fortement l’identité même du Stade Bauer, tel que le restaurant en tribune, le Président du collectif donne des exemples de propositions alternatives qui ont été faites : « On avait consenti à adosser un espace commercial au stade, et voilà qu’on découvre qu’il empiète carrément dans le stade. On a proposé plusieurs solutions comme remplacer les baies vitrées par un mur aveugle, ou le déplacer dans la “ Box Bauer ”. Mais on nous explique, sans aucune étude à l’appui, qu’en déplaçant le restaurant en question au dernier étage de l’immeuble adossé au stade, le projet ne serait pas viable économiquement. De son côté, le club ne va pas avoir de loyer à payer pour le stade jusqu’en 2025, mais du nôtre, on veut nous faire croire qu’en décalant un restaurant, le projet ne sera plus rentable. Ce n’est pas cohérent ».
Dimitri Manessis, historien et membre du Collectif Red Star Bauer, rappelle et recontextualise de son côté l’importance et le rôle réel des supporters du club : « Les pionniers de la rénovation du stade, ce sont les supporters. Ils se sont battus pour ça pendant des années, et aujourd’hui on veut les faire apparaître comme un obstacle à la rénovation ». Il ajoute : « Il y a eu des compromis de la part des supporters, ils ont accepté la reprise d’un fond privé, donc la rénovation. Aujourd’hui, si les supporters sont en colère, c’est parce que le projet est irrespectueux que ce soit vis-à-vis de leurs combats et leur implication, de l’historique du club et du stade, ou de leur identité qui est l’attrait même du Red Star ». Dimitri Manessis poursuit à propos de la clause de non-naming du Stade Bauer, qui a été présentée à son sens comme une grande concession de la part du promoteur, alors qu’elle a fait suite là encore à une très forte mobilisation des supporters pour garder intact le nom de Jean-Claude Bauer, ancien résistant et symbole historique du club.
On voulait une rénovation originale et respectueuse de l’architecture historique du stade. On a un truc banal copié-collé de pleins d’autres stades. On voulait Craven Cottage, on a le Brentford Community Stadium.
— Inspecteur Gadjo (@VctrnDLV) July 7, 2021
Un dialogue constructif ou l’opposition
Si le projet de rénovation du Stade Bauer semblait être parti sur de bonnes bases, constructives, tenant compte entre autres de l’avis des supporters qui représentent l’âme du club, les relations se sont donc peu à peu détériorées. Interrogé sur l’évolution des discussions et les suites du projet, Vincent Chutet-Mezence met un point d’honneur sur l’importance d’un échange constructif et réel : « S’il faut prendre 3 ou 4 mois de plus pour bien amender et redéfinir le projet, on le fera. Nous voulons que le promoteur et les architectes procèdent à des études sérieuses de nos solutions alternatives et nous prouvent qu’elles ne sont pas réalisables si c’est le cas, qu’ils ne contentent pas de nous affirmer que c’est impossible ».
Dimitri Manessis précise : « Les supporters ne demandent qu’à être écoutés, compris, et respectés. Cela fait 20 ans qu’ils luttent pour la rénovation du stade. Un tel projet ne pourra pas être viable et ne pourra pas être mené sans les supporters. Il faut les prendre en considération et construire ce stade avec eux. Ce n’est dans l’intérêt de personne de vouloir passer en force ». Plus encore que les supporters, le mécontentement gagne progressivement les riverains à Saint-Ouen, qui ne sont pas satisfaits par la tournure actuelle que prend le projet de rénovation du stade et craignent un phénomène de gentrification.
Vincent Chutet-Mezence insiste sur le rôle de médiateur que le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, doit assumer dans ce projet, après avoir approuvé les demandes principales du collectif suite à la consultation ayant eu lieu en novembre 2020. Une nouvelle rencontre primordiale est d’ailleurs prévue avec ce dernier d’ici la fin de l’été, nous informe-t-il, à l’heure où « les négociations sont désormais fermées » du côté du collectif, affirme-t-il : « Nos demandes sont claires, précises, et réalisables. La balle est dans le camp du Groupe Réalités à présent. Tout est une question de volonté. Il y a maintenant deux issues possibles : soit le promoteur et les architectes tiennent leurs engagements et vont dans le sens prévu pour préserver l’identité du Red Star et du Stade Bauer, soit nous serons contraints de nous opposer au projet, auquel cas ce sera un nouveau combat qui commencera à la rentrée ».
Manon (illustration de Romane Beaudouin)