7 août 2020 : “qu’elle fut longue cette attente”. Phrase lambda de journaliste sportif à deux balles calée, ça c’est fait. Après X semaines sans compétitions, et un record de journées passées en LDC sans perdre pour le PSG, la coupe aux grandes oreilles est de retour. Si dans les faits, l’INA n’a jamais cessé de diffuser de sombres retransmissions de matchs bolchéviques pendant le confinement, la version made in Gazprom elle, commençait à sérieusement manquer. Stade vide, torpeur caniculaire et match aller poussiéreux, nous sommes deux heures moins le quart avant Juve-Lyon. Le résumé du match avant le match, c’est maintenant.
18h45 – La Bottega del Tifoso dans le coeur de Turin est en ébullition, des caravansérails de types en maillots bianconeri sautillent en s’enfilant des birra moretti sur le pouce. Ah quelle est belle l’Italie fantasmée d’un rédacteur perdu dans la diagonale du vide. Côté lyonnais, la place Bellecour est occupée par un carrousel qui tourne à vide, un vendeur de Churros et une fille qui fait du diabolo. Rien d’anormal. Le foot européen c’est un peu deux salles deux ambiances.
19h13 – Jules Grange-Gastinel relit pour la 5e fois ses propres notes sur le système de jeu de Garcia.
19h46 – les compos tombent : 3-5-2 pour Lyon avec Caqueret au milieu, Depay et Dembélé en attaque. En face, 4-3-3 classique pour la vieille Dame. Rabiot est titulaire, so is Matuidi.
20h48 – le CM de Lyon envoie par mail à Jean-Michel Aulas le visu qu’il a préparé en cas de défaite. Il s’agit d’un superbe montage paint aux couleurs du club avec en gros ces quelques lettres : M E R C I. Dans le corps du mail, il se dit “fier” de “l’originalité” de sa création.
20h58 – la musique d’Haendel retentit. Putain c’est bon d’entendre ça de nouveau.
21h08 – Le Duce (Rabiot, hein ?) pénètre la surface de réparation, bien trouvé par un Bentancur libéré (merci les FARCS). Il crochète habilement Marcelo qui, moins habile, le fauche sévèrement. L’arbitre de la rencontre, Félix Zwayer (scrabble) désigne sans hésiter le point de pénalty. Ronaldo, fidèle à son standing, transforme la sanction administrative en sanction sportive. 1-0. Cristiano Juged’applicationdespeines Ronaldo.
21h15 – Après cette ouverture du score, les Turinois jouent bien plus bas. Frileux et procédants en contre-attaque ils laissent les Lyonnais prendre le contrôle du ballon. Place Bellecour, la joueuse de diabolo vient de s’en aller.
21h28 – Enorme frayeur sur le banc lyonnais. Bonucci reprend un centre venu de la droite mais voit malheureusement le ballon s’écraser contre la barre transversale.
21h34 – Les Lyonnais poussent à l’entrée du dernier quart d’heure de cette première mi-temps. Sur un long ballon en profondeur, mal anticipé par Sandro, Depay se retrouve en situation de centre. Il enchaîne trois passements de jambes et déroule une transversale au cordeau pour Dembélé qui, superbement, place son pied en opposition et envoie tout le Rhône en 1/4 de finale. 1-1. Sur son banc, Maurizio est atterré. Tout à coup, il nous apparaît sous son véritable jour : Kevin Spacey en jogging Kappa trop large sur le banc d’un parc miteux. Ses lèvres tombent, Maurizio ne Sarri plus.
21h43 – les 22 acteurs semblent fatigués. Rien de significatif se passe. Sur nos canaps, on scroll Twitter pour mesurer notre intelligence sur les commentaires de supporters en tout genre (Lyonnais, Marseillais, Stéphanois, Parisiens…). On en profite pour commander une bière ou une pizza mais on sait pas quoi choisir entre la regina et l’anchois alors on parle un peu cuisine et conséquences du sel sur l’envie d’uriner. Bref, la soirée divague, je dis “pourquoi pas” et Rudi Garcia.
21h46 – Et pourtant, c’est dans ce creux, cette latence, que notre ami Bentancur choisit de déposer un joyau de caresse dans la lucarne de Lopes. Le pauvre goal ne peut rien faire mais Rodrigo ne peut s’empêcher de penser : Julen Lopez t’es qui ? Le gardien aux 5 titres de joueur le plus sexy de ligue 1 se relève et s’apprête à renvoyer le ballon vers le rond central quand sur ce fait de jeu tragique, Zwayer envoie tout ce beau monde au vestiaire.
21h53 – le livreur de pizza arrive avec les anchois. Smart et prévoyant, vous allez discrètement aux “waters” parce qu’à vous, on ne la fait pas.
21h55 – Jules Grange-Gastinel épluche l’historique des changements de tactique en deuxième mi-temps chez Sarri.
22h12 – Pierre Ménez tweet des trucs à la con, Xavier Dupont de Ligonnès lit le tome 2 des vérités sur sa vie publiées par Society et Modric a toujours un ballon d’or à son actif.
22h22 – On s’ennuie sec. Tellement sec qu’on se dit que Lucas Tousart n’était peut-être pas un joueur technique mais que lorsqu’il fallait couper un type ou mettre un but importantissime, on pouvait compter sur lui. Le souvenir de celui qu’on surnomme déjà le “mur de Berlin” n’est pas près de tomber.
22h28 – En cherchant ses clopes sur le banc, Sarri tombe par hasard sur Bernardeschi. Il décide de l’envoyer s’échauffer. C’est pas Martin Fourcade mais enfin bon…
22h32 – le match s’est enlisé. Les deux équipes semblent paralysées. Sur le banc Turinois, Sarri ne semble pas chercher de solutions. Flegmatique, il mâchonne un truc et se dit que peut-être il aurait dû ménager Paulo.
22h35 – Alors qu’on s’emmerdait cruellement, le coup d’éclair salvateur est intervenu. “Que la lumière soit”, and Delig(h)t fut. D’une tête ravageuse, le colosse blondinet envoie le cuir dans les filets de Lopes. Personne n’a rien pu faire, ni Marcelo, ni Marçal ni Jason d’ailleurs… 3-1 pour les bianconeri. La bande à Bonucci et celle à Depay ont tous les deux un pied dans le quart. Pour Lyon, il roulera lentement sur le chemin du retour. Le Rhone est à l’agônie (horriblement surfaite).
22h49 – Enragés, les hommes de Rudi se battent comme des lions pour trouver la faille. Sur un centre de Caqueret, Denayer est à quelques centimètres de délivrer le club rhodanien. Mais le foot est ainsi fait. C’est toujours une histoire de détails, de mesures ridicules, de destins cruels et de paris perdus.
22h58 – il n’y aura plus aucune frayeur pour les bianconeri. Aucune suée. Les dernières minutes s’égrainent et la Bottega del Tifoso comprend que la juve ne pliera pas.
On ne bouge pas si facilement les institutions dans ce vieux monde. Le roman de Stendhal aurait pu s’intituler le noir et le blanc. Dans le fond les histoires se ressemblent un peu. Un monde sur le point de s’effondrer, un jeune homme ambitieux prêt à tout pour quitter le sien et à la fin, après tant d’espoirs et de fureur d’exister, l’incapacité à se faire la vieille dame. Bref, il n’en fallait pas moins pour que Sarrigole de nouveau du côté du Piémont. Et pendant ce temps, Paris n’a plus perdu en ligue des champions depuis le 18 février…