Un choc des cultures, une rivalité historique et une passion déchaînée. Voilà les promesses proposées par ce Roma-Torino du dimanche soir. La louve est au meilleur de sa forme depuis l’ascension de Paulo Fonseca à sa tête et si le départ canon de la Lazio n’est pas étranger à la motivation sans faille des romains, le talent d’un effectif équilibré transparaît dans la gestion des 17 premières rencontres de Serie A. En face, le Toro déçoit. Pointant à la 11e place au coup d’envoi, la formation turinoise cherche désespérément à retrouver la lumière par la continuité, ce qui ne manque pas de consterner les spécialistes. Alternant l’excellent comme le ridicule, les hommes de Walter Mazzarri voient en ce premier rendez-vous de 2020 une opportunité rêvée de s’offrir un match référence qui lancerait enfin leur saison. De quoi présager une partie explosive à l’Olimpico…
Roma et Toro, entre destins croisés et lutte inéquitable
Côté compositions, Fonseca opte pour un 4-2-3-1 en phase défensive qui se transforme en 4-3-2-1 avec ballon grâce à Zaniolo et Perotti qui se positionnent en soutien de Dzeko côté romain, tandis que les partenaires de Salvatore Sirigu sont alignés dans le classique 3-4-3 turinois qui se meut en 5-4-1 en phase de repli. Peu de surprises, les stars sont présentes et les deux formations ne comptent aucun absent majeur. La Roma reste sur 5 victoires consécutives en Serie A, 9 à domicile, et bénéficie d’une confiance qui conforte l’équilibre trouvé par le Mister. A l’inverse, défaits par la SPAL, les turinois placent leur espoirs en un trio offensif Verdi-Belotti-Berenguer chargé de destabiliser la charnière Mancini-Smalling au long de la rencontre.
Apathiques, irréguliers et indignes du soutien remarquable des tifosi turinois, les hommes de Mazzarri subissent une entame de rencontre parfaite des locaux. Nkoulou n’a rien perdu de sa lenteur pendant les fêtes et Djidji ne semble pas s’être octroyé la moindre vision du jeu comme en témoignent ses relances plus qu’approximatives. Sirigu est d’ailleurs mis à contribution afin de sauver une barque à la dérive dès la 2′. Florenzi, Zaniolo, Dzeko, Pellegrini… tous prennent leur chance voyant leurs “adversaires” offrir des espaces inconcevables dans un rendez-vous tout sauf amical sur le papier. Acculé dans ses 30 mètres, passif défensivement, le Toro procède uniquement en contre par l’intermédiaire de transitions longues et rapides. Pau Lopez est ainsi contraint de maintenir le 0-0 à deux reprises face à Belotti et De Silvestri.
A l’instar de ses coéquipiers de charnière, Izzo fait preuve d’une intelligence difficilement descriptible dans ses interventions et passe proche d’offrir généreusement l’ouverture du score aux romains lorsque l’ancien portier de Palerme sort miraculeusement le coup-franc de Kolarov. Collectivement dominatrice, cette Roma régale dans les espaces laissés par le Toro et jouit d’une faculté de combinaison dans le jeu offensif aussi qualitative que dangereuse. Les ambitions dans la philosophie du Mister romain correspondent aux désirs d’Europe des tifosi. La Roma veut retrouver le goût exquis d’une soirée de Champions, et se comporte comme une équipe qui est consciente des impératifs que cela implique. Le spectateur neutre ne peut alors qu’admirer cette volonté incessante de déstabiliser un bloc adverse relativement désorganisé.
Malgré une réussite insultante dans leur surface, les turinois sont au pied du mur tant en termes de résultat que de contenu. Aucune production offensive si on excepte les contres permis par les espaces que laisse volontairement l’As Roma dans son dos. Une apathie défensive quasiment inexplicable en particulier dans un système à 3 centraux. Et un flou tactique global qui ne résout ni le manque de cohésion du bloc, ni la distance impressionnante entre les joueurs en phase de possession tout en étant bien loin de combler un net déficit technique. Seuls l’agressivité et le pressing décousu des milieux turinois laissent entrevoir un possible réveil des visiteurs même si le premier acte de Sirigu reste à saluer. Il faut dire que l’international italien aime être le seul rempart d’une équipe à la dérive sur tous les plans. Lorsque les armes diffèrent à ce point entre deux formations, seul le tableau d’affichage s’offre au Mister pour meubler sa causerie. Surtout lorsque Belotti vient finalement punir le manque de réalisme et la suffisance romaine dans le temps additionnel de la 1ere période par une frappe puissante sous la transversale de Lopez. Un but contre le cours du jeu, qui fait office de terrible coup de matraque dans le dos, et annonce un second acte passionnant…
Lorsque la Serie A remet la Coupe du Monde à l’ordre du jour
Le but de Belotti fut aussi inattendu que cruel pour les locaux. Menés 1-0 en ayant dominé toute la première partie de ce choc, les romains se doivent de réagir. Et cela passe par plus de pragmatisme. Un mot qui ferait frémir les puristes (et moi de même), mais qui symbolise le manque de réalisme des offensifs de Paulo Fonseca à l’approche de la cage de l’ancien portier du PSG. Parce que rester muet face à Djidji et Nkoulou, c’est plus que triste, c’est désolant. Surtout pour une formation qui prétend prendre part aux sommets européens la saison prochaine.
Nettement plus ouvert, le match se mue en une sorte d’opposition de style au sein de laquelle les blocs équipes disparaissent au profit d’une création de jeu plus libre et arbitraire. Le Toro bénéficie d’un avantage numérique qui lui ouvre la voie du contre prolifique, et met à contribution les nerfs d’une Roma qui s’agace progressivement au fur et à mesure que le sablier s’écoule. Tandis que les locaux recherchent une verticalité inédite dans leur construction avec ballon, au détriment des traditionnelles passes latérales, symptômes d’un jeu de position relativement impuissant.
De plus en plus coupée en deux, la formation entrainée par Paulo Fonseca fait les frais d’un scénario invraisemblable qui consiste à frustrer des joueurs incapables de marquer malgré des occasions quasi impensables. Solidaires dans l’adversité et la souffrance, les turinois tiennent bon et densifient leur entrejeu avec l’apparition de Meité qui permet un passage au 5-3-2. L’attaque-défense classique tient le spectateur en haleine pendant 45 minutes, au terme d’un suspens qui fait écho aux maux d’une attaque romaine trop centrée sur un Dzeko dont elle est devenue dépendante.
Pressing intense, hors-jeu constamment joué, lignes écartées au possible, le Roma tente le tout pour le tout dans le dernier quart d’heure. Oppressante dans chaque phase de jeu, telle une araignée qui tisse sa toile et retient sa proire, elle étouffe un Toro qui semble pris au piège et contraint de se replier dans ses 18 mètres. Kalinic redonne tout de même espoir aux tifosi turinois, tant sa faculté à se ridiculiser dans la finition fait honneur à la lose de romains sur qui le destin s’acharne. C’est le “mektoub” diront certains fins analystes, en particulier lorsque Kolarov lui-même se met à manquer le cadre de Sirigu. Belotti signe finalement un doublé à la 86′, symbole d’une rencontre aussi difficile à décortiquer qu’injuste pour des giallorossi dépecés. Un remake fidèle de la demi-finale France-Belgique qui ne sera pas sans rappeler de bons ou mauvais souvenirs à nombre d’entre nous.
Les enseignements d’un choc qui a tenu ses promesses
Une Roma dominatrice tendance belge – Les passes dans l’intervalle n’étaient pas au rendez-vous. Tout comme la finition d’ailleurs. A l’instar des hommes de Martinez, les romains subissent une défaite frustrante au sortir d’une rencontre dominée mais clairement pas maîtrisée. Comme un symbole dans cette saison 2019-2020, à l’aube d’une possible qualification européenne, les Giallorossi font preuve d’une gentillesse déplorable sur le terrain. Pas suffisamment de vice, et une dépendance trop conséquente au talent et à la réussite du buteur bosniaque ont raison d’une équipe certainement trop juste pour concurrence le trio de tête.
Un Toro enfin lancé ? – En alternant le bon et le très mauvais, le Toro a réalisé un match à l’image de sa saison. L’inconstance est maître mot d’une formation qui ne peut pas prétendre aux sommets italiens sans une rigueur qui lui fait défaut depuis bien trop longtemps. Comment ne pas avoir d’énormes regrets quant à la qualité intrinsèque de cet effectif ? Revenu à la hauteur du Napoli, ce Torino doit assumer son style peu esthétique pour progresser dans la construction de ses transitions offensives atypiques et offrir une deuxième partie de saison plus reluisante sur le plan des résultats qu’en termes de jeu pour ses tifosi.
Une Serie A folle en 2020 ? – Un trio de tête qui paraît désormais indétrônable avec cette défaite de la Roma. Voilà donc le principal enseignement de cette soirée italienne. Mais les hommes de Fonseca peuvent tout de même prétendre à une qualification européenne à la hauteur des ambitions d’un club qui renaît au sortir des heures sombres. Parallèlement, Cagliari, l’Atalanta, le Torino et même le Napoli, devront se disputer les places qualificatives pour la Ligue Europa. De quoi saliver à l’idée d’un retour de la Serie A au premier plan en Europe ?
Jules Grange-Gastinel