Crédit: Sébastien Le Derout
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Supporters à distance (3/3): Younes, étudiant lillois et supporter marseillais

Après avoir laissé la parole à Ludovic Lestrelin dans les première et deuxième parties, place aux supporters et notamment un qui se déplace souvent seul pour soutenir l’OM, son club de cœur. Seul mais avec la même passion…


Younes a 23 ans et étudie à Lille. Originaire de la région parisienne, il n’a aucune attache à Marseille et c’est pourtant sur le club de cette ville qu’il a jeté son dévolu depuis sa plus tendre enfance. « Je suis supporter de l’OM depuis 2003 et la période Drogba, donc depuis que j’ai 5 ans », affirme-t-il. La saison 2003/2004 et le parcours héroïque des Phocéens jusqu’en finale de la Coupe de l’UEFA lui permettent de consolider cette romance avec le club qui n’a toujours pas pris fin.

Une vieille histoire d’amour

Au début, l’étudiant allait voir des matchs proches de chez lui comme à Créteil. Puis, la première au Vélodrome a sonné comme une continuité logique. « J’ai découvert le Vélodrome en 2010 lors d’un match de LDC, OM-Zilina, pour lequel j’avais gagné les billets dans le cadre d’un jeu concours », déclare-t-il. Younes a cependant dû attendre ses 18 ans pour pouvoir réellement s’atteler à ses déplacements. Ainsi, depuis 2016, il se rend plus régulièrement dans le sud de la France mais également dans tout le pays pour suivre l’OM à « l’extérieur », un terme toujours particulier pour un supporter à distance. Le néo-lillois ne choisit jamais sa place au hasard lorsqu’il va à Marseille. « Je suis toujours Virage Sud, dans la zone du groupe de supporters “South Winners” car l’ambiance est bonne, il y a beaucoup de jeunes et auparavant on pouvait acheter des billets sur Internet sans être abonné. Je ne veux pas aller au stade et être en tribune “normale” car j’y vais avant tout pour l’ambiance et chanter », cède-t-il. Un aveu qui résume bien la passion qui règne chez ce jeune supporter qui n’hésite pas à parcourir la France pour soutenir son club.

Comme rappelé dans le deuxième épisode de cette mini-série consacrée aux supporters à distance, les fervents supporters d’un club, abonnés à un groupe, ont tendance à adopter des parcours carriéristes qui s’inscrivent parfaitement dans une logique sociologique interactionniste. La trajectoire de Younes, même si plutôt indépendant, ne déroge pas à cette règle.

Une trajectoire de carrière

Ses premiers déplacements sont réalisés avec un « mentor », son père. « J’ai d’abord vu Marseille à l’extérieur dans des villes proches de Paris comme Reims ou Auxerre. J’y allais en voiture avec mon père vu que le trajet est assez court et que j’étais mineur », avance-t-il. « J’allais également à chaque finale de coupe au Stade de France. Depuis que je suis majeur et que je peux me déplacer seul, je vais les voir un peu plus loin, Rennes, Troyes, Angers », poursuit-il. Au fur et à mesure qu’il grandit et prend ses marques dans le monde du supportérisme à distance, Younes prend confiance et se crée même un petit réseau. « J’ai des contacts au sein des groupes de supporters marseillais qui me permettent d’être en zone visiteur », dit-il. Ainsi, le jeune homme stabilise sa place en tant que fan à distance, un objectif encore plus difficile lorsque l’on n’a pas de lien avec la ville de son club, comme s’il devait faire un peu plus ses preuves. 

Pour Younes, la suite naturelle a été l’abonnement à un groupe de supporters marseillais. « Etrangement, il n’y a pas de section de supporter de mon groupe à Paris », remarque-t-il. « Le fait est que beaucoup d’abonnés n’habitent pas à Marseille donc mon cas n’est pas unique. Nous ressentons tous une appartenance au groupe de supporters auquel nous adhérons, il n’y a donc pas besoin de “sous-groupe”, de section par région ». Sans se connaître au préalable, ces mêmes individus se retrouvent rapprochés par le même amour pour l’OM mais également pour le groupe, un sentiment collectif qui favorise l’envie de voyager à travers la France, les déplacements des membres étant, comme on a pu le voir avec Ludovic Lestrelin, un élément important pour maintenir la survie des sections à distance. Néanmoins, Younes ne ressent pas un besoin particulier de multiplier les contacts sur place. « J’observe les comportements mais il est rare que je discute avec des gens. Je vais au stade, je chante pour mon club, je vis les émotions, entouré des autres passionnés et je rentre chez moi ».

Dans le train des « fous »

A 23 ans cependant, pas facile de trouver le temps et l’argent pour vivre une passion qui demande une certaine organisation. L’étudiant lillois tente pourtant de trouver l’équilibre et y parvient. « Avant le Covid, j’essayais d’y aller en moyenne une fois par mois. L’OM joue souvent le dimanche à 21h donc c’est compliqué avec les cours et le TGV. Il n’y a pas de TGV la nuit », admet-il. « Pour le transport, je suis abonné à TGV Max donc 80 euros par mois. Le prix des billets est assez faible, 10-30 euros par match. Je fais l’aller-retour dans la journée donc pas besoin d’hôtel. Pour l’étudiant que je suis, le coût est finalement faible », note-t-il néanmoins. Ce qu’il gagne en argent, il le perd forcément en temps, ne s’attardant pas dans les villes où il se rend, ce qui ne le dérange pas, son déplacement étant centré sur l’OM. « Je me déplace avant tout pour vivre ma passion autrement que derrière une télé », explique Younes. « C’est important pour moi de me sentir comme appartenant au club, au mouvement de supporters. Chacun est libre de vivre sa passion comme il l’entend et selon ses moyens donc personne n’est plus légitime qu’un autre, mais pour moi il est essentiel de se rendre au stade si on peut. On vit pleinement les émotions dans le stade, entouré de personnes comme nous, aussi passionnées et dévouées au club, voire plus »

“Lorsque je vois une dizaine de personnes dans les TGV Marseille-Paris les soirs de match, je me dis que je ne suis pas le seul fou”

Younes

Cette passion comme une autre, rythmant la vie de Younes, est une boussole dans son quotidien. Mais, mal compris, ce fort attachement peut devenir difficilement explicable à des interlocuteurs non-initiés, ce que confirme Younes. « Mes parents me laissent me déplacer librement, ils ne sont parfois même pas au courant en avance que je vais à Marseille. Mes amis me prennent pour un fou et ce dévouement est assez difficile à comprendre si l’on n’est pas habité ». Dans un environnement non pas hostile mais parfois indifférent, il apparaît alors comme rassurant de retrouver des personnes qui, tous les quinze jours ou tous les mois, s’engageront dans la même voie.  « Lorsque je vois une dizaine de personnes dans les TGV Marseille-Paris les soirs de match, je me dis que je ne suis pas le seul fou. Certains sont parents, posent un jour de congé pour venir, se privent d’un week-end en famille ou entre amis. Pour ma part, en tant qu’étudiant, je me déplace avec mes cours pour réviser dans le TGV ». Puis, une fois à quai, le train libère ces supporters à distance qui rentrent chez eux pour reprendre leur vie normalement, avant de remonter plus tard dans un wagon, avec leur club de cœur comme terminus. 

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