Trente ans après l’éclatement de la Yougoslavie, les ultras de l’Étoile rouge de Belgrade continuent de jouer un rôle déterminant dans la vie du club serbe. Régulièrement qualifiés d’« hooligans nationalistes », ces derniers sont liés par une identité nationale très forte. Entre liens avec la mafia, ingérence politique et jeux d’alliances, ils forment un véritable groupe social.Le
Le stade Rajko Mitic peut exulter ce dimanche 27 février. Après 90 minutes d’intense combat, l’Étoile Rouge de Belgrade l’emporte 2-0 ce 166ème “Derby éternel” face à son grand rival, le Partizan Belgrade.
Fondé en 1945 par une ligue antifasciste, le Fudbalski klub Crvena zvezda (Football Club de l’Étoile rouge) a longtemps concouru dans le championnat de l’ex-Yougoslavie avant de faire partie intégrante d’un championnat serbe à partir de 2006. Avec trois étoiles sur son logo faisant référence au 30e titre national obtenu lors de la saison 2018-2019, l’Étoile rouge domine largement le championnat serbe. Elle reste d’ailleurs le seul club slave à avoir remporté la Coupe des clubs champions européens, l’actuelle Ligue des Champions (saison 1990-1991).
Dans les années 1980, deux grands groupes de supporters se partagent le côté nord de la tribune du Marakana (surnom du stade mythique de l’Étoile rouge à l’origine doté de cent mille places, désormais réduit à un peu plus de cinquante mille). Le premier, les « Ultras », se manifestaient par des chansons mélodieuses, des feux d’artifice et des chorégraphies, tandis que le second, les « Diables rouges » se distinguaient par une consommation excessive d’alcool et une lutte acharnée contre les rivaux.
Au milieu des années 80, les « Zulu Warriors », un nouveau groupe de supporters, s’ajoute aux deux déjà existants. Une dizaine d’années plus tard, les principaux groupes de supporters se réunissent sous un seul et même groupe : les Delije. Traduit en français par « jeunes gens courageux et braves », ils ont la réputation d’être des hooligans nationalistes. Milan, un fervent supporter de l’Étoile, rapporte : « en France, on a beaucoup tendance à présenter les Serbes et les Delije comme des barbares violents et sans cœur. Et ceci sans connaitre le peuple, son histoire, et remettre tout ceci dans son contexte.De plus le terme de nationaliste est vu comme systématiquement péjoratif de nos jours, que cela soit dans les médias ou dans la société. Alors que pour rappel, « nationaliste est le terme qui qualifie l’individu qui place la nation au-dessus de tout dans sa manière de penser : il met en valeur le sentiment d’appartenir à une culture, une langue, une religion commune, ou un patrimoine commun ». ».
Le début de l’ingérence politique
Dans les tribunes du Marakana, nombreux sont les symboles serbes tels que des chants patriotiques ou des drapeaux du pays. Ce sentiment nationaliste que l’on retrouve chez les supporters de l’Étoile s’explique par des faits historiques, de même que leur réputation d’hooligans. Slobodan Milosevic, président de la république de Serbie en 1989, réclame une fédération de Yougoslavie encore plus centralisée autour de la Serbie. Malheureusement pour lui, des élections libres entraîneront la chute des principaux partis communistes des républiques de Yougoslavie.
En difficulté dans sa République de Serbie, le président serbe Slobodan Milosevic avait décidé de placer Arkan, un braqueur recherché à l’époque par Interpol, à la tête des ultras de « Crvena zvezda », les Delije. Il était en fait inquiet face à l’extrême violence des supporters des tribunes du championnat yougoslave et notamment celles de l’Etoile Rouge. Milosevic ayant peur de voir ces ultras sans limite se retourner contre lui, il a profité des méthodes d’Arkan pour calmer ces violences et les utiliser en sa faveur. Arkan, nouveau leader des Delije, va alors imposer une discipline et un mode de vie quasi-militaires aux ultras de l’Étoile.
Le 13 mai 1990, le Dinamo Zagreb affronte, dans son stade de Maksimir, l’Etoile Rouge de Belgrade. Les deux clubs ont des groupes de supporters aux identités politiques et nationalistes fortes et opposées (au Dinamo, les Bad Blue Boys et à Belgrade, les Delije). Arkan, leader en coulisses et véritable gourou, mènera, le 13 mai 1990, plus de 3000 Delije sur la pelouse du Maksimir pour en découdre. Le bilan officiel de ces affrontements décomptait 138 blessés et 147 arrestations, et le match n’a, par conséquent, jamais eu lieu.
La Garde d’Arkan a été utilisée pour de nombreuses opérations de nettoyages ethniques (assassinats, tortures, viols, pillages d’habitations croates, bosniennes et musulmanes…) ; ils inspiraient la terreur dans les Balkans. Le nombre d’hommes ayant combattu au sein de la Garde est difficile à évaluer. Il y aurait eu plus ou moins 500 hommes constamment mais environ 10 000 hommes auraient fait partie de la garde à un moment ou un autre.
Les hommes doivent se conformer à des règles rigoureuses en matière d’apparence et de comportement (sobres, rasés de près et bien coiffés) et plusieurs témoignages confirment que l’alcool y est interdit. Pour ce qui est de l’uniforme, la milice porte une cagoule noire et un tigre brodé sur l’épaule. Tout écart de conduite ou acte de désobéissance est sévèrement puni.
Milosevic accusa le groupe d’ultras de l’Étoile rouge d’avoir joué un rôle dans l’effondrement du pays (en ayant mené l’opposition interne et la révolution anticommuniste serbe). Mécontents de ses accusations, les ultras scandaient des chants réclamant sa tête et tous les matches devenaient des manifestations anti-Miloševic.
L’actuel président serbe, Aleksandar Vucic, est lui aussi très impliqué dans la vie du club. Certains médias serbes n’ont pas manqué de révéler ses liens troubles avec l’Étoile Rouge. Il était présent à Zagreb le 13 mai 1990, lors du match opposant le Dinamo Zagreb à l’Étoile Rouge. Il aurait même porté un coup de barre à un supporter croate à terre.
Autre exemple de son investissement dans la vie du club, Vucic serait accusé de financer des emplois pour les Delije en échange de leur fidélité, faits qu’il conteste difficilement. Proche des ultras du Delije, il ne manque pas de les faire participer à la vie politique selon Milan, le supporter de l’Étoile : « actuellement, je sais qu’il paye parfois des hooligans pour mater des manifestants ».
Rivalité et alliances
En conflit avec le Dinamo Zagreb sur la scène européenne, l’Étoile rouge, principal club de Belgrade a également un grand rival sur la scène nationale : le Partizan Belgrade.
Initialement, la rivalité avec le Partizan découle de la situation politique yougoslave. L’Etoile rouge représentait le parti communiste tandis que le Partizan était le club de l’armée populaire yougoslave à l’époque de la Yougoslavie. « Sur les réseaux sociaux, il y a des chamailleries quotidiennes entre les deux camps, et ce sur plusieurs sujets, dont l’influence qu’aurait le président serbe sur l’Etoile Rouge pour les supporters du Partizan, et inversement » témoigne Milan. Ce dernier relativise toutefois : « bien entendu, la société serbe n’est pas divisée entre les deux camps, dans le sens où des gens qui supportent l’Etoile Rouge côtoient des supporters du Partizan, et inversement. Mais la rivalité reste très forte chez les Serbes ». La ville de Belgrade s’embrase les soirs de « Derby éternel » comme l’appellent les supporters des deux équipes et la rivalité entre les deux clubs de Belgrade dure toute l’année : « il y a souvent des bagarres entre les deux camps, notamment lors des derbys. Il y a également une bataille de graffitis dans les rues serbes, où des tags sauvages des ultras sont barrés et remplacés par ceux des adversaires » raconte ce supporter de l’Étoile.
Si l’Étoile rouge a de grands rivaux, elle a aussi de grands alliés. Les ultras de l’Étoile se sont liés d’amitié avec ceux de l’Olympiakos FC et, plus tard, avec ceux du Spartak Moscou. L’union des groupes d’ultras de ces 3 clubs est appelée « Orthodox brothers » (frères orthodoxes).
Milan retrace les liens avec les moscovites : « les Russes et les Serbes ont toujours été de grands alliés dans l’Histoire, et on retrouve cette amitié chez des groupes de supporters, notamment entre les Delije et Fratria. Les premiers rapprochements entre les deux groupes ont eu lieu après les bombardements sur Belgrade en 1999 (pendant la guerre du Kosovo). Le Spartak se déplace sur le terrain du Partizan pour un match de coupe d’Europe. Le lendemain, l’Étoile Rouge joue à domicile contre le Neftchi Baku (un club d’Azerbaïdjan). Des supporters russes iront se réunir au Marakana pour le match, où les Delije les accueilleront à bras ouverts. C’est le début d’une forte amitié entre ces deux groupes de supporters ». Les retrouvailles entre les supporters des deux clubs sont toujours l’occasion de sortir les banderoles anti-OTAN (qui a bombardé la Serbie lors de la guerre du Kosovo) et de scander les slogans nationalistes.
Le 26 février prochain, l’Étoile rouge de Belgrade recevra dans son stade son éternel rival le Partizan pour un match sous haute tension. L’Étoile aura l’occasion de recoller à son ennemi juré qui occupe actuellement la tête du championnat, avec cinq points d’avance.
Arnaud Fischer